Se mirant dans les eaux claires du Bruant, le château de La Roche-Courbon est un lieu romantique. Pourtant, après avoir connu des heures de gloire, il faillit mourir dans l’oubli. Sans l’appel que lança Pierre Loti dans le Figaro, que serait devenue cette belle demeure et ses bois alentours ? Cette année, une visite « particulière » rend hommage à l’écrivain dont on fête le 90ème anniversaire de sa disparition.…
Certains lieux sont habités depuis toujours. A Saint-Porchaire, le site de la Roche-Courbon abrita les premiers hommes en ses grottes il y a plus de 100.000 ans. Plus tard, beaucoup plus tard, les pèlerins de Saint-Jacques, venant de Rome, donnèrent à leur étape le nom de Romette.
Le premier château construit au XIIe siècle, que la Guerre de Cent ans ruina, fut ainsi baptisé. A la fin du XVe siècle, sur le fief de la Roche, Jehan de Latour édifia une nouvelle construction, le protégeant de ses assaillants par « quatre tours puissantes et un donjon massif ».
Au XVIIe siècle, l’un des héritiers de la famille Courbon, Jean-Louis, transforma l’édifice, trop austère à son goût, en élégante demeure. Le tableau du peintre hollandais Hackaert, que l’on peut admirer dans l’un des salons, montre La Roche Courbon sous ses plus beaux atours. On imagine fêtes et divertissements dans les jardins à la Française dessinés - vraisemblablement - par La Quintinie. Un honneur puisque l’architecte paysagiste de Louis XIV, né à Chabanais, travailla avec Le Nôtre à la création du potager du Roi à Versailles ! Cette époque marqua l’apogée du château.
La suite fut moins réjouissante. Un vent mauvais vint contrarier les projets des différents occupants. Charlotte de Courbon Blénac porta l’estocade au domaine. Ses dépenses somptuaires entraînèrent sa vente le 31 décembre 1817. Funeste Saint-Sylvestre !
Vendue, répudiée, la propriété de La Roche Courbon s’enferma sur elle-même et s’endormit en l’attente du prince qui viendrait la réveiller. Les fenêtres se fermèrent et les jardins, dit-on, furent réduits « en taillis ou labours ». Aux alentours, les bûcherons, travaillant pour un négociant en eaux-de-vie, coupèrent la forêt.
L'appel lancé par Loti dans le journal Le Figaro |
Pour attirer l’attention des lecteurs du Figaro, il cherche un titre accrocheur et invente « le château de la Belle au Bois Dormant ». La légende est née.
Pierre Loti (collection particulière Didier Catineau) |
Loti, défenseur de l’environnement
et du patrimoine
et du patrimoine
Le premier appel «écologiste» de Loti en faveur de La Roche Courbon paraît le 21 octobre 1908 dans le Journal des Débats et le Figaro. L’écrivain est inquiet. On détruit la forêt pour en faire du charbon de bois, combustible très utilisé en Europe.
Cette « bouteille à la mer » reste lettre morte. La France est à l’aube de la Première Guerre Mondiale et la période n’est guère propice aux investissements. Le second message, par contre, est suivi d’effet.
En 1920, Paul Chénereau, industriel spécialisé dans l’alimentaire à Rochefort, se porte acquéreur. Son fils, qui porte le même prénom, marche dans les pas paternels. Polytechnicien entreprenant, il développe l’usine familiale, implante des pêcheries au Maroc, des conserveries à Madagascar et crée, en 1925, la société de La Roche Courbon avec son père et l’un de ses frères.
Collectionneur avisé, esthète, il entreprend de rénover le château et demande aux bûcherons d’arrêter leur cognée. Fasciné par la Roche Courbon, Paul Chénereau lui rend la flamme des siècles passés. Il est parfois difficile de décrire les sentiments invisibles, mais ô combien puissants, qui unissent certains êtres aux édifices qu’ils ont choisis. Certains parlent de prédestination, d’autres d’alchimie : les réponses restent subjectives, mais il semble évident que de telles "fusions" existent entre la pierre et l’esprit !
Le tableau d'Hackaert restauré |
De 1928 à 1937, Ferdinand Duprat travaille d’arrache pied pour composer un environnement harmonieux et agréable. Jardins, pièces d’eau, escalier monumental, statues. La Roche Courbon ayant retrouvé son élégance, les portes s’ouvrent au public. Les premiers visiteurs s’enthousiasment. Parmi eux, se trouve Cavarlho, l’un des fondateurs de la Demeure Historique.
