lundi 10 février 2020

Des Barbaresques aux Tartares en passant Jonzac et la Saintonge : Le monde au début du XIXe siècle vu à travers un dictionnaire géographique portatif

Aujourd’hui, le monde est ouvert. Les avions conduisent en de nombreuses destinations et les brochures, détaillées, sont fort utiles pour faire un choix. S’y ajoutent les sites internet où les voyageurs font part de leurs impressions et donnent des conseils à celui qui veut s’aventurer en terres inconnues. Le visiteur sait ce qui l’attend sur place et certains endroits lui sont déconseillés pour des raisons de sécurité (terrorisme), voire de maladie comme c’est le cas actuellement en Chine avec le coronavirus. 

Qu’en était-il autrefois ? Le contexte était différent puisque l’actualité n’était pas instantanée. L’information était basée sur des observations, des croquis et des récits relatés, selon les auteurs, d’une manière très subjective. Dans ce domaine, les éditions anciennes de géographie, dénichées chez les libraires, conduisent le lecteur dans un univers oublié. Que sont un peu plus de deux siècles ? Une courte durée et pourtant des surprises, résultant des évolutions, l'attendent en feuilletant les pages...

Sur cette carte, vous trouverez le pays des barbaresques et celui des Tartares !
Ainsi, cet ouvrage, paru en 1803, un an avant le sacre de Napoléon, est un dictionnaire géographique portatif « où les découvertes des voyageurs modernes s'y trouvent consignées ainsi que les changements que les traités de paix et les alliances apportent dans l'étendue des puissances européennes ».
De petit format mais épais, sa couverture usagée témoigne de son utilisation fréquente. Sa grande ambition est de décrire les républiques, royaumes, villes, évêchés, duchés, comtés, marquisats, ports et forteresses des quatre coins du monde. Le travail est d'envergure ! Le succès rapide de la dernière édition de 1801 a conduit l’éditeur en à donner une nouvelle par satisfaire l’empressement des lecteurs. Elle est d’autant plus nécessaire, explique-il, « qu’il est survenu un très grand nombre de changements dans une partie d’Europe, tels que les indemnités en Allemagne qui ont dépouillé les uns de leurs possessions pour les donner aux autres ; la nouvelle division de la République italienne avec les départements et les districts qui la composent ; la formation de la République helvétique, les nouveaux archevêchés et évêchés érigés en France ; la population de plusieurs villes et bourgs de ce pays laquelle ne se trouve que de façon imparfaite dans les éditons précédentes ».

Jusqu’alors, tous les dictionnaires publiés étaient trop considérables pour pouvoir être consultés par le commun des lecteurs, et surtout pour qu'un voyageur puisse les emporter dans sa poche ou dans sa voiture. Celui-ci est maniable !
Imprimé chez Marchant à Paris, il a été traduit de l'anglais - sur la treizième édition de Laurent Eschard - par Vosgien. En réalité, on doit ce travail en français, qu’il mit sous le nom de Vosgien, à un abbé lorrain né à Vaucouleurs, Jean-Baptiste Ladvocat. Le principe repose effectivement sur la traduction du livre de Laurent Eschard, pasteur et historien britannique, principal auteur de la première version de ce dictionnaire à la fin du XVIIe siècle. Très recherché, il a été amélioré et augmenté à chacune de ses différentes éditions en tenant compte des évolutions. On en mentionne plus de dix, aux XVIIIe et XIXe siècles.

Le parcourir est source de dépaysement pour de nombreuses raisons : les commentaires font remonter le temps ! Les descriptions des populations peuvent surprendre car elles ne correspondent plus aux valeurs actuelles, fondées sur l'humanisme et une plus grande compréhension. De nos jours, des appréciations aussi "personnelles" dans un ouvrage destiné au grand public susciteraient des réactions. Certaines ne sont pas tendres, d’autres carrément cocasses ! Jugez-en.

Au sujet de la Sibérie, la présentation est assez directe : « C'est là que le Tsar envoie en exil les seigneurs de sa Cour dont il est mécontent et tous les coquins dont il veut purger le centre de ses états. Ce pays fut découvert dans les siècles derniers par un paysan nommé Anica, du temps de Boris. Il est habité par trois sortes de gens, des Payens qui sont les naturels du pays, des Mahométans et par des Moscovites. Les premiers habitent dans les forêts pendant l'hiver et le long des rivières durant l'été. Ils ont pour tout habillement des peaux d'élans, de rennes. Toutes leurs richesses consistent en un arc, une flèche, un couteau et une marmite. Les rennes et les chiens leur servent de chevaux. Ils ne respectent leurs idoles qu'autant qu'ils ont lieu d'en être contents. Quand ils croient en avoir éprouvé quelque mécontentement, ils les brûlent, les traînent dans la boue, la corde au cou et leur font mille affronts semblables. Ils adorent principalement le soleil et la lune. Les Tartares mahométans de ces cantons sont moins laids que les autres Tartares. En général, les habitants de la Sibérie sont paresseux et, indépendamment de l'âpreté du pays, ils ont le malheur d'être infectés de la maladie vénérienne ».

