dimanche 29 juillet 2012

Pierre Joxe,
l’avocat des mineurs délinquants


Depuis mars  2010, Pierre Joxe, ancien ministre de François Mitterrand, est avocat au barreau de Paris où il se consacre uniquement au droit pénal des mineurs et aux commissions d’office, quand les familles sont sans ressources. Pourquoi s’est-il engagé dans cette nouvelle croisade ? En 2004, il explique qu’il a failli démissionner du Conseil Constitutionnel « tant la décision de la garde-à-vue, issue de la loi Perben II, lui semblait choquante sur le plan juridique ».
Il a brisé le silence en publiant « Cas de conscience », un livre aux opinions différentes pour lequel il a reçu le prix Jean Zay. Cette année, un nouvel ouvrage est paru chez Fayard
«
 Pas de quartier ? » délinquance juvénile et justice des mineurs. Il y relate, entre autres, une dizaine d’affaires auxquelles il a assisté. « J’ai vérifié la coïncidence de plus en plus frappante entre relégation urbaine, misère sociale et délinquance juvénile » dit-il.
Pierre Joxe répond à nos questions :


• Vous venez de sortir chez Fayard un livre intitulé « Pas de quartier ? ». Vous y attirez l’attention des lecteurs sur le cas des mineurs délinquants…


En effet, peu de gens connaissent la justice des mineurs parce qu’elle n’est pas ouverte au public. On ne peut pas entrer dans un tribunal pour enfants, sauf si l’on est avocat ou éducateur. Les journalistes ne peuvent pas assister aux audiences. C’est nécessaire pour protéger l’anonymat des enfants, mais c’est malheureux parce que l’opinion n’est pas informée de ce qui se passe dans ces tribunaux. J’ai donc fait ce livre pour informer en premier lieu.
J’ai été dans une douzaine de tribunaux en France ainsi qu’à l’étranger, Espagne, Autriche, Suisse, Belgique et États-Unis. J’ai pu constater qu’en France, c’est une justice qui marche bien. Elle a des résultats positifs : 80 % des mineurs interpellés ne récidivent pas. Toutefois, c’est une justice qui est mise en danger par une diminution des effectifs.
J’ai souhaité alerter l’opinion pour qu’elle se pose la question : quelle est la bonne orientation ? Est-ce celle qui a été conclue depuis presque un siècle qui consiste à se rapprocher de plus en plus des fonctions éducatives, c’est-à-dire que les éducateurs encadrent les enfants pour les empêcher de devenir de grands voyous ou est-ce de réprimer et de les envoyer en prison directement ? Je pense que poser la question, c’est y répondre. J’essaie de jouer ce rôle d’information.

• Quand s’est produit le « déclic » ?

J’étais au Conseil Constitutionnel quand les lois Perben I en 2002 et Perben II en 2004 sont sorties. Je raconte dans mon livre comment ces deux lois successives attaquent le système. En quittant le Conseil constitutionnel, j’ai décidé, étant ancien magistrat, de me consacrer à la justice des mineurs en devenant avocat bénévole.

• Vous avez assisté à de nombreux procès. Comment les jeunes ressentent-ils la faute ? Comme un acte ordinaire, de façon virtuelle en raison des jeux vidéo. Ont-ils conscience qu’ils ont dépassé les limites permises par la société ?

Plusieurs cas existent en effet. Certains commettent des délits parce qu’ils en ont besoin ; d’autres parce que c’est une transgression, un moyen de s’affirmer, de faire comme les copains. Enfin, il y a ceux qui y sont poussés. Par exemple, un gosse à moitié abandonné, dont la famille est inexistante, peut être tenté de faire le guet pour des trafiquants de drogue qui lui proposeront 50 euros. Il le fera parce que personne ne l’encadre et ne s’occupe de lui. Dans de nombreux délits de jeunes, il y a une responsabilité de la société.

Comment ressentent-ils leurs délits ?


Beaucoup n’ont pas l’impression qu’ils en commettent vraiment un. Le rôle éducatif est donc important. Il faut qu’on leur explique. Ils écopent de sanctions comme le travail d’intérêt général. Durant une semaine, ils peuvent aider bénévolement les Restos du cœur par exemple. Ce temps accompli, ils réfléchissent et c’est un bon point. D’autres font des stages spéciaux. La dimension sociale et éducative de cette justice est assurée par des magistrats, mais surtout par des éducateurs dont le nombre diminue malheureusement. Les avocats ont un rôle aussi.

• Que pensez-vous des centres protégés ?


C’est un sujet compliqué. Il y a tellement de catégories de centres qu’on s’y perd. Il y a des formules qui sont bonnes théoriquement et qui ne marchent pas bien faute de personnel et d’autres qui ne devraient pas bien fonctionner et qui donnent de bons résultats grâce au dévouement d’une équipe. J’en ai visité plusieurs en France ainsi qu’en Suisse, Espagne et Autriche. Il y a toujours des problématiques.
Pour avoir de bonnes institutions, les deux grandes questions concernent le personnel encadrant et les moyens mis en œuvre.

Propos recueillis par Nicole Bertin

Le prix Jean Zay (opposant au régime de Vichy) récompense un livre porteur de valeurs républicaines consacré à un personnage, une période historique ou une réflexion politique. Il a été créé en 2005 à l’occasion des célébrations du centenaire de la loi de séparation des Églises et de l’État. Il est attribué le 7 décembre pour commémorer la date du vote de cette loi.


Outre la justice des mineurs, Pierre Joxe s’intéresse de plus en plus au tribunal des Prud’hommes. Justice des mineurs, justice des salariés, l’ancien ministre de François Mitterrand défend la cause de ceux qui n’ont pas les moyens de faire entendre leurs voix. Sur cette photo, il est aux côtés de F. Dugas-Raveneau, candidaye socialiste en Charente-Maritime lors des Législatives 2012.

Pierre Joxe et Emmanuel Arcobelli, Premier secrétaire du PS de Charente-Maritime

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