lundi 3 août 2020

Eglise monolithe d’Aubeterre : son reliquaire, inspiré du Saint-Sépulcre de Jérusalem, est un trésor de l’art roman


Parmi les plus beaux villages de France, se trouve Aubeterre en Charente. Cette commune abrite une église souterraine remarquable...

Que vous soyez férus d’histoire ou désireux de découvrir les curiosités de la région, une visite à Aubeterre s’impose. Accolé à une falaise, ce village, mis en valeur depuis une dizaine d'années, dégage un charme intemporel où se mêlent passé et authenticité.
Parmi les étapes incontournables, figure l’église souterraine Saint-Jean creusée dans le calcaire au XIIe siècle en un temps record, « en seulement dix ans » dit-on. En effet, c’est à son retour de la première Croisade que Pierre de Castillon, seigneur d'Aubeterre, avec le soutien de l’évêque de Périgueux Renaud de Thiviers, lança cet immense chantier, s’inspirant vraisemblablement des monastères qu’il avait vus en Cappadoce (Turquie) alors qu’il se rendait en Terre Sainte. On estime aujourd'hui à 7000 m3 le volume de calcaire extrait, soit l'équivalent de 10 piscines olympiques, ou encore un cube de 19 mètres d'arête !

Le reliquaire, inspiré du Saint-Sépulcre de Jérusalem, est un trésor de l’art roman
La galerie haute d'où le seigneur d'Aubeterre assistait aux offices

Comme celle de Saint-Emilion en Gironde, elle a été taillée dans la pierre de haut en bas, d'une seule masse, d’où les blocs monolithes que constituent les hauts piliers (octogonaux à leur base) et surtout l’imposant reliquaire qui représenterait le Saint-Sépulcre de Jérusalem selon les spécialistes. On imagine l’important travail des bâtisseurs pour conduire cette "œuvre" à bien. La galerie haute permettait alors aux compagnons de superviser et suivre les travaux. Par la suite, le seigneur d’Aubeterre, dont le château était situé à l'aplomb, et sa famille l'utilisèrent pour assister aux offices sans avoir à se mêler aux fidèles (accès par deux entrées dont un couloir souterrain partant de la cour du château, aujourd'hui propriété privée).

Le chœur de l’église Saint-Jean était autrefois proche de la rue actuelle. L'effondrement d'une partie importante de la falaise a réduit l’agencement intérieur, nécessitant la construction d’un vaste mur au XVIIe siècle.
L'édifice est l'objet de toutes les attentions. Une étude globale, réalisée par des spécialistes et techniciens, a été lancée cette année par la mairie afin d'observer l'évolution et l'environnement général du site (état des lieux, matériaux, maçonnerie, relevés des décors peints, architecture, ventilation, hydrogéologie, température et variations, suivi climatique, inspection géotechnique de la falaise, inventaire du couvert végétal, etc). Des capteurs ont été installés sur les voûtes et parois afin de recueillir des mesures. Des essais de traitements algicides et la recherche de solutions techniques de consolidation innovantes, telles que la blocalcification, sont envisagés. Résultats et préconisations sont attendus en 2022. « Nous définirons les projets en fonction des résultats. Il n'y a pas d'inquiétude sur la solidarité de l'église. C'est une vieille dame et nous prenons soin d'elle ! » souligne le premier magistrat, Charles Audoin.

Initialement, le chœur de l'église était proche de la rue actuelle. L'effondrement d'une partie importante de la falaise a modifié son agencement intérieur.

L'entrée actuelle
Le "destin" de cette église a varié au fil des siècles. Après avoir été un lieu de culte et d'inhumation, elle a été transformée au XVIIIe siècle en fabrique de salpêtre afin d'alimenter en poudre à canon les armées révolutionnaires. Par la suite, elle a fait fonction de cimetière avant qu’un arrêté de salubrité publique y mette fin en 1865.

La nécropole et ses nombreuses tombes taillées dans le roc
Classée monument historique depuis 1912, l’église Saint-Jean est ouverte au public et c’est toujours un plaisir d’écouter les commentaires du guide qui précise, entre autres, qu'elle comportait trois emplacements réservés aux reliques (lesquelles ont disparu). L’endroit était donc idéal pour reposer en paix (d'où la multitude de tombes), la proximité avec ces saints éléments assurant sans doute une montée vers les béatitudes. La crypte, à voir également, retiendra votre intérêt.

