mardi 27 janvier 2015

Qui a tué le juge Michel ?
Le livre vérité
de Jean-Marie Pontaut et Eric Pelletier

« On meurt généralement parce qu'on est seul ou qu'on est rentré dans un jeu plus grand que soi. On meurt souvent parce qu'on doit agir de façon artisanale et que, n'étant pas soutenu, on est destiné à ramasser les balles » disait le juge italien Giovanni Falcone 

Par cette enquête fascinante dont Marseille est l’héroïne (on appréciera le jeu de mots), les journalistes Jean-Marie Pontaut et Eric Pelletier lèvent le voile sur une affaire qui largement défrayé la chronique. En effet, en octobre 1981, le juge Michel, alors âgé de 38 ans, est tué en pleine rue à Marseille par le « milieu » qu’il dérangeait considérablement. Les auteurs ont réalisé une longue enquête sur cet assassinat dont ils livrent les conclusions dans un livre paru chez Michel Lafon « Qui a tué le juge Michel ? »
Jean-Marie Pontaut et Eric Pelletier répondent à nos questions.



• Votre dernier ouvrage est consacré au Juge Michel que la mort a frappé brutalement dans l'exercice de ses fonctions à Marseille. Les commanditaires du meurtre sont longtemps restés une énigme. Depuis quand travaillez-vous sur le sujet ? 

Ce livre représente une année d'enquête, de reportage et d'écriture. Mais il n'aurait pas été possible de mener à bien ce travail sans les contacts de terrain noués au fil des années dans le domaine du journalisme d'investigation. Cette enquête sur les pas du juge a suscité des rencontres improbables, en France ou à l'étranger, avec les membres de la famille, du milieu, des magistrats, des policiers, des avocats... Tout cela raconte l'homme, la ville mais aussi l'époque.

 • Comprendre la disparition du juge Michel, c'est entrer dans la mafia du Sud de la France des années 80. Remonter les filières a-t-il été facile ? Comment avez-vous organisé votre enquête? 

Il faut d'abord s'imprégner de la musique. La partition, la "ligne de basse", reste le dossier judiciaire qui nous a été ouvert, dans son intégralité, à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. On a beau être habitués, cela représente un choc de se retrouver confrontés à ces originaux, à ces milliers de pages qui racontent un pan entier de l'histoire criminelle française. Il faut aussi s'intéresser au travail solide des confrères de l'époque. Non seulement pour les informations qu'il contient mais, d'un point de vue plus sociologique, pour ce qu'il montre de la société française à l'époque. L’un de nous deux a eu la chance de côtoyer professionnellement le juge Michel. L’autre a du replonger dans son histoire personnelle. Avec empathie mais en conservant une distance critique. Il faut s'efforcer de croiser les documents, dont certains inédits, et les récits puisque nous avons rencontré une bonne cinquantaine de personnes.

Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut, journalistes d'investigation
• On s'aperçoit qu'il avait beaucoup d'ennemis. Outre la pègre, des membres de la justice et du barreau n'étaient pas forcément de son côté... 

 Lors de ce "dernier été" vécu par le juge, en 1981, les choses semblent se précipiter. Après sept années de combat, dans ce laboratoire expérimental du droit qu'est devenu Marseille, il n'en peut plus. Il traverse une véritable dépression. Lui voudrait que ses dossiers avancent plus vite. Il se heurte à l'opposition féroce de certains avocats qui lui rendent coup pour coup. Pour la première fois, il fléchit sous le poids des soucis. Il est aussi victime de ses propres emportements, lui qui déteste le consensus. A cette époque, ce juge - admiré autant que détesté - est isolé. « On meurt généralement parce qu'on est seul ou qu'on est rentré dans un jeu plus grand que soi. On meurt souvent parce qu'on doit agir de façon artisanale et que, n'étant pas soutenu, on est destiné à ramasser les balles » disait le juge italien Giovanni Falcone. Une phrase prémonitoire : le 21 octobre 1981, alors qu'il rentre chez lui à moto pour déjeuner avec sa femme et ses deux petites filles, Pierre Michel est assassiné de trois balles de 9 mm.

 • Quel jugement portez-vous sur Tany Zampa et Homère Filippi ? 

