dimanche 8 septembre 2013

La migration des Vendéens
en Haute-Saintonge :
Au champ la vache !


Belle affluence au cloître des Carmes de Jonzac pour assister à la conférence de François Julien Labruyère organisée par l'Université d'été. Il y fut question de l'installation des Vendéens dans notre région, thème d'un ouvrage collectif publié par cet éditeur qui présida durant de nombreuses années l'Académie de Saintonge. Il répond à nos questions.

• La première vague des Vendéens s'installant en Charente-Maritime correspond à l'après-crise du phylloxera. Parlez-nous de cette période un peu particulière ? Pourquoi ces hommes ont-ils quitté leur terroir d'origine ?

Depuis des siècles, existent des échanges saisonniers - on disait des remues – entre Vendée et Charentes, notamment les brigades de vendange. Ces liens favorisaient la connaissance du pays charentais et attraction de celui-ci, il est évident que lorsque la crise phylloxérique s’est développée, surtout dans la partie qu’on appelle périphérique – les « bois » qui étaient spécialisés en eau-de-vie annuelle, c’est-à-dire sans stocks –, cette attraction ancienne s’est transformée en véritable appel d’air. Les remues saisonnières ont alors créé un grand mouvement de migration définitive. En effet, les villages vignerons n’ayant plus de ressources, ils se sont dépeuplés, surtout en Aunis et Basse-Saintonge. Les terres en friche ont attiré des paysans vendéens qui étaient alors en surnombre et ont décidé de tenter leur chance au sud. Ils avaient d’ailleurs une double spécialité professionnelle qu’ils ont apportée avec eux et que les Charentais ignoraient : l’élevage et le labour profond. Rappelons-nous de ce qu’écrivait Geneviève Fauconnier, installée au Cru, à Saint-Palais-de-Négrignac : « Cette façon qu’ont les Vendéens de chanter leurs bœufs pour les mener sillon droit et profond, ce qu’aucun Saintongeais n’aurait alors osé prétendre ». Cette première migration atteint son maximum entre 1890 et 1910 ; elle est d’abord le fait de grands propriétaires charentais qui envoient des placiers sur les foires de Vendée pour recruter des domestiques. Ceux-ci s’installent et font venir des gens de leur famille ou de leur village. Puis, en trois générations, les domestiques deviennent métayers. Leurs enfants prennent des exploitations à ferme et leurs petits-enfants achètent des exploitations. Tout cela, grâce à un travail de tous les instants, "au champ la vache" comme on disait.

Labours à Saint-Antoine (Bois) vers 1905
• Quand la seconde migration a-t-elle eu lieu ?

Les migrations de familles individuelles n’ont pas réellement cessé pendant l’entre-deux-guerres, mais le second temps de grande migration vendéenne date des années 1945 à 1965. Il est alors parfaitement organisé par la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) et par des syndicats de migrants qui l’encadrent et l’appuient par des mises en relation avec les vendeurs de terres, la SAFER et le Crédit agricole pour l’équipement des exploitations. Autant la première migration a surtout concerné le nord du département de Charente-Maritime, autant la seconde a touché le sud, Haute-Saintonge (et sud de la Charente, ainsi que Confolentais pour les terres d’élevage). L’intégration des Vendéens de cette seconde migration a été plus courte et s’est généralement effectuée en deux générations.
L'intégration des Vendéens dans un milieu rural assez fermé a-t-elle été facile ? Qu'ont-ils apporté ?
L’accueil des Vendéens, surtout ceux de la première migration, a été particulièrement difficile. Ce qui se comprend aisément : les Charentes sont en pleine crise et acceptent mal que des « étrangers » leur prennent leurs terres et changent radicalement leur agriculture. En quelques années, on passe d’une polyculture dominée par la vigne à un pays d’élevage laitier et coopératif : le mythe de la richesse du cognac cède le pas au beurre des Charentes. Ce qui est une véritable révolution. D’où la difficulté de relations entre des Vendéens "battants" qui réussissent et des Charentais qui se sentent "déclassés" par la crise et le changement. Une véritable opposition se crée entre deux modèles d’agriculture et deux modèles familiaux ; il en résulte pendant des années des frictions (mépris, réputations infondées, injures réciproques, ségrégation pour les mariages, etc).

