vendredi 23 août 2019

Dinosaures de la carrière d'Angeac : Bienvenue au Jurassic Park charentais ! 140 millions d’années vous contemplent

Angeac il y a 140 millions d'années...
Un soleil de plomb tape sur la campagne charentaise. Depuis que les visiteurs peuvent suivre en direct les fouilles réalisées dans la carrière d'Angeac, leur nombre ne cesse de croître. Ils ont appris que vivaient là, il y a 140 millions d’années, des dinosaures dont les ossements sont étonnamment bien conservés dans les argiles. Rencontre avec un passé qui se perd dans la nuit des temps avec une particularité : quand ces immenses bestioles peuplaient la Terre, l'Homo sapiens restait à inventer. 
Après avoir découvert un premier fémur de 2,20 mètres (longueur de l’animal estimée à 40 mètres pour un poids de près de 80 tonnes) et un sacrum de plusieurs tonnes, les chercheurs ont trouvé cette année un autre fémur de sauropode de deux mètres pesant près d’une demi-tonne. L’entreprise Audouin, qui exploite le site, a offert aux paléontologues 4000 mètres carrés supplémentaires à creuser. Du travail pour 2020 et les années à venir !

Dernier jour de fouille de l'été 2019 à Angeac. Le site sera bientôt recouvert d'eau...

Angeac en Charente. En cette journée d’août, les visiteurs qui se pressent veulent voir le fameux fémur de dinosaure trouvé lors de la fouille 2019 en cette carrière exploitée par la société Audouin.
Il y a 140 millions d’années, le site ressemblait aux Everglades et la mer se trouvait à cinq, dix kilomètres.
A cette époque, comme le montrent les cartes placées à l’entrée, l’emplacement des continents était différent de la géographie actuelle et Angeac était une zone humide où régnait une chaude température. Y vivaient de nombreuses créatures aujourd’hui disparues dont des dinosaures. Des ossements attestent de leur présence dont le fémur long de deux mètres récemment "ressuscité".
Depuis 2010, les chercheurs vont de découverte en découverte. Il y a quelques années, ils ont mis au jour une concentration de juvéniles réunis sur un même périmètre. Pourquoi ont-ils connu une fin prématurée ? Poursuivies par un prédateur, ces créatures auraient pu s'embourber et ces terres instables, semblables à des marécages, seraient devenues leur tombeau. Nul ne saura jamais ce qui a bien pu leur arriver.
Particulièrement riche, le site d’Angeac a livré moult os de vertébrés identifiés, des fragments d’os par milliers ainsi que les fossiles d'une dizaine de plantes.
Chaque été, des fouilles sont organisées. Pelle à la main, scientifiques, étudiants et bénévoles ont en commun leur passion pour la paléontologie.  

Pour cette dernière visite, une reproduction de dent de dinosaure est offerte à chaque visiteur

Un climat tropical...

Le rideau s’ouvre au Crétacé, vers 130 millions d’années. La température d’alors est tropicale. Toute une faune (dont les dinosaures) a élu domicile dans cette région qui appartient aujourd'hui au département de la Charente. L'endroit conjugue étroitement l’eau et la terre.
La mer s’est retirée. A Cherves, par exemple, elle a laissé derrière elle une immense lagune d’eau salée, très allongée, qui s’étend d’Angoulême à la Rochelle environ, soit une centaine de kilomètres. Sous l’effet du soleil, l’eau salée s’évapore, d’où la précipitation du gypse (qu'exploite actuellement la société Garandeau). Peu à peu, cette lagune, à mi-chemin entre la mer d’Aral et les chotts d’Afrique du Nord, commence à recevoir l’eau douce continentale en provenance du Massif Vendéen et du Massif Central.

Angeac, zone chaude et humide, est alors proche de la mer !

Ere quaternaire (100.000 ans)

La future carrière d'Angeac correspond à un espace proche de la Charente dont le cours est différent de son tracé actuel (elle mesure plus d'un kilomètre de largeur). Plein de vivacité, le fleuve érode les couches argileuses de son lit qui abrite d'anciens ossements de dinosaures. Lesquels sont recouverts de sable et de graviers. Les courants mêlent les restes des uns et des autres, comme s'ils voulaient faire un pot commun des occupations successives. A cette époque, les gros "lézards" ont disparu pour faire place à des animaux plus acceptables par leur taille tel que l'éléphant antique. Sur les rives, l'homme de Néandertal expérimente ses outils sans se préoccuper du passé. L’importance pour lui est de survivre… 

XXe et XXIe siècles après J.C. 