Après la Seconde Guerre Mondiale, la famille Chénereau remarque, avec inquiétude, que les jardins s’enfoncent inexorablement. Le marais avale doucement mais sûrement tous les aménagements plantés sur son échine. L’échauguette est révélatrice du phénomène : elle glisse de trois à quatre centimètres par an. Des remblais sont alors déposés dans les secteurs les plus fragiles. La situation s’aggrave à tel point que d’importants travaux sont nécessaires. C’est alors que Jacques Badois, le gendre de Paul Chénereau, entre en scène...
Les jardins de La Roche Courbon sauvés et réaménagés |
Les seuls jardins au monde sur pilotis
Jacques Badois épouse la fille de Paul Chénereau en 1958 : « En épousant Marie-Jeanne, je me suis marié avec La Roche Courbon. Je vis une sorte de bigamie, mais ne le répétez pas ! » avouait-il en riant.
Comme son père et son grand-père, qui connaissait bien Gustave Eiffel, il était ingénieur. Diplômé de l’Ecole Centrale, il avait le sens des responsabilités. Travaillant dans la métallurgie, il avait dirigé à Pamiers l’usine de Creusot-Loire qui employait quelques 1500 salariés.
Jacques Badois s’entendait bien avec son beau-père Paul Chénereau : « Nos deux caractères étaient complémentaires. Il lançait les idées et j’étais chargé de les concrétiser. J’aimais beaucoup travailler avec lui. Nous avions le même objectif : que La Roche Courbon vive pleinement ! Personnellement, il y a une formule que j’aime bien et que j’aie accommodé à ma manière. Si tu aimes ton prochain, apprends-lui à pêcher. La Roche-Courbon devait apprendre à pêcher, c’est-à-dire à trouver son autonomie ».
En 1967, Jacques et Marie-Jeanne Badois, prenant les rênes de la vaste propriété, axent leurs efforts sur le développement touristique : « Nous avons eu dix ans de gestion rigoureuse, sans possibilité de créativité. Le Château était en bon état et nous avons continué à l’améliorer » soulignait le propriétaire.
Les jardins, un cadre enchanteur |
Le sauvetage des jardins fut « le plus gros morceau ». La nature voulait reprendre ses droits et la solution était de rechercher des assises plus stables. Des sondages eurent lieu. Résultat : il fallait creuser jusqu’à dix mètres de profondeur pour trouver la roche dure. En raison des difficultés, un plan d’exécution fut établi. L’installation d’un ponton en béton armé facilita le passage des engins. Reposant sur des pieux, un plancher permit de restituer maçonneries, gazons et allées.
Il y a quelques années, lors de la réunion annuelle de l’Académie de Saintonge dont il était membre, Jacques Badois avait expliqué les détails de cette « intervention » qui constituait un sacré défi !
Un château pour Pierre Loti
Aujourd’hui, Christine Sébert et son époux Philippe ont succédé à Jacques et Marie-Jeanne Badois. Tout au long de l’année, ils ne ménagent pas leurs efforts pour valoriser La Roche Courbon en proposant des rendez-vous originaux.
Parmi les visites passions, celle qui est dédiée à Pierre Loti mérite l’attention. Elaboré avec Didier Catineau, journaliste, ce rendez-vous se veut d’abord vivant et plein d’entrain. Le retour de Loti à La Roche Courbon résulte d’un hasard de circonstance. En effet, à Rochefort, la maison de Pierre Loti, musée recevant entre 30.000 et 40.000 entrées par an, doit faire l’objet d‘importants travaux. Conséquence (fâcheuse), sa réouverture n’est pas prévue avant au moins dix ans. Plutôt que de laisser les collections sommeiller, les responsables ont accepté de prêter des objets à La Roche Courbon dont des armes, des effets personnels, des photographies anciennes et la tenue albanaise portée par Loti lors de sa rencontre avec Aziyadé ! La visite vaut le détour.
Pierre Loti en tenue albanaise, vêtement que l'on peut découvrir au château de la Roche Courbon |
Le magnifique cabinet des peintures dont les œuvres furent commandées par Jean Louis de Courbon |
Bonne visite ! |
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