Mardi 17 septembre, seront célébrées à 13 h 30 en l'église de Montendre les obsèques d'Henri Lathière qui dirigea longtemps l'entreprise Montelec. Bien connue dans la cité des Pins dont il a été conseiller municipal de l'équipe Augier, Henri Lathière a toujours incarné le courage et l'humanisme à travers les différentes actions qu'il a menées, dont le jumelage de Montendre avec la ville allemande de Sulz am Neckar. Il a également présidé le Tribunal de Commerce de Jonzac, avant que celui-ci ne ferme ses portes selon les volontés gouvernementales de l'époque.
Il est parti rejoindre son frère disparu en août dernier. Nous adressons nos sincères condoléances à son épouse et à sa famille.
• Retour sur la fermeture du Tribunal de Commerce de Jonzac en l'an 2000 :
En début de semaine, les juges composant le Tribunal de Commerce de Jonzac ont tenu leur dernière séance. En Charente-Maritime, le Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, a décidé la suppression, au 31 décembre 1999, des instances de Jonzac et de Saint-Jean-d’Angély. Celle de Marennes a échappé de justesse au couperet. « A quoi bon continuer à siéger jusqu’à la fin de l’année ? » déclare le président Henri Lathière qui prône la démission ainsi que ses collègues. Les affaires seront désormais traitées par le Tribunal de Commerce de Saintes « d’où un encombrement certain, les locaux n’étant pas suffisamment spacieux pour accueillir les dossiers et les archives des deux villes voisines » dit-il. La situation semble bien trouble en cette fin de millénaire...
Lundi après-midi, une certaine émotion régnait au Tribunal de Commerce de Jonzac. Emotion ? Les juges consulaires se réunissaient pour la dernière fois dans la capitale de la Haute-Saintonge. Ainsi l’a décidé le Ministre de la Justice qui souhaite réorganiser cette vieille institution en y introduisant des juges professionnels. La préoccupation d'Elisabeth Guigou est simple : Malgré leur bonne volonté et leur disponibilité, arti sans, commerçants et chefs d’entreprises ne peuvent remplacer un “vrai” magistrat dont la connaissance du droit est évidente.
Cette réforme était dans l’air du temps, il est vrai. La parution du livre d’Antoine Gaudino, “La mafia des tribunaux de commerce”, a mis le feu aux poudres. Selon cet ancien policier (1), ces messieurs privilégieraient les uns plutôt que les autres et l’on assisterait parfois, non pas à des liquidations, mais à des curées où des “prédateurs” (Bernard Tapie serait assez doué dans ce genre d’exercice !) rachèteraient pour des bouchées de pain de fort belles unités. Les syndics ont également été égratignés. Comme vous pouvez le supposer, de tels écrits n’ont pas été appréciés par les intéressés, choqués par ces attaques jugées « calomnieuses ».
« Nous sommes tous des bénévoles. Comment peut-on remettre en cause et sans preuves notre honnêteté et notre dignité de citoyen ? » s’exclamaient, il y a encore peu de temps, les juges consulaires de Charente-Maritime. « Évidemment, ajoute Henri Lathière, les brebis galeuses existent partout. Pourquoi y échapperions-nous ? Si des mandataires ont commis des actes répréhensibles, c’est à la justice de trancher ».
Au fil des mois, le mouvement de contestation a pris de l’ampleur. A ce jour, trente deux tribunaux ont donné leur démission, sans compter ceux dont une partie seulement a rendu son tablier. Jonzac vient de suivre. Au 1er janvier 2000, Henri Lathière ira rejoindre le Tribunal de Commerce de Saintes où il a été élu. Toutefois, il émet une réserve : « Si le Gouvernement persiste, une démission collective dans la cité santone n’est pas exclure ». Gérard Saliba a déjà donné l’exemple. Dominique de la Taste, l'actuel président, pourrait bien l’imiter si la “conjecture” ne s’améliore pas. Quant autres aux juges jonzacais, ils préfèrent rejoindre leurs occupations habituelles, c’est-à-dire leurs entreprises respectives.
Pourquoi cette réforme «inutile et incomprise» ?