Une infinité s'est écoulée, une goutte d'eau dans l'immensité du temps. La société Audouin, propriétaire d'une dizaine d'hectares de carrières à Angeac, est intriguée par des présences inhabituelles lors des extractions de graves, dont une défense de mammouth en 2004.
Le responsable alerte alors les scientifiques. Ils demandent à l'entreprise d'arrêter ses activités pour effectuer des recherches approfondies, ce qui pose problème. Les ossements (dinosaures et autres), malgré leur intérêt et leur rareté, ne sont pas protégés par la loi et peuvent donc être détruits par les carriers.
Les années passent. En 2008, une vertèbre de grand sauropode (dont fait partie le diplodocus) s'ajoute aux "pêches miraculeuses" et en janvier 2010, Jean-Pierre Paillot aperçoit un long fémur de 2,20 mètres dans le godet de sa pelle mécanique.
Jean-Marie Audouin et ses fils contactent le musée d'Angoulême. Le conservateur, Jean-François Tournepiche, se montre à la fois intéressé et compréhensif afin de ne pas entraver la bonne marche de la société.
Des fouilles d'une durée de quatre semaines sont programmées. Elles sont mises en place par Didier Néraudeau, professeur à l'université de Rennes. Ce fémur s’avère être l’un des plus grands au monde. La bestiole devait mesurer 40 mètres et peser 80 tonnes !

Reproduction du premier fémur de 2,20 mètres de longueur 
Un sacrum de dinosaure de plusieurs tonnes


Le sacrum extrait de la carrière d'Angeac en 2015
En juillet 2015, s'est ouverte la sixième campagne. Le gisement n'est exploitable qu'un mois de l'année, en été. En effet, dès que les pompes cessent leur activité, l'endroit est aussitôt recouvert par les eaux de la nappe phréatique. Cette protection naturelle évite aux "curieux" de se précipiter sur les lieux pour en ramener quelques trophées !
Dans l'argile grisâtre, épaisse de plus d'un mètre, les os et les bois sont dans un bon état de conservation. Les étudiants ont d'excellentes pistes à explorer, à commencer par la formation du gisement. « Nous cherchons à comprendre la dynamique du site. Dans les couches, on observe des variations ». Et la récolte n'est jamais stérile avec des trouvailles étonnantes, dents, griffes, vertèbres, morceaux d'arbres. « C'est vraiment intéressant ». 
Le sourire aux lèvres, Jonathan se souvient du jour où le fameux sacrum (bas du bassin) a fait un retour triomphial chez l'homme moderne : « en nettoyant des graves, nous avons constaté qu'un gros os effleurait. Nous l'avons dégagé et vu son importance, nous l'avons plâtré pour le protéger afin qu'il puisse être étudié. Il appartient à un spécimen géant ! ». Voir ce paquet minutieusement emballé s'élever dans les airs a quelque chose de surréaliste ! Le public est fasciné tandis que les fouilleurs ressentent une véritable émotion. Dès que l'engin pose la "momie" sur le sol, ils applaudissent : l'opération est réussie ! Ronan Allain, paléontologue au Museum National d'Histoire Naturelle et l'un des rares spécialistes des dinosaures en France, a travaillé à Angeac. « Le lieu est vraiment exceptionnel pour la connaissance ! Nous y avons localisé les éléments d'un dinosaure carnivore ainsi qu'une griffe assez gigantesque ! ». Plusieurs espèces d'iguanodons apparaissent ainsi que des ornithomimosaures, les fameux dinosaures à plumes !

Ornithomimosaure, fameux dinosaure à plumes, appelé Mimo

Jean-François Tournepiche, coordinateur des fouilles, soulignait la richesse du gisement : « c'est un chantier extraordinaire, un "aquasystem" fossilisé qui n'a pas d'équivalent en Europe. Il offre une grande potentialité de recherches ». D'autant qu'aux dinos et aux mammouths, s'ajoute un véritable bestiaire, des poissons, des requins d'eau douce, des mammifères, des végétaux dont des conifères. « Ne croyez pas que toutes les espèces étaient gigantesques, c'est loin d'être le cas » précise le spécialiste. Disons simplement que certains spécimens étaient hors normes !

Les ossements mis au jour sont protégés et étudiés. Les pièces les plus représentatives seront exposées en musée après avoir été sélectionnées par une commission d'experts. S'y ajouteront des expositions temporaires, des conférences et les thèses soutenues par des étudiants.

Trouvé en 2019, le fémur (enveloppé d’une gaine de protection) va rejoindre Angoulême pour être examiné. Particulièrement riche, le site d’Angeac-Charente a livré, en près de dix ans, 7500 os de vertébrés identifiés 


2019 : Bienvenue chez les XXXXL !

La grande découverte est un fémur de dinosaure de 2 mètres de long dont le propriétaire était un géant. « Nous fouillons une couche d’alluvions du Crétacé Inférieur déposés par la paléo-Charente. Le site à l’époque était une plaine au bord d’une rivière. L’endroit, humide et chaud, ressemblait à un grand marécage. Y poussaient de grands arbres. On y trouve des dinosaures, des tortues, des crocodiles, des moules d’eau douce, etc. Chaque os découvert est minutieusement lavé et répertorié » explique Rachel qui guide un groupe attentif à cet environnement particulier. 

