mercredi 7 mai 2025

Conférence/Jonzac : L’histoire de Guy Châtaigné, ancien déporté, résistant à Jonzac, interné pendant 27 mois au camp de Sachsenhausen

« Dans les camps, selon le calcul des nazis, les prisonniers étaient censés mourir à petit feu en 9 mois »... 

Denis Gandouet, professeur d'histoire-géographie au lycée de Saint-Jean d’Angély ignorait qu’un jour, il croiserait la route d’un ancien déporté de Sachsenhausen. Impressionné tant par l’intensité du témoignage que par la mémoire intacte de ce rescapé qui s'exprimait devant collégiens et lycéens, il a eu l’idée de l’enregistrer. Jusqu’à en faire un livre « Matricule 58067, résistance et déportation » qui vient d’être publié aux Indes Savantes et qu’il présentera le 15 mai aux Archives de Jonzac. Un lieu hautement symbolique puisque le site actuel des Archives Départementales de Jonzac avait été, durant la guerre, le siège de la kommandantur. La conférence portera sur la vie et les épreuves endurées par Guy Châtaigné dans ce camp de la mort, mais aussi sur son étonnante personnalité.

« La diversité des objets, la richesse des écrits et des dessins qu’il a pu rapporter du camp, sa langue savoureuse et la profondeur de sa réflexion peignent, sans fard, ce que fut la période obscure des années 1930 avec la montée du péril fasciste et nazi, la défaite de 1940 suivie de l’Occupation dans la région de Jonzac, sa colère de jeune devant l’humiliation que subit la France et son rejet du nazisme qui le poussent à s’engager dans la Résistance en 1942 avant qu’il ne soit arrêté par les Allemands, transféré à la prison de Lafond-La Rochelle, puis au camp de Compiègne-Royallieu. Âgé de 19 ans, il est déporté en janvier 1943 au camp de Sachsenhausen au nord de Berlin où il reste 27 mois, jusqu’à sa libération en mai 1945 » explique Denis Gandouet. 

Il répond à nos questions : 

Christine Cavaillès, présidente de l’Amicale de Sachsenhausen
pour la Charente-Maritime, et de Denis Gandouet, professeur d’histoire géographie.
En plus de son activité professionnelle, il est vice-président de la Société rochelaise
d’histoire moderne et contemporaine, poursuit des recherches et publie des articles.
Christine Cavaillès est la fille du Jonzacais Claude Cavaillès,
déporté dans le même camp que Guy Châtaigné

• Denis Gandouet, à quelle date remonte votre rencontre avec Guy Châtaigné ? 

Je suis arrivé au lycée de Saint-Jean d’Angély en 2006. Quelques années plus tard, j’ai succédé à une collègue qui participait au concours national de la résistance et de la déportation. Or, à cette période, il n’y avait plus d’anciens déportés survivants sur notre secteur. La veuve de l’un d’eux, Ginette Dumas, connaissait Guy Châtaigné et m’a mis en contact avec lui. Il est venu témoigner devant mes élèves en 2010. C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois.

• A partir de ce moment, un vrai lien va se créer entre vous ?

J’étais très attentif parce que je n’avais jamais eu dans mon entourage un ancien déporté qui témoignait directement de son vécu dans un camp de concentration. Guy Châtaigné avait une stature, une élocution. A ses côtés, on apprenait énormément de choses, même pour un professeur d‘histoire ! Il était venu avec un camarade et ils composaient un duo formidable. Ils sont intervenus durant trois heures, évoquant leurs souvenirs, apportant des détails, répondant aux questions. Compte-tenu de l’importance de ce témoignage, je l’ai rappelé pour qu’il revienne l’année suivante. Il a répondu positivement sans hésiter. Il venait de Mérignac en Gironde et avait 86 ans. J’avais mobilisé toutes les classes de première du lycée, soit un auditoire de 180 élèves. 