Voyageur, sois donc prudent !

Venons-en aux défauts des Tartares :
« En général, tous les Tartares s'adonnent au brigandage et ne vivent que de leur bétail et du butin qu'ils font de leurs voisins. Ils aiment beaucoup la chair de cheval, le lait de jument et toutes les liqueurs fortes. La plus grande partie campe çà et là, sans avoir aucune demeure fixe ».
Au passage, vous remarquerez que l'auteur n'est guère complaisant sur l'apparence physique des uns et des autres. il est plus indulgent envers les habitants du Caucase, les Suanes, Abacasses, Alins, Circasses, Ziques et Caracolis, « presque tous chrétiens et fort beaux, hommes et femmes ». La beauté de l'âme convertie au christianisme sans doute !

Il est également bien disposé à l'égard des Perses, les ancêtres des Iraniens, tout en restant critique à leur égard : « Les Persans sont de taille médiocre, maigres, robustes, extrêmement propres. Ils ont l'esprit vif et le jugement bon, s'intéressent aux arts et aux sciences, fort inventifs, bons amis et très voluptueux (eh bien !). Les femmes y sont jolies et spirituelles. Le roi de Perse, qu'on appelle Sophi est despotique envers son peuple et monarchique envers les Grands, mais depuis 1722, ce royaume est dans l'anarchie. Le gouverneur le plus puissant force les autres à lui obéir et ne prend que le titre de régent, comme s'il attendait l'héritier du trône. Cette malheureuse guerre civile détruit successivement toutes les villes qui ne sont plus aussi habitées, ni aussi commerçantes qu'elles l'ont été car le commerce fuit la violence et la guerre ».
Au début du XIXème, le contrôle du pétrole et du gaz n'est pas encore l'enjeu prioritaire des grandes puissances. Notons qu'en 1721, Montesquieu avait publié anonymement à Genève “Les Lettres persanes“, satire de la France découlant des observations faites par Usbeck et Rica, deux Persans précisément, en séjour à Paris.

Les indiens et l’idolâtrie…

Chez les Indiens ou Hindous « subjugués par les Tartares qui y ont introduit le mahométisme », les croyances semblent revêtir une grande importance : « La religion des Indiens est l'idolâtrie. Les plus savants ne regardent cependant leurs dieux que comme les ministres du souverain dieu, créateur du monde. Ils sont divisés en plusieurs castes, les brames, les rajas, les veichies ou marchands, les choutres ou ouvriers et les parias. Ces castes ne s'allient pas les unes aux autres. Elles ont le droit de vie et de mort sur leurs membres et punissent sévèrement les actions honteuses. La peine la plus sévère, et pire que la mort, est d'être chassé de la caste. Ils perdent parents, amis et quelquefois femmes et enfants qui refusent de les suivre dans leur mauvaise fortune. Ils n'ont d'autre ressource que de se retirer chez les Européens qu'ils ont en horreur. Cette union les aide à résister à leurs oppresseurs et leur procure des secours au besoin ». L'Hindouisme comparé à l'idolâtrie, grand Dieu !

Franchissons maintenant l'Atlantique pour le Nouveau Monde (Novus Orbis) :
« En Amérique, les naturels du pays sont peu spirituels, ils sont agiles et robustes, fort adroits et légers à la course, ils nagent comme des poissons, mais ils sont lâches, sauvages, cruels et vindicatifs quand ils sont les plus forts. Ils se peignent le visage de différentes couleurs, sont idolâtres et fort superstitieux, exceptés ceux qui sont sous la domination espagnole. La plus grande et la meilleure partie est sous la domination des Européens ». Un Européen arrive et tout est transformé !

Au Brésil, les populations autochtones sont “exotiques” : « Ce pays est habité par les Portugais et par un grand nombre de peuples qui ne sont pas soumis. Ces peuples sont sauvages et vont nus. Ils sont robustes, toujours gais, peu sujets aux maladies et vivent longtemps. Ils n'ont ni temple, ni monument extérieur en l'honneur d'aucune divinité ». Si vous souhaitiez connaître le secret de la longévité, vous savez où aller !

Carte d'Europe du début du XIXe siècle
En France, des femmes belles et gracieuses

Et les Français, comment sont-ils perçus ? « Ils n'ont pas une taille aussi élevée que leurs voisins, mais ils sont en général bien proportionnés, actifs et dispos. Les femmes y sont célèbres par leur grâce et leur beauté. Le caractère français n'a pas varié depuis César : il est prompt à se résoudre, ardent à combattre, impétueux dans l'attaque, se rebutant aisément, poli mais léger, confiant et spirituel. La France a produit des génies transcendants dans les sciences et les lettres, Descartes et Pascal, Bourdaloué et Massillon, Boileau et Corneille, Racine et Voltaire, Molière et la Fontaine, Bossuet et Fénelon, de Thou et Montesquieu, Montaigne et Buffon ». Les autres attendront la prochaine édition !
En ce qui concerne les frontières du moment, le Piémont, réuni à la France, forme six départements depuis 1802. Nos colonies comprennent, entre autres, Pondichery, Chandernagor et Mahé dans les Indes Orientales.

