mardi 27 septembre 2022

Le patois saintongeais a-t-il un avenir ? par Pierre Péronneau (Maît’ Piârre)

Point de vue de Pierre Péronneau sur le patois saintongeais publié dans "Le Boutillon des Charentes", journal en ligne des Charentais d'ici et d'ailleurs
« Si l’on me demande dans quel endroit, actuellement, on parle le patois saintongeais, je répondrai : nulle part. On ne parle plus la langue saintongeaise. Certes, on peut encore l’écouter en se promenant à la foire de Saintes, le premier lundi du mois. C’est le lieu de rencontre des habitants de la campagne qui se retrouvent pour y parler de leur vie quotidienne : c’est là où le dessinateur Jean-Claude Lucazeau trouvait son inspiration. On la trouve également lors des foires de Rouillac, Matha et Pont-l’Abbé-d’Arnoult. Il suffit de s’arrêter et d’écouter. Mais ce que l’on entend, ce n’est pas la vraie langue saintongeaise, c’est un mélange de français et de saintongeais : heureusement il reste l’intonation, la tournure de phrases et l’humour si caractéristique.
La question qu’il faudrait se poser est celle-ci : où parlait-on le saintongeais autrefois, au temps où c’était la langue courante des gens de la campagne ? Je pense que la carte édifiée par Raymond Doussinet est toujours d’actualité, même si certains puristes la remettent en cause.
Et faut-il considérer que le saintongeais est une langue, un patois, un dialecte, un parlange ? Qu’importe le nom qu’on lui donne, c’est la notion qu’il recouvre qui est importante. Cela ne me gêne pas d’utiliser le mot « patois ».

Un peu d’histoire

Autrefois, on parlait le saintongeais dans l’Aunis, la Saintonge, une partie de l’Angoumois, et le nord Gironde.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Beaucoup pensent que dans des temps anciens, une partie importante du sud de la Saintonge faisait partie du pays d’Oc. Ils en veulent pour preuve les noms de ville ou de village se terminant en « ac » : Pérignac était « d’oc », alors que Périgny était « d’oïl ». Le suffixe gaulois « acos », latinisé en « acus », indique le fonds possédé. Ainsi l’origine de « Juliac » est la propriété d’un dénommé Julius. Sur la carte, Raymond Doussinet a tracé une ligne qui part de Confolens à Marennes pour montrer la délimitation entre « oc » et « oïl ».
Des noms de lieux gardent encore la trace de la langue d’oc, tels « La Pouyade », au sud du département de Charente-Maritime (pouye est une forme occitane de puy), ou « La Tremblade » (lieu planté de trembles). De même, certains mots du patois saintongeais ont une connotation « oc » : par exemple « l’aigail », la rosée, venant du mot latin « aqua ».
Au Moyen âge, lorsque la reine Aliénor quittait sa cour ensoleillée et festive de Bordeaux pour se rendre à celle, beaucoup plus terne et fermée, de Poitiers, elle emmenait dans ses bagages des troubadours, et l’on entendait chanter en occitan dans la capitale du Poitou.
Après la guerre de Cent ans et la période de la grande peste, la dépopulation de notre région entraîna un afflux important d’habitants du Bas-Poitou, qui repoussa la langue d’oc plus au sud. C’est certainement à cette époque que les ancêtres d’Évariste Poitevin (le nom signifie « qui vient du Poitou »), alias Goulebenéze, s’implantèrent en Saintonge. Tous ces « immigrés » apportèrent leur langue, leur culture, mais se mélangèrent sans problème à la population locale : Évariste Poitevin est considéré comme l’un des Saintongeais les plus populaires de tous les temps.
Plus tard, au XVIème siècle, des colons saintongeais de la Gavacherie poussèrent jusqu’en pays gascon, et c’est pour cette raison que dans la région du nord Gironde, autour de Blaye, Guîtres, Coutras, on parlait saintongeais : c’est le pays Gabaye.
Le patois saintongeais, c’est un langage qui s’est forgé au fil du temps, qui s’est transformé et s’est nourri du vocabulaire apporté par tous les peuples qui ont envahi notre région.
Et maintenant, qu’en est-il ?