Au départ, nous avions un contact de professeur à témoin. Assez rapidement, nous nous sommes revus. En 2012, Mme Dumas, présidente de la FNDIRP ((Fédération nationale des déportés, internés et résistants patriotes), m’a proposé de faire le pèlerinage de Sachsenhausen. Fin avril, au moment de l’anniversaire de la libération du camp, les anciens déportés, leurs familles et amis se rendent en Allemagne. L’amicale invite alors un professeur pour découvrir les lieux. Le voyage dure cinq jours. Ce fut un moment inoubliable pour moi. J’entrais dans un ancien camp de concentration pour la première fois avec deux témoins survivants dont Guy Châtaigné. La tradition veut qu’après ce pèlerinage, on se tutoie. Les liens se sont resserrés. Je me rendais chez Guy Châtaigné plusieurs fois par an, seul puis avec Christine Cavaillès. Il se souvenait de tout, était d’une grande précision. Je me devais de lui poser des questions pour consigner l’histoire, par écrit et oralement. En plus de faire un travail historique, il est devenu un ami ! 

• Guy Châtaigné connaissait l’importance du témoignage quand d’autres préféraient tourner la page…

Il n’était pas gêné pour témoigner. Il faisait partie de ces anciens déportés qui ont parlé des camps dans leur propre famille. Il a été parmi les premiers en Gironde à faire des témoignages. La première fois en 1975 avec Jacques Chaban Delmas à la bibliothèque de Bordeaux. Pour lui, ce n’était pas un problème, il avait la mémoire et était capable de replacer le contexte. Contrairement à beaucoup d’autres, il n’avait fait que peu de cauchemars à son retour de déportation. S’il voyait le visage de ses camarades disparus dans ses rêves, il n’était pas animé par la vengeance. La souffrance infligée par les SS, les kapos, la violence, les sévices, il savait que tout cela avait existé durant ses « printemps de barbelés » qu’il n’avait jamais oubliés. Il faisait preuve d’une grande lucidité.

• Combien de temps vous a pris la rédaction du livre ?

Guy Chataigné s'est rendu dans les établissements scolaires en de nombreuses occasions. J’ai pu l’enregistrer, moi-même ou Christine Cavaillès, alors retraitée, qui l’accompagnait en Gironde et en Charente-Maritime. J’avais des dizaines et des dizaines d’heures de témoignages, plus des écrits dans le journal de l’Amicale ou le livre "Sachso" qui est la référence sur le camp. J’avais aussi des correspondances. J'ai choisi de ne pas faire une biographie traditionnelle en ce sens où j’estimais qu’il s’exprimait trop bien pour remplacer ses mots. Mon projet a consisté à ne pas changer une seule de ses paroles. Toutes les interventions ont été agencées par en faire un récit chronologique au sein de la déportation. J’ai commencé à lui poser des questions en 2012 et j'ai terminé le livre en 2024, avec un moment d’interruption quand Guy Châtaigné est décédé en 2021. J’ai alors récupéré d’autres documents auprès de sa famille. La meilleure façon d’honorer la mémoire de Guy, c’était d’être le metteur en mots, une cheville ouvrière entre le lecteur et le témoin. J’ai complété par des notes de bas de page documentées par les archives traditionnelles, son dossier de résistant aux archives de Vincennes à Paris, au mémorial de Caen, etc.

Votre première conférence aura lieu le 15 mai aux Archives de Jonzac. Ce n’est pas un hasard ?

Je tenais à ce que la première conférence sur Guy Châtaigné ait lieu aux Archives de Jonzac, d’abord parce qu’il a été résistant dans cette ville, et ensuite parce que le site des Archives abritait la kommandantur allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a été arrêté en septembre 1942. Le livre que je présenterai n’est pas uniquement centré sur sa déportation. Je parle de sa naissance, son enfance, son engagement dans la résistance à l’âge de 18 ans en 1942, sa déportation en janvier 1943 et son internement durant 27 mois. Il a été affecté à deux unités de travail, fabrication d’avions puis de grenades anti-char au sein de Sachsenhausen. 