A Pons en 1950
• Durant la conférence, vous avez parlé de familles "nucléaires". Pourriez-vous être plus explicite ?
Les anthropologues savent parfaitement que la France se partage en deux grandes zones de comportement familial : au Nord (Bassin parisien, grand Ouest), domine le modèle de la famille nucléaire, au Sud (Bassin aquitain, Massif central), domine le modèle de la famille souche. La famille nucléaire est celle où chacun des enfants – souvent nombreux – se débrouille pour mener sa propre vie, sa propre destinée. La famille souche privilégie l’héritage à la formation personnelle des enfants.
Les conséquences en sont le maintien à la maison de l’héritier jusqu’à la mort des parents et la tendance à limiter le nombre des enfants. Les puinés devenant domestiques, le plus souvent ailleurs. La Vendée – surtout celle du Nord du département – est le dernier territoire vers le sud de la zone des familles nucléaires ; les Charentes sont le premier territoire vers le nord de la zone des familles souche. Si on ajoute à cela un attachement fort à la pratique religieuse en Vendée et une déchristianisation charentaise ancienne, la confrontation de ces deux anthropologies opposées ne pouvait que créer des incompréhensions, donc des oppositions.

Intéressant !
• Vous avez consacré un ouvrage à cette migration aux éditions du Croît vif. Quelles sont les raisons de ce choix ?

Le contenu de ma conférence sur la migration des Vendéens fait partie d’un ouvrage collectif qui s’appelle "Migrants et immigrés en Poitou-Charentes, d’hier à aujourd’hui". J’y ai participé en tant qu’auteur et en tant que coordinateur. Ce livre est original à plusieurs titres : il traite du phénomène de la migration au niveau régional alors que toutes les études sur ce sujet n’étudient que le niveau national et se focalisent le plus souvent sur le problème de la nationalité, ce qui est partiel et conflictuel ; il rapproche les migrations anciennes des actuelles en mettant en évidence leurs caractères communs et il mélange sciemment les migrations interrégionales à celles en provenance de l’étranger, là aussi en montrant leurs similitudes. Le Poitou-Charentes est donc aujourd’hui la seule région française à bénéficier d’une telle étude et j’en suis fier en tant qu’éditeur. Pour en revenir aux Vendéens et conclure avec eux, il est clair qu’il s’agit d’une migration emblématique pour toutes celles qui l’ont accompagnée au XIXe siècle (Limousins, Auvergnats) ou suivie jusqu’à aujourd’hui (dans l’ordre chronologique : Italiens, Espagnols, Marocains, Portugais, Algériens, Turcs et Africains subsahariens).


Ce livre est dédié à deux migrants célèbres ayant choisi les Charentes. Récemment la grande tragédienne Maria Casarès (1922-1996) qui raconte dans ses mémoires qu’elle n’a jamais voulu devenir française parce que ses racines étaient espagnoles avant qu’elle se rende compte qu’elles s’étaient transformées en racines charentaises avec sa maison d’Alloue (en Confolentais), ce qui lui fit alors demander la nationalité française, après cinquante ans de vie comme étrangère en France ; anciennement Élie Vinet (1509-1587), un des grands humanistes français ayant publié dans toute l’Europe, devenu le recteur de l’université de Bordeaux alors qu’il est né à Barbezieux et a connu "les champs la vache" comme petit-fils de "Vendéen" venu défricher le pays charentais après la fin de la guerre de Cent Ans. Dans ses œuvres, il signait Élie Vinet Xaintongeois. En ce sens, il est le père de toutes les migrations dirigées vers le pays charentais, notamment la Vendéenne, et le symbole de leur réussite exceptionnelle.

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