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dimanche 19 avril 2009
Voyage : Venise, à la croisée des mondes...
Reportage dédié à la talentueuse Inge Morath, qui a si bien photographié la Sérénissime…
Les yeux d’Anna pétillent de souvenirs. Sur la table, plus d’une centaine de photographies sont étalées. Cet éventail de clichés retrace un agréable séjour. Venise défile sous ses yeux et chaque monument, chaque place suscitent aussitôt des commentaires.
Née à une quinzaine de kilomètres de la Sérénissime, elle a parcouru maintes fois cette ville qui fait rêver le monde entier.
Dans l’intimité des "calli", elle raconte que pendant la campagne d’Italie, Napoléon Bonaparte, « petit, mais grand dans l’histoire de France », a volé les chevaux de Saint-Marc qu’il fit installer à Paris, sur l’arc de Triomphe du Carrousel. Après sa chute, les Autrichiens rendirent les statues à Venise. Un détail toutefois, les yeux en rubis des fiers destriers avaient été remplacés par du simple verre coloré. La mine d’Anna en dit long sur sa désapprobation…
Qu’importe les aléas du temps et ses vicissitudes ! Ce lieu unique est inscrit en elle comme le serait l’écriture fine d’une tablette cunéiforme. D’ailleurs, Venise a conservé l’Ala Napoleonica.
La Madonna della Salute la transporte dans son enfance. Du pont de l’Accademia, l’édifice baroque conçu par Longhena, se profile à l’horizon. Il résulte d’un vœu entre le doge et le Sénat : « la vierge Marie fut ainsi remerciée d’avoir chassé la grave épidémie de peste de 1630. Des milliers de personnes y trouvèrent la mort » souligne-t-elle.
Cette vue est source d’émotion. Elle évoque une photo en noir et blanc d’Inge Morath que j’aime particulièrement : la coupole y apparaît tandis qu’une gondole se dessine en premier plan. Mystère d’une architecture religieuse qui défie la lagune et chante des incantations à la lune…
Théâtre à ciel ouvert
Que cherche t-on en arpentant la grande scène de Venise ? Un décor de théâtre à ciel ouvert ? La découverte d’une architecture séculaire que l’acqua alta menace inexorablement ? Les coutumes et usages des Vénitiens ? Une balade "roucoulante" en gondole ? L’envie d’entrer dans une ville d’art où les cultures se rejoignent ? Savoir comment l’actuel maire de Venise, Massimo Cacciari, parvient à concilier le passé et le présent, en préservant l’identité de la ville ? Les questions sont nombreuses, mais les réponses obtenues sont souvent superficielles.
La Serenissima Republica garde jalousement ses secrets. Elle se dévoile à force d’observation, de patience, voire d’abnégation.
« Voyageur, nul n’entre ici s’il ne me recherche comme on visite une reine » pourrait être la devise de Venise. Au moment où l’ambiance glisse, les énigmes se résolvent et s’envolent joyeusement sur les ailes des pigeons qui peuplent "cette terre connue et inconnue".
Victime de la vague humaine qui l’inonde quotidiennement et lui donne le tournis, Venise ne parle qu’à marée haute, quand ses flots ont conduit la foule en d’autres lieux. Libre, elle s’ouvre à la confidence, comme la plus charmante des hôtesses.
« Il faut se perdre dans Venise » conseillent les guides. Rien de plus facile ! En dehors des trois points cardinaux que constituent la place Saint Marc, les ponts du Rialto et de l’Accademia, très fréquentés quelle que soit l’heure, chaque ruelle a des choses à dire.
Les pierres murmurent à l’oreille et confessent des intrigues oubliées. Les façades des palais, ornées de gothique flamboyant, se mirent dans l’eau des canaux. Leurs reflets ouvrent les portes d’un univers onirique. Bastions des riches familles, les demeures n’ont rien perdu de leur élégance. Cette promenade, au milieu d’une ville intemporelle, incite à la rêverie.
Le bleu des soupirs
Regorgeant d’objets, les vitrines des boutiques sont autant de royaumes à explorer. Le verre de Murano est imité par les Chinois qui inondent le marché de pièces accessibles à l’achat. La Chambre de Commerce de Venise ne cache pas son irritation et propose des allers et retours gratuits vers Murano. Elle incite les touristes à découvrir les œuvres locales qui bénéficient d’un certificat d’authenticité. Une signature incontournable. Les Vénitiens n’apprécient guère cette concurrence de l’Empire du Milieu qui les provoque sur leur propre terrain…
Il est vrai que Venise est l’objet de toutes les convoitises. Pour survivre (elle s’enfonce fatalement en entraînant ses trésors), elle a appris à composer. L’homme d’affaires français, François Pinault, a acheté le Palais Grassi et y a proposé une première exposition « where are we going ? ». Lui, en tout cas, sait où il va puisqu’il poursuit sur sa lancée. Par leur importance, les nombreux travaux engagés dans la cité sont financés par des investisseurs étrangers.