Le site a révélé des dinosaures herbivores et carnivores. Des panneaux apportent des explications sur ces créatures gigantesques qui ont précédé l’arrivée de l’homme sur Terre. La configuration des continents interpelle et le fameux océan Téthys, maintenant disparu, qui séparait Gondwana et Laurussia (Amérique du Nord, Europe centrale-Nord, Russie) au Paléozoïque (- 541 à - 252,2 millions d'années), nous propulse dans une dimension inconnue. C’était pourtant la même Terre que celle que nous habitons. Enfin pas tout à fait ! 

En attendant d'en savoir plus, on peut imaginer cet univers si éloigné de notre quotidien ! Malgré l'évolution, l’homme se heurte toujours aux questions existentielles : « qui est-il, d’où vient-il et où va-t-il ? ». Dans sa quête, il dispose d‘éléments qui éclairent son (long) chemin...

Rachel montre une carapace de tortue
• Enlisés ? Les chercheurs ont fait un découverte : une quarantaine de jeunes dinosaures de la même espèce, des ornithomimosaures se déplaçant en troupeau, sont morts à quelques jours d'intervalle. Les causes ? Maladie, attaque de crocodiles ou autres prédateurs, incendie, enlisement ? Allez savoir ! Le fleuve d'alors a gardé le secret, ensevelissant leurs corps dans les sédiments. La mission des chercheurs est de faire "parler" ces témoignages.

• De nombreuses espèces de dinosaures ont été retrouvées à Angeac. En 2015, une tête de fémur pesant plus de 100 kilos a été mise au jour ainsi que des tibias d’ornithomimosaures, les fameux dinosaures à plumes, qui faisaient trois mètres de haut et cinq de long ! Les chercheurs ont surnommé cette bestiole "Mimo" ! Sans oublier le sacrum d'un sauropode de 40 mètres.

Angeac, dont les travaux se poursuivront encore quelques années, devrait être à l'origine de nouvelles publications.
Chaque os est minutieusement nettoyé par les "ratons laveurs" !
• Une vertèbre de mammouth peut cacher une vertèbre de dinosaure ! 

Des ossements datant du quaternaire, en particulier des défenses et des vertèbres de mammouth, avaient été découvertes dans la carrière d’Angeac. En 2008, Jean-Pierre Paillot, employé de la société Audouin, a remonté le temps en raclant avec sa pelleteuse le fond d'une partie inondée de la carrière. Il en a extrait une grosse vertèbre qu'il croyait appartenir à un éléphant fossile.
La trouvaille a été montrée au musée d'Angoulême dont le conservateur, Jean-François Tournepiche, a consulté un paléontologue, Didier Néraudeau, du laboratoire de Géosciences de Rennes. Ce dernier a reconnu une vertèbre de dinosaure sauropode, quatre fois plus grosse qu'une vertèbre de mammouth. Depuis, une campagne de fouilles a lieu chaque été à Angeac apportant son lot de surprises. Les prochaines auront lieu en septembre 2020.

• Pourquoi trouve-t-on des ossements de mammouths et de dinosaures que des millénaires séparent ?

La carrière Audouin exploite les graves déposées il y a 100.000 ans par l’ancêtre de la Charente (qui passait à proximité). Au fil du temps, des sédiments se sont accumulés dans son lit, sable, argile comme une pile d’assiettes horizontale (Jurassique, Crétacé, etc). Lorsque les plaques armoricaine et ibérique se sont heurtées en formant les Pyrénées, les sédiments ont été bousculés et les fossiles qui se trouvaient en amont se sont alors retrouvés pêle-mêle en aval.

Que de changements depuis le Crétacé inférieur ! A cette époque, la Nouvelle Aquitaine était sous l'eau !
• Différence entre la paléontologie et d’archéologie ? Toute découverte archéologique doit être déclarée aux autorités régionales. Ce n’est pas le cas pour la paléontologie (dinosaures, etc). Autrement dit, la fameuse vertèbre de dinosaure aurait pu être ignorée. Ce qui n’a pas été le cas, fort heureusement…

• Les dinosaures ont régné sur la Terre tout au long de l’ère Secondaire, c’est-à-dire pendant 160 millions d’années. Herbivores et carnivores, ils occupaient tout l’espace. La place restante pour les mammifères était donc réduite ! Brusquement, il y a 65 millions d’années, ils ont disparu vraisemblablement suite à l’impact d’une météorite géante. Les oiseaux descendent d’un certain groupe de dinosaures carnivores.

• Du bois avec de la pyrite, nommée l’or des fous, a été mis au jour sur le site d'Angeac


© Nicole Bertin

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