Le patois saintongeais est-il devenu une langue morte ?

Le patois saintongeais a perdu de son importance. On ne le parle plus comme au XIXe siècle, au temps de la naissance et de la jeunesse de Goulebenéze : à cette époque, on l’entendait dans toutes les campagnes saintongeaises, et le français n’était appris qu’à l’école.
Je peux certifier qu’on le parlait également dans la bonne société. Dans la famille de Goulebenéze, famille aisée et riche à la fin du XIXème et au début du XXème, lors des réunions de notables (Marc-Eugène Poitevin, père de Goulebenéze était maire de Burie et vice-président du Conseil Général), on m’a raconté qu’on parlait patois de temps en temps, et que ce n’était pas pour se moquer du « bon peuple » mais parce que c’était naturel.
Mais déjà, en son temps, Goulebenéze écrivait, juste avant la guerre de 1940 : « Pendant ce-temps-là, qu’est devenu le patois charentais ? Il n’a pas profité, le patois charentais, il est mort. Des réfugiés, des étrangers sont au pays, il est né des générations nouvelles qui n’ont jamais su le vieux langage des pères ».
Certes le patois a encore quelques braises, mais pour ma part, je suis pessimiste sur sa pérennité. Dans quelques années, quand tous nos anciens qui le parlent encore auront disparu, que restera-t-il ? Un ersatz de patois, raconté avec l’accent pointu par des personnes qui n’auront jamais eu la chance de côtoyer les vrais patoisants.
L’obligation imposée par la loi d’apprendre et d’enseigner la langue de la République à l’école et d’interdire le patois est l'une des causes principales de l’extinction de la langue de nos anciens. Certes, cette décision commence à être remise en cause, car certains enseignants, à titre individuel, donnent des rudiments de patois à leurs élèves. Par ailleurs, le nom de Goulebenéze est maintenant attribué à des groupes scolaires, comme dans la commune des Gonds, à côté de Saintes, ou dans celle d’Écoyeux, un des berceaux de la famille : une belle revanche ! Et je connais plusieurs patoisants et patoisantes qui sont d’anciens professeurs des écoles.
Mais la langue française a pris le dessus. Pour certaines personnes, le patois est un langage vulgaire, à proscrire : elles considèrent que c’est le langage des gens sans culture. Il est perçu comme du mauvais français, alors que ce n’est pas le cas. Le patois a évolué parallèlement au français, mais actuellement il n’évolue plus.
L’évolution économique et sociale a également mis aux oubliettes un certain nombre de mots du vocabulaire saintongeais, qui étaient utilisés avant que le progrès technique ne modifie les habitudes de travail du monde agricole. Citons par exemple : l’arée (le labourage), le veursour (le versoir de la charrue), l’ambiet (l’anneau servant à assujettir le timon au joug), la forchine (le support de l’aiguillon, en forme de fourche), etc.
La disparition de la Sefco (Société d’Ethnologie et de Folklore du Centre Ouest), et avec elle des ouvrages qu’elle publiait (la revue Aguiaine et le Subiet) n’a fait qu’accentuer le phénomène. Heureusement, il reste la bibliothèque encore disponible à la « Maison de Jeannette » à Saint-Jean d’Angély.
Il faut bien le reconnaître, une langue qui n’est plus parlée devient une langue morte. Alors, continuons à la faire vivre !

Et le « poitevin-saintongeais » ?