Ne manquez pas cette étape ainsi que l’ensemble du village qui compte un autre édifice religieux, l’église Saint Jacques dont la façade est superbement ouvragée.

Portail de l'église Saint-Jacques
L’info en plus : 

• L’église Saint-Jean mesure aujourd'hui 27 mètres de long et 16 mètres de large (à l'origine elle était deux fois plus grande !), dimensions qui en font une des plus vastes églises de ce type en Europe. À environ quinze mètres de hauteur, elle est bordée sur trois de ses côtés par une galerie à laquelle on accède par un escalier taillé dans la masse. Le mur opposé est percé de trois grandes baies.
Les voûtes, taillées en plein cintre, s'élèvent à presque vingt mètres de hauteur. L'intérieur était peint, hormis quelques parois.

• Une cavité primitive, fréquentée dès le VIIIe siècle, aurait précédé l’église Saint-Jean qu’occupèrent des chanoines bénédictins. L'épaisseur entre la voûte de l'église et la cour du château est de 8 à 10 mètres. Datant du Campanien, le calcaire présent à Aubeterre est très tendre (présence de nombreuses carrières dans le secteur).

• La cuve ornée en son fond d'une croix grecque aurait initialement servi aux baptêmes. Toutefois, soulignent les historiens, « les usages décrits par les textes laissent supposer que le baptême par immersion avait disparu dès l’époque carolingienne et les piscines étaient déjà remplacées par des fonts baptismaux ». La question reste posée ! Une autre version est avancée actuellement : située au milieu de l'église, elle aurait abrité en son centre une relique que vénéraient les croyants.


• La crypte a été découverte à la suite d’un effondrement dans les années 1960. Un autel y a été mis au jour et elle comporte des stalles. De nouvelles fouilles seraient nécessaires pour avancer dans la connaissance. Certains y voient un site plus ancien dédié au culte de Mithra (à l'époque gallo-romaine). Des reliefs - sur un mur en particulier - font également penser aux motifs du Néolithique. Dire que les hommes se sont succédé en cet endroit au fil des siècles peut se concevoir !

La crypte

L'entrée actuelle de la crypte (un escalier y conduit)
 • Au XIXe siècle, des châsses contenant des ossements auraient été extraits du reliquaire. Appartiendraient-ils à d'anciens seigneurs d'Aubeterre ? 


• Au début du XXe siècle, un instituteur serait à l’origine du renouveau de l’église Saint-Jean. Il aurait réussi à convaincre le Congrès archéologique de 1912 de la visiter et à faire classer l’édifice la même année. En 1958, des travaux de restauration et de consolidation ont été entrepris.

• Devenir "ville et métiers d'art"


• D'importants travaux ont été réalisés par la mairie dans le village. En 2010, la place centrale a fait l'objet d'un réaménagement. Deux ans ont été nécessaires pour le mener à bien (dont pavage). D'autres tranches ont suivi pour améliorer l'aspect esthétique de deux rues conduisant au bourg. De nombreux commerces se sont installés, rendant l'ensemble très attractif.
Le prochain objectif de la municipalité est d'obtenir le label "ville et métiers d'art". Récemment, par exemple, était organisée sur la place d'Aubeterre une exposition de peintres et d'artisans d'art. « Une expérience à renouveler » estime le maire.
Classé parmi les plus beaux village de France, Aubeterre a vu sa fréquentation touristique progresser régulièrement, soit quelque 200.000 visiteurs en 2019.  L'église Saint-Jean, quant à elle, reçoit entre 60 et 70.000 visiteurs payants par an (le prix est de 6€ l'entrée, conférence comprise). En raison du Covid-19, le port du masque est obligatoire ; il est vivement conseillé en ville.
Parmi les projets, figurent l'embellissement du lavoir situé en contrebas et la rénovation du bâtiment à proximité. Tout aménagement est soumis à l'autorisation de l'architecte des Bâtiments de France (aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine).

• Mises en valeur (par des particuliers) : 
• Dans la rue Saint-Jean, valorisation d'un logis du XVIe avec bel escalier en pierre recouvert d'une tourelle.
• La porte d'entrée de l'ancien château (malheureusement détruit) a été restaurée et la consolidation des murailles est en cours.

© Photos Nicole Bertin

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