Originalité, les restaurations sont masquées par d’immenses publicités. Ainsi, le pont de soupirs est de bleu paré par Chopard : Pont des condamnés, femme en son sommet de brillants couronnée. "Emmitoufler" ne veut pas dire cautionner ! Sur internet, un blogueur a utilisé le mot « horreur » pour décrire cette initiative.
Je serai moins critique. La surprise passée, l’arrivée en bateau par "al ponte dei sospiri" entre deux ciels est propice à l’évasion. Cette intrusion de la haute joaillerie dans une ville aux délicieuses ambiguïtés est un clin d’œil avoué à la dérision. Et puis Venise n’est-elle pas l’une des étoiles exquises du collier européen ? Que vogue l’imagination, la beauté ayant plus d’un atour !
Conjuguer le passé au présent
Que serait Venise sans son passé ? Chaque année, le jour de l’Ascension, le doge épousait la mer en jetant en son cœur un anneau. A bord du Bucentaure, une magnifique galère, il était escorté par des gondoles et des barques richement décorées. Cette fête particulière symbolisait l’union de Venise à l’océan, élément sans qui elle n’aurait pu commercer.
Protégée par un lion ailé en hommage à Saint-Marc, dont les reliques volées à Alexandrie par deux marchands Bono de Malamocco et Rutico da Torcello furent rapportées triomphalement à Venise, la Sérénissime a longtemps volé de ses propres ailes.
Au XVe siècle, en pleine splendeur, elle régnait sur l’Adriatique et la Méditerranée. Sa particularité tenait à son gouvernement, une République qui veilla durant des lustres à ses destinées. D’ailleurs, quand elle mourut, les gondoles se vêtirent de noir, la couleur du deuil. Bonaparte, qui annexa Venise en mai 1797, mit fin à près de 800 années d'indépendance.
Que reste-t-il de ces légendes et de ces faits marquants ? Il suffit de fermer les yeux pour les entrevoir ou de les ouvrir devant "la porte du paradis" dont le fronton orne une rue en cours de rénovation.
Marco Polo, dont la maison est signalée au bord d’un canal, hante encore les lieux.
L’un des doges les plus célèbres de Venise fut Enrico Dandolo. Il accéda à cette fonction à l’âge de 82 ans et participa activement à la quatrième croisade. Habile stratège, il contribua à la prise de Constantinople en 1203. Mécontent de la tournure des événements, le Pape l’excommunia et il ne revit jamais sa région d’origine. Son corps repose dans la mosquée Sainte Sophie, à Istanbul. Enrico Dandolo fut plus chanceux que son prédécesseur, le doge Vital II Michele. Incapable d’aider ses compatriotes installés en Orient, il fut tué par des Vénitiens déchaînés. Les exécutions avaient lieu près du Palais des Doges, entre les deux colonnes…
Venise, d’Attila à Bonaparte. Mais après ?
Que serait Venise sans son carnaval, ses masques et sa galanterie ? Les milliers de personnes qui la parcourent en sentent-elles les vibrations ?
Du campanile, Saint-Marc affiche ses mamelons byzantins dont les rondeurs dessinent un relief inattendu sur l’immensité de toits.
Tandis que l’Eglise prélève l’euro pour chaque entrée dans la basilique (la file d’attente est longue), ces dômes dressés, semblables à une gorge déployée et multipliée, inspirent une anecdote qui se déroula en mai 1511.
Les prostituées de Venise, victimes du goût qu’avaient les jeunes gens pour leur propre sexe, se plaignirent au patriarche Antonio Contarini. Le Sénat prit alors un décret les autorisant « à dénuder leurs seins pour provoquer le désir ». Gare aux fluxions de poitrine et dommage pour les paparazzi qui n’existaient pas à l’époque !
Surveillées par "les seigneurs de la nuit" (un joli terme pour désigner les souteneurs), les femmes galantes étaient répertoriées dans un catalogue, avec nom, âge, qualités et tarifs.
Malgré sa renommée, Venise n’est pas forcément un havre amoureux : la dispute qui opposa George Sand à son amant Alfred de Musset en est l’illustration !
Aujourd’hui, Venise, ville à la croisée des mondes, poursuit son histoire et grave de nouvelles pages d’écriture. Elle trouve la paix en novembre quand les touristes lui laissent un peu de répit. Elle s’enferme alors dans les brumes. Puis surgissent les hordes qui l’enrichissent et font fuir ses fantômes. Les ombres ne reviennent qu’à la nuit, sous les traits d’une femme à la longue cape de velours noir. Elle se dirige vers la Fenice…
Reportage (texte et photos) Nicole Bertin
L'info en plus :
• L’atelier de Flavia
En février, Venise célèbre les apparences en organisant le plus beau des carnavals. Parés d’habits de dentelle, les habitants masqués renouent avec une tradition qui leur est chère.
