mardi 16 septembre 2025

Généalogie successorale : « En France, chaque année, plus de 10.000 successions s’ouvrent pour lesquelles il n’y a pas d’héritier connu » remarque Christophe Aubrun

Créé en 1990 avec la volonté de dynamiser le marché de la généalogie successorale par un investissement fort dans l’humain, l’international, l’expertise juridique et les nouvelles technologies, le groupe ADD est aujourd’hui une référence. L’un de ses créateurs, l’historien Christophe Aubrun, nous explique quelle est cette mission qui consiste à rechercher des héritiers quand le défunt n’en a pas en ligne directe. Il est aussi l’auteur de trois ouvrages dont le dernier en date relate différentes histoires liées à cette « quête » qui conduit parfois les équipes d’enquêteurs bien loin de France…

Il répond à nos questions :

Né dans le Poitou, Christophe Aubrun a consacré une grande partie de sa vie professionnelle au métier de généalogiste. Il se partage actuellement entre la ville de Saintes, qu'il a choisie « pour sa beauté et son climat » et Dakar. Passionné par l'écriture, il rédige ses mémoires dont le premier et second tomes ont été publiés aux Editions de La Lettre Active.
Le 3ème tome sera consacré au Sénégal.

 • Quelle place occupe aujourd’hui le cabinet ADD ?

Christophe Aubrun : Après avoir travaillé cinq ans comme collaborateur d’un grand cabinet parisien, j’ai créé en 1990 avec deux autres associés, Denis Delcros et Antoine Delabre, le cabinet de généalogie successorale ADD. Il est aujourd'hui le deuxième cabinet de France avec 180 salariés. Le siège social se trouve à Paris et nous avons ouvert des succursales en province et à l'étranger. Nous avons réalisé très rapidement que la généalogie n'ayant pas de frontières, il fallait aussi pouvoir répondre aux demandes. Le premier pays concerné était la Pologne parce que la communauté polonaise en France est très importante. Il était normal que pour une succession d'une famille d'origine polonaise, on puisse aller vers Varsovie, Cracovie, etc.

 • Vous traitez des dossiers qui ne sont pas faciles parce que vous avez un défunt ou une défunte sans descendants officiels. S’ouvre alors une véritable enquête…

En effet, notre mission de généalogiste successoral consiste à retrouver des héritiers : les identifier, les localiser, entrer en contact avec eux afin de révéler l’origine de leurs droits héréditaires, puis les représenter lors de la liquidation de la succession. Rechercher un héritier est pour nous bien plus qu’un enjeu de patrimoine, c’est aussi une question de droit, d’équité, de prise en compte de l’humain et de compréhension de la société dans toutes ses mutations. C’est la raison pour laquelle nous traitons tous les dossiers de recherche d’héritiers sans considération de montant d’actif ou de difficulté de la recherche généalogique. A chaque fois que les équipes d’ADD retrouvent une personne, c’est une histoire de famille qui se reconstitue et un parent qui y retrouve sa place.

 • Ouvrons une petite parenthèse : Lors du premier coup de fil, certains doivent penser qu’il s’agit d’une farce ou d’une arnaque !

Oui ! Les gens imaginent assez souvent et peut-être encore plus aujourd'hui des cas de fraude. Alors qu’en réalité, nous sommes dans un cadre extrêmement précis que le Code Civil précise avec des lois successives.

 • Jusqu’à quel degré de parenté peut-on prétendre à un héritage ?

La France est l’un des rares pays au monde où l'on peut hériter jusqu'au sixième degré, cousin issu de germain. Cela veut dire remonter à vos 8 arrière-grands-parents. Il faut alors trouver un héritier dans chaque ligne et dans chaque branche que forme chaque ligne parce que nous avons 8 arrière-grands-parents, 4 grands-parents, 2 parents. C’est relativement compliqué. En l’attente de trouver des héritiers, un administrateur judiciaire peut être nommé par le tribunal pour un immeuble entier en location par exemple. Il gèrera provisoirement la succession et nommera un généalogiste. Dans le pays, plus de 10.000 successions s’ouvrent par an pour lesquelles il n’y a pas d’héritier connu.

 • Une telle quête peut-elle prendre des années ?