Dans un long discours, devant le greffier, les avocats, dont Me Bot, bâtonnier du Barreau de Saintes, les huissiers et quelques personnalités, Henri Lathière a cherché à comprendre les motivations du Gouvernement : « Nous sommes face à un pouvoir politique qui n’admet pas le dialogue, qui impose la loi, je dirais sa loi au mépris du service rendu, de la loyauté et de la compétence des juges. L’esprit jacobin doit-il entraîner une centralisation accrue de service public sous la seule responsabilité d’hommes et de femmes issus de la fonction publique écartant par là-même les représentants de la société civile ? S’il en est ainsi, on s’apprête à violer l’article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ». Déjà, lors de Assises Nationales de 1997, le président Mattéi avait dénoncé les manœuvres qui cherchaient à déstabiliser les tribunaux de commerce : « Peut-être, ce jour là, aurions-nous dû laisser nos robes sur les fauteuils, mais la décision de la conférence avait fait appel à notre sagesse »...
L’année suivante, lors du Congrès de Grenoble, le changement s’annonçait : « l’incompétence, le copinage, le manque de formation, l’inadaptation à une justice commerciale moderne, la lenteur des tribunaux, tout un arsenal motivait la nécessité de modifier la loi. Pas un mot “gentil” ne fut prononcé à l’égard de ces femmes et de ces hommes, tous bénévoles et intègres qui servent le justice en toute indépendance ».
Face à cette situation qui suscitait des inquiétudes, la Chambre de Commerce et d‘Industrie de Rochefort sensibilisa les élus au problème. Des courriers leur furent adressés. Seuls cinq d’entre eux répondirent : « Aucun élu de l’arrondissement de Jonzac n’a manifesté le moindre intérêt, ni de soutien particulier aux juges qui ont toujours assuré ce service de proximité indispensable en milieu rural ». Aucune campagne électorale ne pointant à l’horizon, ceci explique peut-être cela !!!
Le récent congrès des Tribunaux de Commerce, organisé à Bordeaux en octobre dernier, aurait vu, selon des participants « l’arrivée de quelques surexcités encouragés par M. Gaudino à la tribune et une lettre de M. Colcombet, membre de la commission parlementaire, encourageant les contestataires derrière la bannière du CIDUNATI »...
Henri Lathière et ses collègues se disent écœurés par ce qu’ils ont vu et entendu : « La commission Bernard Barbusiaux reconnaît le rôle des juges consulaires, mais elle estime qu’il est préférable de placer les Chambres de contentieux général et l’ensemble des procédures collectives sous l’autorité d’un juge de carrière ». Sous entendu : juge rémunéré tandis que les autres ne perçoivent aucune indemnité. « La suppression des petits tribunaux privera les justiciables d’un service de prévention mis gratuitement à leur service et d’une justice de proximité ». En effet, dès l’an prochain, les habitants du Sud-Saintonge devront se rendre à Saintes pour leurs affaires, ville agréable bien qu'éloignée de Saint-Aigulin...
Jonzac, c’est fini !
Jonzac, comme Capri, c'est fini ! L’ultime séance avait quelque chos e d'inhabituel, comme une pièce de théâtre qu’on ne jouera plus. Me Pimparé, qui connait bien les lieux, était pensif à l’évocation des souvenirs d’antan. Michel Belot, qui présida le Tribunal durant de nombreuses années, avait répondu présent. Par contre, on a regretté l’absence de Renée Zanchetta, l’unique femme à avoir été juge consulaire. La scène était triste, il faut bien l’avouer ! Les avocats, qui s’apprêtaient à plaider, durent se rendre à l’évidence : leurs dossiers seraient étudiés à Saintes.
Henri Lathière était conscient de l’aspect “pathétique” de ce dernier acte : « Que pouvons-nous faire ? Défendre une cause, nous avons essayé et échoué. Dans le passé, d’autres avaient réussi, en particulier Mme Cluzel, greffier. En 1975, bénéficiant du soutien local, elle avait reporté la fermeture du Tribunal. Je pense au gâchis qui se profile à l’horizon : ici, nous avons des locaux en bon état et la ju stice y était peu onéreuse. Les jugements rendus ne donnaient lieu qu’à quelques recours en appel où, le plus souvent, ils étaient confirmés. Un suivi des entreprises fragiles avait mis en place. Pourquoi cet acharnement à tout détruire ? ».
La question reste posée ! A ce jour, en réponse à la réforme engagée, trente deux tribunaux ont cessé leurs activités, 662 juges ont démissionné.
Avant de clore définitivement l’exercice, Henri Lathière remercia ses prédécesseurs MM. Grandmoursel, Micheneaud, Belot, les greffiers, M. Maffioly , Mme Binnié Mafioly, le secrétariat, sans oublier les services civils de l’Etat, le procureur Claude Montillet, les mandataires et auxiliaires de justice, les C.C.I, le Barreau de Saintes et les autorités militaires. Et de conclure : « Le prix Goncourt vient d’être décerné à Jean Echenoz pour son ouvrage “je m’en vais”. Pur hasard d’actualité ! Notre récompense, à nous, c’est la fierté d’avoir servi la cause publique ».