Les Français sont nombreux à participer à cette fête. Les maisons ouvrent leurs portes, Flavia, la costumière entre en scène et les journées se succèdent dans la bonne humeur.
Pure vénitienne, Flavia propose en sa boutique (Castello 6010) une large gamme de costumes. Elle étudie chaque modèle avec minutie, des robes aux redingotes. Elle propose aussi des masques, des perruques, des capes et des chaussures afin d’offrir une tenue complète. Chaque année, elle organise des soirées "défilés" où chaque participant rivalise d’éclat et d’imagination. Durant plus de dix jours, le carnaval l’accapare entièrement. Le moment est inoubliable !
Récemment, elle a participé à une exposition en hommage à Mozart. Bref, l’univers du XVIIIe l’intéresse. Une visite dans son atelier s’impose.
Quelques adresses :
• Restaurant la Trattoria al Sempione : Créé il y a 300 ans, c’est la table des gondoliers. La cuisine y est bonne et la vue, sur l’un des nombreux canaux, ne manque pas de charme.
Sur les canaux, la gondole est parfaitement adaptée à Venise. Extrêmement solide, rapide, elle est fabriquée avec plusieurs espèces de bois suivant un plan qui a subi de nombreuses modifications au fil du temps. Si elle ne possède plus de cabine noire, elle a encore d’épais tapis, des coussins et des décorations. Ses avirons sont bariolés et une épaisse couche de vernis noir la recouvre. Les gondoliers sont restés fidèles au maillot rayé et portent parfois le chapeau de paille. La sérénade, par contre, semble en voie de disparition, remplacée de temps en temps par un instrument de musique (accordéon).
Pour se frayer un passage – car il y a souvent affluence – les gondoliers déploient des trésors d’agilité.
Jadis, Venise comptait 10.000 gondoles. Il n’en reste plus que quelques centaines, mais elles sont irremplaçables et les touristes les adorent. Un seul obstacle : le tour coûte 100 euros, 80 en discutant…
• All’Angelo : Une table sympa. Si vous êtes sage, le serveur vous dira comment on dit « feu d’artifice » en vénitien !
• Restaurant Antico Pignolo : Un haut lieu de Venise (derrière l’église San Marco) qui possède une terrasse qu’embellissent des bouquets d’anthuriums. Les mets variés (viandes, poissons) y sont d’une grande qualité. Grand amateur de vins, le propriétaire propose une carte généreusement garnie dont les prix, selon les crus, peuvent atteindre des sommets.
Une table à découvrir, que vous soyez ou non amateurs de pâtes !
• La Caravella : Voyage culinaire dans un décor de navire qu’éclairent des bougies. Ambiance raffinée et service de qualité au cœur d’un quartier sympathique, non loin d’un magasin qui vend des petits théâtres musicaux en bois et papier. Sur la scène, s’animent des personnages de la Commedia dell’arte.
• L’hôtel « Al ponte dei sospiri » : un établissement idéalement placé, calme et joliment décoré. Accueil agréable.
• Da Forni : Certains soirs, le « décor » se trouve autant dans la salle que dans l’assiette. Table fréquentée par la Venise galante et touristique : un savoureux mélange de mets et de rencontres.
• A lire : l’excellent ouvrage de Gabriella Zimmermann Venise au fil du temps paru chez Pimentos.
Photo 1 : La Madona della Salute (du pont de l'Accademia)
Photo 2 : Venise est menacée par les industries lourdes de la région du Veneto (pétrochimie et chimie) qui entraînent la présence de déchets dans la lagune, et par le déséquilibre qui existe actuellement entre l’eau douce et l’eau de mer. Le "canal du pétrole", qui permet aux pétroliers de rejoindre le port de Marghera situé sur le continent, serait à l'origine de ce bouleversement. En devenant un milieu de plus en plus marin, « Venise perd ses défenses naturelles » estiment les spécialistes. Le sujet environnemental, qui suscite des opinions contrastées, fait couler de l’encre.
Photo 3 : Les gondoles, chères aux amoureux
Photo 4 : La ville est parcourue par 177 canaux et compte 400 ponts.
Photo 5 : Emmitoufler le pont des soupirs : on aime ou on déteste !
Photo 6 : Non, ce n’est pas un supertanker, mais un énorme bateau de croisière qui s’apprête à déverser des centaines et des centaines de touristes dans Venise. L’arrivée du monstre ne passe pas inaperçue. Rien à voir avec les charmantes gondoles !
Photo 7 : Venise (Venezsia en vénitien, Venezia en italien) a été fondée au VIe siècle. Capitale de 1001 à 1797 de la fameuse République de Venise, la ville vit grandement du tourisme. Inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, elle compte 278.000 habitants.
Photo 8 : La place Saint Marc avec ses cafés célèbres, Florian, Lavena…
Photo 9 : Flavia et le carnaval de Venise
Photo 10 : Des gondoliers à la Trattoria al Sempione
Photo 11 : Au restaurant Antico Pignolo
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