 Zampa est l'ombre portée du milieu sur Marseille. Il est partout mais il demeure introuvable. C'est une grande tige noueuse, bourrée de tics, toujours sur le qui-vive. Un jour, il lâche à un policier qui vient de l'arrêter: « Je n'en peux plus de cette vie. C'est comme si j'avais fait dix Vietnam »… Il représente à lui seul le Milieu quand Michel incarne, aux yeux de bon nombre de journalistes, l'idéal de justice qui doit passer coûte que coûte. Ces deux géants, pense-t-on, sont faits pour se rencontrer. Mais ce face-à-face, contrairement à ce qu'évoque le film La French, n'aura jamais eu lieu. Au terme de notre enquête, nous parvenons à la conclusion que Zampa savait ce qui se tramait contre Michel et qu'il a laissé faire. Mais qu'il n'a pas donné l'ordre de l'abattre. Quant à Homère Filippi, condamné par contumace pour avoir commandité le meurtre, il est toujours officiellement en fuite. S'il est toujours en vie, ce qui est loin d'être certain, il a aujourd'hui 84 ans. Nous mettons en lumière ses liens avec le PS marseillais et avec les services de police, dont il était, selon toute vraisemblance, un indicateur.


• La mafia marseillaise a-t-elle évolué ? 

"Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change", résume Alain Delon dans Le Guépard. On pourrait filer la métaphore avec ce que vous appelez la "mafia marseillaise". Le milieu que combattait Michel a l'apparence d'un monde englouti. Ces trafiquants internationaux tournaient la morphine base au Liban pour les Syriens avant de sauter dans un jet affrété par la mafia italo-américaine qui se posait dans le désert d'Arizona. Ils placent alors leur argent en Suisse, spéculent sur le yen et le dollar, veulent prendre en main toute la filière pour ne plus être de simples "chimistes". Cette folie des grandeurs va d'ailleurs les perdre. Aujourd'hui, des gamins grandis au pied barres HLM des quartiers Nord ont remplacé les mômes des rues d'Endoume. Ils ont pris le contrôle du trafic, du "business". Vivre vite et mourir jeunes, voilà leur état d'esprit. Pour autant, entre ces deux générations que tout oppose, il y a un lien : la came - hier l'héroïne, aujourd'hui le cannabis et la cocaïne - celle qui détruit les corps et corrompt les esprits. Voilà pourquoi à Marseille, tout a changé. Et pourtant, rien n'a changé…

•  Que représente, pour un journaliste d'investigation comme vous, le juge Michel ? Quelles valeurs portent-ils à vos yeux ? 

Par bien des aspects, Pierre Michel a montré la voie aux juges d'instruction modernes. Il se spécialise. Il place l'indépendance au-dessus de tout. Nuque raide, il ne transige pas. Un seul exemple: ce magistrat issu d'un milieu plutôt conservateur adhère au Syndicat de la magistrature (gauche) et vote Mitterrand le 10 mai 1981, non pour des raisons idéologiques mais pour s'extraire du carcan de l'époque. Pour autant, on n'imagine pas aujourd'hui un juge d'instruction agir de la sorte: Michel recrute ses informateurs, défie les trafiquants jusque dans la salle d'audience... A l’époque le juge d'instruction était encore l'homme le plus puissant de France puisqu'il détenait à lui seul le pouvoir de la détention. Depuis 2004, dans le domaine de la criminalité organisée, le législateur a choisi de créer des juridictions spécialisées pour favoriser le travail en commun. Pour que le juge d'instruction ne soit pas isolé. Pour éviter qu'il ne devienne une cible comme le fut Pierre Michel en ce 21 octobre 1981.


• Aujourd'hui, un juge pourrait-il être assassiné dans les mêmes conditions que le juge Michel s'il s'intéressait de trop près aux trafics de drogue et à la manière dont on blanchit l'argent qui en résulte ?... 

 A Marseille, ces dernières années, il y eut une ou deux alertes de ce type. Des informations alarmantes sont remontées du milieu si bien que des protections policières discrètes ont été mises en place. Le trafic de drogue génère de tels profits que le risque est toujours présent.

• Pour conclure, que pensez-vous du film "La French" où Jean Dujardin tient le rôle du juge Michel ?  

C'est un polar qui restitue avec minutie l'atmosphère de l'époque. Quant à la fidélité à l'esprit de Michel c'est autre chose. Nous ne nous attendions pas à un documentaire mais il y a beaucoup d'erreurs d'un point de vue biographique: Michel n'a jamais rencontré Zampa, il n'a jamais été joueur de cartes, sa femme ne l'a jamais quitté, elle n’a jamais pleuré sur son corps dans la rue, il n’y a jamais eu d’équipes de policiers marseillais corrompus qui ont travaillé dans le dos du juge. Et, plus gênant, on trouve aussi quelques contre-sens : comment l'imaginer quémander un dossier dans le bureau du ministre de l'Intérieur Gaston Defferre ?…   

Propos recueillis par Nicole Bertin

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je me suis passionné pour cette affaire.A l'époque , j'étais jeune,j'habitais Marseille et j'ai" croisé "par hasard Jacky le Mat..Après avoir revu La French, cela m'a donné envie de lire:"Qui a tué le juge Michel", surtout après lu les questions posées aux 2 journalistes...En effet à chaud ,il était difficile de discerner le vrai du faux...