Me Bot, bâtonnier, s’associa aux préoccupations du président face à la gravité de évènements. Ne remettant pas en cause les décisions gouvernementales, il s’interrogea sur leur absolue nécessité : « Des problèmes sont apparus dans les grandes juridictions, mais pas dans les petites comme Jonzac ou St-Jean d‘Angély qui sont à taille humaine. Je ne saisis pas très bien le sens de la manœuvre »... Imposer un magistrat professionnel est un choix politique compréhensible. Toutefois, il est à noter que le procureur a toujours eu la possibilité d’assister aux débats.
«Le courage est une vertu à protéger à côté de la justice » souligna-t-il après avoir salué le travail effectué par les juges.
Et le rideau tomba. Henri Lathière et ses collègues tirent leur révérence : « nous organiserons un verre de l’amitié en fin d’année. Il faut garder le moral ». Tant qu’il y a de la vie , il y a de l’espoir, dit-on. Après tout, il est encore permis de rêver !
1 - En d’autres temps, Antoine Gaudino était venu à Saujon démontrer qu’Urba, la pompe à sous du Parti Socialiste, avait été impliquée dans la construction de la salle des fêtes ! Il y avait eu une certaine animation, ce jour-là...
Henri Lathière et son successeur au Tribunal de Commerce de Saintes Gérard Saliba |
Il assumera ses fonctions à Jonzac jusqu’au 31 décembre prochain mais « sans juges, aucune des audiences planifiées n’aura lieu ». Ce qui explique pourquoi, lundi dernier, les avocats sont repartis avec leurs dossiers sous le bras...
• L’histoire des Tribunaux de Commerce
En avril 1560, Catherine de Médicis confie à Michel de l’Hospital la charge de chancelier de France. Aspirant à la gestion des affaires publiques, il devient chef de la magistrature (garant du bon fonctionnement de la justice), conservateur des lois, défenseu r du peuple (par sa fonction irrévocable, contrairement aux autres ministres) et législateur. Il croit à la raison et aux lois qui sont les seules armes du peuple. Il ne cesse de prôner la paix et invite les Français à vivre paisiblement “comme frères et amis”. Au XVIIIe siècle, le philosophe Concorcet dira à son sujet : « lorsque tous ne songeaient qu’à établir leur fortune sur les malheurs publics, seul il veillait sur le pays ».
Née au XVIe siècle, la justice des marchands traversa l’Ancien Régime. La Révolution ne changea rien à la justice consulaire . La compétence des tribunaux n’a jamais été remise en cause face à l’évolution industrielle. Après la Deuxième Guerre, ils ont participé à leur façon au redressement de la France, souvent à la demande des pouvoirs publics. Ils restaurent les bonnes mœurs commerciales, garante de la prospérité des affaires, l’une des grandes préoccupations des années 40 à 50. En 1948, le Ministre André Marie demande que les jugements rendus servent d’exemple à la jeunesse :« il n‘est pas possible qu’un luxe scandaleux puisse s’étaler et que des gens qui ne le méritent pas continuent à s’enrichir. Il n’y a qu’un seul travail qui paie, le travail honnête ».
Le rapprochement avec les juridictions professionnelles intervient en 1970 : les magistrats du Parquet peuvent faire connaître leurs points de vue. Avec le temps, les juges consulaires se transforment en “médecins” de l’entreprise. L’importance de leur rôle conduit l’Etat à assurer leurs dépenses de fonctionnement à compter de janvier 1987. En 1983, la préférence de la chancellerie pour une formule proche de l’échevinage s’était affirmée. Les juges consulaires avaient alors refusé cette option avec l’appui des organisations (CNPF, APCCI CGPME). Aujourd’hui, une nouvelle réforme est engagée et de nombreux petits tribunaux vont fermer leurs portes.
Jonzac : Au XIXe, Henri Brisson, ministre de la Justice, autorisa la création du Tribunal de Commerce de Jonzac au Journal Officiel du 16 décembre 1885. Il fut installé deux ans plus tard , le 25 novembre 1887. A l’époque, il se composait d’un président, de quatre juges titulaires et de quatre juges suppléants. En 1975, il rencontra des difficultés. La communauté fit front et il survécut. Il a fermé définitivement ses portes le 31 décembre 1999.
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