 Oui. Dans le livre que je viens de publier, je raconte une vingtaine d'histoires que j’ai vécues. Il peut y avoir des années entre l'ouverture du dossier et sa clôture. Je me souviens d’une affaire qui se déroule entre la France et le Sénégal. Au moment où je remets le chèque aux héritiers, 20 ans se sont écoulés !

 • Les droits de succession sont-ils élevés ?

Les droits de succession s’élèvent au maximum à 60%. Il reste tout de même 40%, sinon c’est l’Etat qui récupère.

• Comment sont calculés vos honoraires ?

 Il s’agit d’un contrat passé avec l'héritier retrouvé au terme de recherches. Lui est proposé ce qu'on appelle un « contrat de révélation » dans lequel il abandonne une cote-part de ce qui lui revient après paiement des droits de succession. 

 • Je suppose que certains règlements de succession vous ont marqué ?

Bien sûr. Des moments de toutes sortes. Parfois, des gens sont totalement désintéressés et renoncent à la succession alors qu’ils peuvent hériter d'un immeuble entier dans Paris ! Ainsi, ce dossier : je retrouve la cousine germaine d'une défunte qui séjourne dans une maison de retraite à côté de Paris. Elle vit là avec sa fille, célibataire, qui va avoir 70 ans. Elle en a 95 ans. Je la contacte et lui explique la situation. Elle accepte de me rencontrer à mon bureau dans le 8ème arrondissement de Paris. Elle vient accompagnée de sa fille. Je lui explique les tenants et les aboutissants de la succession de son oncle et je la vois se décomposer. Elle devient rouge, furieuse, et me lance « je renonce à cette succession ». Je lui rappelle que la succession est visiblement importante, au moins un immeuble dans la capitale. Elle évoque une brouille familiale tenace et signe une renonciation. Sa fille adopte la même attitude. Je regarde mon tableau généalogique qui est assez long et je m’aperçois que j’ai une autre cousine germaine. En définitive, c’est elle qui héritera. Elle m’a écrit une magnifique et émouvante lettre : la femme dont elle héritait était sa marraine. Elle ne l’avait jamais connue parce qu’elle avait perdu toute relation avec sa famille maternelle.

Des histoires comme celle-ci, les généalogistes en ont un certain nombre parce qu’ils mettent en relation les personnes d’une famille qui ne se connaissent pas la plupart du temps. Ces situations résultent d’éloignements, de différends, de ruptures. On connaît généralement ses grands-parents mais ensuite, c’est plus difficile. 

Une autre affaire me revient à l’esprit, celle de Dora Maar, l’une des égéries de Picasso. Son père, grand architecte, était croate et sa mère française. Côté maternel, elle avait d’ailleurs des ancêtres qui étaient dans le cognac. Sans enfant, ses parents étant décédés, il n'y avait aucun héritier connu. La succession s’élevait à 200 millions de francs à l'époque dont un appartement dans le 6ème à Paris, la maison dans le Vaucluse que lui avait offert Picasso et quatre toiles roulées dans un coffre à la banque. En raison des frais de succession, deux peintures sur quatre ont été abandonnées à l'État français. Artiste, d’une grande qualité intellectuelle, Dora Maar avait photographié entre autres toute la série que Picasso a peinte sur les bombardements de Guernica. Deux héritières ont été localisées, l'une octogénaire en France et l’autre nonagénaire en Croatie, cousine au cinquième degré. Nous avons mis 5 mois à la retrouver. Robe noire, fichu noir, elle vivait dans une petite maison de quatre pièces. Quand mes deux collaborateurs, en costume cravate, sont arrivés chez elle, elle était avec l’une de ses filles, infirmière à Genève. Elles les ont pris pour des Mormons, leur disant « non, non, nous sommes catholiques ! ». Imaginez le quiproquo ! Ils étaient arrivés avec une interprète car dans certains pays, l’anglais ne sert pas à grand-chose. Ils n’en ont pas eu besoin car la fille s’exprimait très bien en français. Ils ont expliqué le but de leur visite. Les deux femmes ignoraient leur parenté avec Dora Maar et encore moins qu’elle était croate ! Son vrai nom était Henriette Markovitch. La vieille dame n’en revenait pas, elle a simplement demandé si, avec cet héritage, elle pourrait changer sa gazinière… Mon associé lui a répondu « non seulement vous pourrez changer votre gazinière, mais tout ce qu’il y a autour aussi ! ». Cinq ventes aux enchères ont été organisées. Nous étions deux cabinets de généalogie à être concurrents sur ce même dossier, plusieurs notaires et avocats.