Avec ce sujet, nous abordons un point sensible qui cristallise des ressentiments, surtout en Saintonge. Alors faisons le point.
Le poitevin saintongeais est d’abord une entité géographique. Cela ne me choque pas que l’on parle du poitevin-saintongeais, dans la mesure où, derrière cette formule, on désigne une entité géographique comprenant deux langues distinctes, mais qui ont des points communs. Le poitevin-saintongeais est un ensemble dialectal qui fait partie de la langue d’oïl, lui-même pouvant être subdivisé en deux sous-dialectes, poitevin et saintongeais. Dans la liste des langues de France, on trouve « le poitevin-saintongeais, dans ses deux variétés, le poitevin et le saintongeais ».
Un Saintongeais qui maîtrise sa propre langue doit être capable de comprendre celle des Poitevins. En son temps, Goulebenéze était applaudi en Poitou : il est venu plusieurs fois à Châtellerault (voir Boutillon n° 83). Et de nos jours, les textes poitevins de Raymond Servant et d’Ulysse Dubois me sont familiers.
Par ailleurs, je suis ravi qu’un Poitevin, Mathieu Touzot, et un Saintongeais, Dominique Porcheron, réunissent leurs talents pour enregistrer un CD de textes et de chansons de Goulebenéze. Quant à Yannick Jaulin, c’est un vrai régal de l’entendre sur Facebook ou de le voir sur scène.
Alors où sont les problèmes ? Pour quelles raisons certaines personnes, dès qu’on leur parle de « poitevin-saintongeais », montent-elles au créneau ? C’est la graphie normalisée qui pose problème. Le patois, saintongeais ou poitevin, étant une langue orale, il est nécessaire de l’entendre pour bien s’en imprégner. Lorsqu’on l’écoute, on y prend du plaisir. C’est lorsqu’on veut l’écrire que les problèmes surgissent parce qu’il n’existe aucune règle grammaticale digne de ce nom, si l’on excepte les indications données par Raymond Doussinet en qui concerne le saintongeais, mais qui ne sont appliquées par aucun patoisant.
Mais si l’on veut transmettre le patois, il faut l’écrire. Fixer des règles d’écriture ? C’est une bonne idée, et l’UPCP (1), à Poitiers, s’est attelée à la tâche. Malheureusement, le résultat n’est pas convaincant. On mélange les deux langues en méconnaissant la spécificité de chacune. C’est la « graphie normalisée » ou poetevin-séntunjhaes.
Les intellectuels de Poitiers définissent ainsi l’écriture qu’ils proposent : « Le poetevin-séntunjhaes ét de l’aeràie daus parlanjhes d’oéll, mé le cote l’aeràie de çhélés d’o. O fét que l’at daus marques daus deùs bords. Mé l’at étou daus marques rén qu’a li » (2).
À chacun, Poitevin ou Saintongeais, de prononcer cette phrase comme il l’entend, ce qui nécessite un véritable mode d’emploi, à moins de devoir suivre des cours de poetevin-séntunjhaes à l’université de Poitiers. Autrement dit : écriture unique, mais prononciations multiples. Comme la plupart des patoisants que je connais, je suis bien incapable de lire et d’écrire de cette façon la langue des anciens. Ce qui signifie que les universitaires poitevins ont créé une graphie qui, actuellement, ne peut être écrite et comprise que par un petit nombre de personnes.
Or, c’est cette façon d’écrire, le poetevin-séntunjhaes, qui figure dans la revue de la région Nouvelle Aquitaine, dans la page consacrée à la culture régionale. 
Pour ma part, j’ai décidé de ne pas m’intéresser à cette écriture, et d’écrire des textes en patois saintongeais au plus proche de la prononciation. Je ne suis pas certain que la graphie normalisée soit un bon moyen pour sauver notre langue.

Alors que faire pour sauver notre langue saintongeaise ?

Certains lecteurs vont penser que je suis trop pessimiste. Ils ont peut-être raison. Cet article ne reflète que mon opinion et je conçois que d’autres pensent différemment.
Le patois saintongeais a-t-il un avenir ? Je n’en suis pas certain, à moins d’une mobilisation importante des acteurs de notre culture. Mais il a un passé, et ce passé fait partie de notre patrimoine. Il faut le sauvegarder, à la fois par l’écrit et par l’oral.
Au Boutillon, nous apportons notre pierre à l’édifice, en préparant une grammaire audio visuelle, avec René Ribéraud, Annette Pinard puis Michèle Barranger. C’est un long travail qui est en cours et qui peut être consulté sur notre site :