Dans les camps, selon le calcul des nazis, les prisonniers étaient censés mourir à petit feu en 9 mois entre mauvais traitements, travail éreintant, malnutrition et maladie. Trois facteurs l’ont aidé à survivre : avoir foi en un monde meilleur, posséder une architecture intérieure en quelque sorte, la solidarité et la volonté d’en réchapper pour dire ce qu’il avait vécu. Quand des camarades étaient sur le point de mourir, c’était leur message : « tu leur diras ce que les nazis nous font subir. C’est tellement inhumain qu’il ne faut pas le cacher ». 

Guy Châtaigné est né à Bois. Après avoir habité Ozillac,
il rejoint Jonzac pendant la guerre où il est résistant
avant de se faire arrêter par les Allemands.

Comment s’est déroulé le retour de Guy Châtaigné en France ? 

Il voulait devenir instituteur. Pendant la guerre, il avait pris un emploi écran de courtier en assurances, afin de pouvoir distribuer des tracts. En mai 1945, quand il est rentré de déportation, il a habité chez ses parents à Parcoul, petite commune de Dordogne, limitrophe avec la Charente-Maritime. Célibataire, il n’avait plus rien. Doté d'une force de caractère, il a réagi, étudié le droit, passé un concours pour devenir contrôleur du travail pour finir inspecteur du travail. Il a pris sa retraite en 1983. Son travail correspondait à ses idéaux, ses valeurs. Il a fondé une famille, a eu trois enfants. 

Pour ces rescapés des camps de la mort, ce n’était pas facile de se faire entendre. Dans les années 70, le négationnisme de certains remettait en cause l’existence même des camps. Aussi, il s’est engagé rapidement dans les associations en lien avec la résistance et la déportation  : FNDIRP et amicale de "Sachso". Il a consacré sa retraite au devoir de mémoire. Le message qu’il délivrait aux jeunes était que le monde d’aujourd’hui n’était pas moins dangereux que celui des années 1930 et que la « bête immonde », la haine de l’autre, pouvait resurgir à tout instant si le citoyen ne faisait pas preuve de vigilance. Il savait ce qu’était la valeur de la vie. Quand on a vu la mort de près, la vie prend un autre sens. Les déportés avaient été confrontés au mal absolu, mais leurs paroles n’étaient teintées ni de haine, ni de violence. Ils étaient d’une très grande humanité. 

• Que retenez-vous de cette formidable rencontre ?

Je tenais à la transmission de son témoignage car il était le dernier de son groupe de résistance à Jonzac. En tant qu’historien, j’ai eu la chance d’avoir une source vivante qui se souvenait de tous les instants vécus. Dans ces conditions, on ne peut pas dissimuler la vérité. Quand on a un homme tel que lui en face de soi, l’histoire apparaît dans toute sa réalité. Pour moi, la rencontre avec Guy Châtaigné est une leçon de vie. Il m’a appris ce qui est important dans l’existence et ce qui l’est moins.

• Christine Cavaillès : « Guy Châtaigné se trouvait dans le même camp que mon père, mais ils ne sont jamais rencontrés. Le site abritait des milliers de prisonniers. Pour moi, c’était un grand tonton, ma deuxième famille de la déportation. Il m’a vu grandir et m’appelait "fille". J’étais ravie de le conduire à ses interventions que j’écoutais avec beaucoup d’attention. Ce n’était jamais la même chose. J’appréciais sa tolérance ». Claude Cavaillès, le père de Christine, s’est éteint en 2012.

Infos : Conférence jeudi 15 mai à 18h30 à l'
Espace culturel Jean Glénisson, 
81-83, rue Sadi-Carnot, à Jonzac
. Entrée libre. Renseignements au 05 46 48 91 13

Archives : Claude Cavaillès, alors président de la FNDIRP, lors d'un rassemblement patriotique 
Archives : Cérémonie à Jonzac devant le monument en mémoire
 de Pierre Ruibet et Claude Gatineau, héros de la résistance

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