L’histoire la plus émouvante concerne une héritière en Bulgarie que j'ai réussi à retrouver après des mois et des mois de recherche parce que c'était une famille arménienne. Nous avons beaucoup de dossiers arméniens dont les familles sont venues se réfugier en France. Le défunt était dans une maison de retraite du Midi et laissait 2 millions de francs de l'époque. Dans un premier temps, je ne parvenais pas retrouver la famille de la vieille dame qui habitait Varna. Mon correspondant m’a suggéré de contacter le Pope, lequel a lancé un appel en chaire deux dimanches consécutifs. Il a été entendu. L’octogénaire a pu acheter un appartement à Sofia avec la succession.

• Comment s'opère la recherche des héritiers ?

 On part de l’acte de décès du défunt. Ensuite, on doit se débrouiller. Dans l'acte de naissance, figurent les mentions marginales. C'est-à-dire que dans votre acte de naissance, vous avez toute votre vie civile. Mariage, divorce, changement de régime matrimonial, etc. C’est un outil extraordinaire. Nous sommes un des rares pays au monde à en disposer. Nous ne pouvons travailler qu'avec l’autorisation du procureur de la République puisque nous allons avoir accès à l'état civil de moins de 100 ans. Il est protégé en France. Vous pouvez consulter l'acte de naissance de votre mère, le vôtre, mais pas celui de vos frères et sœurs, ni de vos oncles et tantes. Dans le passé, il fallait avoir quasiment les 160 autorisations des procureurs. Un seul organe délivre désormais les autorisations aux généalogistes qui possèdent une carte professionnelle. Ensuite, on commence les recherches, branche par branche.

• Finalement, vous apportez du bonheur aux héritiers ?

Oui, d'une certaine façon, si tant est que le matérialisme fasse le bonheur ! Mais l’héritage peut effectivement changer des vies !

 • Votre vie professionnelle est désormais tournée vers le Sénégal ?

En effet, j’y vis quasiment neuf mois sur douze. J’ai d’ailleurs la nationalité sénégalaise depuis 12 ans. Avec mon ami Patrick, nous sommes investis dans une ONG qui a ouvert en 2003 une école accueillant des enfants déficients mentaux dans la banlieue de Dakar (ASEDEME). Elle accueille 174 enfants et jeunes adolescents, de 5 à 25 ans, porteurs de trisomie 21, autisme et autres pathologies. C’est un institut médico-éducatif. Une connaissance scolaire y est dispensée qui débouche sur un métier. Nous avons réussi à développer des ateliers de couture, sérigraphie. Aujourd'hui, 30 jeunes sont en entreprise. Ils travaillent en CDD, CDI, d‘autres sont en stage.

Ce qui est important, c'est le regard qu'on porte. On fait des petits miracles en prenant le temps de s'intéresser à eux. Je pense à un jeune que nous avons reçu. Il avait 12 ans et était d'une violence incroyable. Nous l’avons assis à une table avec une feuille de papier et des crayons de couleur. Il a dessiné le bus qu'il venait de voir sur le trottoir avec tous les phares, les clignotants, la plaque d'immatriculation. Nous étions impressionnés. Aujourd’hui, il joue au piano l'hymne national sénégalais à l'oreille. Il fait actuellement un stage dans l’Ecole des Arts. Il est autonome. S’occuper de personnes handicapées mentales est un véritable engagement et demande des qualités. L’équipe éducative peut être fière de son travail.

Propos recueillis par Nicole Bertin

 • Les livres de Christophe Aubrun : 

le premier "L'album Aubrun" raconte l’histoire de sa famille depuis le XVIIe siècle. Il a ensuite entamé la rédaction de ses mémoires sous le titre générique « Les fruits d’un destin ». Le premier tome, paru l’année dernière, évoque sa jeunesse à Parthenay sous le titre « Mes jeunes années », le deuxième, « Une vocation », retrace sa vie professionnelle et son métier de généalogiste. Une signature aura lieu à Paris le 18 septembre ainsi qu'à Saintes dans les mois qui viennent. Le troisième tome de ses mémoires traitera de la partie africaine, au Sénégal.

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