L’idée est de proposer une écriture qui colle au plus près de la prononciation. Nous voulons donner une cohérence, sans aller trop loin. Que l’on écrive « soulail » ou « souleuil », « thyeu » ou « queu », ou encore « otout » ou « étout » ce n’est pas important. Nous voulons éviter les erreurs de la graphie normalisée poitevine-saintongeaise.
Par contre, il existe des règles grammaticales qu’il faut respecter, concernant notamment l’utilisation des articles ou des pronoms personnels (ce n’est qu’un exemple), pour éviter d’écrire n’importe comment et d’utiliser des liaisons ou des « z » qui polluent le texte. Notre objectif, avec cette grammaire, est de laisser une trace pour les générations futures.
Par ailleurs, on ne pourra pas sauver notre patois si on ne fait pas de la création de qualité (ne pas se contenter des écrits de nos anciens). Il faut rendre sa noblesse au patois en évitant d’écrire des textes « bas de gamme », car le patois ne supporte pas la vulgarité. Écrire en patois demande du travail et de la persévérance, en tenant compte des tournures d’esprit propres au langage de nos anciens. Il n’y a pas très longtemps, en lisant un texte écrit par une patoisante actuelle, j’ai trouvé la phrase : « les étèles brillant » (les étoiles brillent). La facilité consiste à prendre un mot français, par exemple « briller », et à le transformer en un mot patois. Il aurait été plus judicieux d’écrire : les étèles teurluzant.
Pour écrire en patois, les ouvrages de Raymond Doussinet, notamment « Le paysan saintongeais dans ses bots » et « Les travaux et les jeux en vieille Saintonge », constituent des documents de référence.
La transmission est possible, en organisant des spectacles de qualité et en incitant les jeunes à aller voir ces spectacles. Il est certain que le terrain est plus favorable quand les jeunes ont déjà des notions de base grâce à leurs parents ou grands-parents.
Quant à l’enseignement du patois, c’est une possibilité pour inciter les jeunes à aimer la langue des anciens. À condition d’éviter un apprentissage classique, comme pour les matières traditionnelles. Il faut que ceux qui apprennent y trouvent du plaisir : l’enseignement doit être ludique.
Et je voudrais rendre hommage aux troupes de théâtre et aux groupes folkloriques, qui accueillent un nombreux public au cours de leurs spectacles.
Un grand merci également à tous ceux qui agissent, individuellement, pour que notre patois continue à vivre. Je pense notamment à Jean-Luc Buetas (l’Ajhasse désencruchée) en pays Gabaye, et à Éric Nowak, injustement critiqué, qui effectue un travail considérable de recueil d’informations auprès des anciens qui parlent encore le patois, qu’il soit poitevin, saintongeais ou gabaye ».

(1) L’Union Pour la Culture populaire en Poitou-Charentes-Vendée, actuellement UPCP-Métive, est une association à but culturel, créée en 1969.

(2) Voici un essai de traduction (sous toutes réserves) : « Le poitevin-saintongeais fait partie des parlanges d’oïl, avec un peu de langue d’oc. Il y a donc des marques des deux côtés. Mais il a aussi des marques qui lui sont propres ».

1 commentaire:

Ramé a dit…

Très intéressant. La traduction exacte du texte en graphie normalisée serait plutôt : "Le poitevin-saintongeais appartient à l’aire des langues d’oïl, mais il est attenant à l'aire de celles d'oc. Cela fait qu'il a des marques des deux bords. Il a aussi des marques propres." Il faut noter que ce texte est en dialecte poitevin, pas saintongeais, la graphie n'effaçant pas toutes les variations même à l'écrit ("daus" et pas "dés", "le" et pas "i").

Par ailleurs, si l'on prend le temps de s'intéresser sérieusement à la graphie normalisée (ce que personne ne fait jamais, s'arrêtant seulement à sa première impression) elle n'est pas si difficile à manier. Même si les critiques que formule par exemple Eric Nowak à son encontre sont entendables.