Quelles sont les qualités de nos voisins Espagnols ? Voyons un peu : « Ils sont grands, ont le teint brun, les femmes y sont d'une taille petite et svelte, elles ont beaucoup d'esprit et de vivacité. Les Espagnols sont orgueilleux, loyaux et humains, paresseux et sobres, patients et spirituels : la galanterie est leur passion dominante, ils sont moins jaloux qu'autrefois (on respire !). La langue espagnole est un dialecte du latin mêlé à des mots arabes. Elle est sonore, majestueuse et sublime, mais peu riche en expressions. Plusieurs Espagnols se sont distingués dans les sciences et les arts ». L’auteur ne cite pas leurs noms…
La région de Catalogne est bien organisée : « Elle est assujettie à un cadastre qui ne laisse ignorer à aucun des habitants ce qu'il a à payer. Délivré de l'inquiétude d'être vexé par les fermiers ou leurs commis, chacun fait valoir le plus qu'il peut sa terre ou son industrie. On y trouve des mines de toutes sortes, carrières de marbre et pierres précieuses».

Puisque nous sommes proches du rivage africain, un mot sur un vaste territoire appelé la Barbarie « aux peuples belliqueux, spirituels et fort amateurs de richesses. Les femmes y sont d'une grande modestie. Les parties principales sont les royaumes de Tripoli, Tunis, Alger, Fès, Maroc, et du Sahara ». Les fameux “Barbaresques”, dont l'un enleva la délicieuse Michèle Mercier, marquise des Anges au cinéma, venaient sans doute de ces territoires...

Passons maintenant aux Anglais, nos ennemis héréditaires devenus amis (bien qu’ils aient quitté l’Union Européenne) : « Les habitants sont bons marins, adonnés au commerce, ils cultivent les sciences avec succès. On ne produit pas de vin, mais la bière passe pour la meilleure d'Europe. Les chiens y sont courageux et les chevaux fins et pleins de feu ». L'observation est assez brève, le reste étant consacré à l'histoire et à la géographe. Cependant, nous sommes heureux d'apprendre que la gent canine dans les IIes Britanniques est valeureuse : « Dog save the Queen » !

Les Allemands, quant à eux, sont « Grands, laborieux, simples, inventifs et bons soldats ». Les Français s'en sont aperçus...

Les Italiens ont des attraits plus convaincants, assortis de défauts tout aussi remarquables : « La langue a beaucoup de douceur, de délicatesse et d’énergie. Elle est très propre pour le chant et agréable dans la bouche des dames. Les Italiens sont prudents, polis, spirituels, sobres, grands politiques, très propres aux sciences et aux arts, mais on leur reproche d'être vindicatifs, dissimulés, traîtres, jaloux, trop adonnés aux faux brillants, et d'abuser sans scrupule des choses sacrées pour arriver à leurs fins et tromper leurs ennemis ». L’auteur aurait-il eu des problèmes avec un Italien ? Il est permis de se poser la question.

Carte de France (début du XIXe siècle)
Des sources minérales à Pons et Montendre, mais pas à Jonzac

Ce dictionnaire abrite un nombre considérable de villes et de chefs-lieux. L'Aunis et la Saintonge y sont mentionnées. Saintes est alors « Chef-lieu de préfecture du département de la Charente Inférieure. On y compte 10.050 habitants. On recueille beaucoup de vins dans les environs, d'eaux-de-vie et esprits de vins. Il y a des fabriques de bonneterie, bassins, porcelaines. On y voit beaucoup de monuments d'antiquité dont les plus célèbres sont un amphithéâtre, des aqueducs et un arc-de-triomphe sur la Charente ».
Depuis, Saintes a perdu de son aura : Elle n'est plus chef-lieu - la faute à Napoléon ! - et le fameux pont a été détruit, sous l'œil attristé de Victor Hugo, alors de passage.

Jonzac ou Jonsac ne retient guère l'attention : « Petite ville de France en Saintonge, auprès de la Sévigne qui tombe dans la Charente ».
Mirambeau ou Petit Niort est « un bourg de France, près de Consac, dont la population est de 2170 habitants ». Pons en compte 4500 et possède, comme Montendre (851 habitants), « une source d'eau minérale qui a quelque réputation dans le pays ». Depuis, Jonzac a capté cette eau pour en faire une station thermale ! Montlieu compte 650 habitants. La population n’est pas mentionnée pour Chanieres (actuel Chaniers) et Montguyon. Saint-Genis, Archiac et Saint-Aigulin sont absents du recensement.

La Saintonge est un pays fertile en blé, vin et fruits. Elle produit le meilleur sel de l'Europe et ses chevaux sont fort estimés. L'Aunis est « la plus petite province de France. Quoi que sec, ce pays produit bon blé et beaucoup de vin. Dans les endroits marécageux, il y a des prairies qui nourrissent beaucoup de bétail. Le bois y est rare, mais il y a des marais salants dont on tire le meilleur sel. Comme il y a plusieurs ports, le pays est riche et commerce principalement en eau-de-vie ».
Rochefort est « une ville d’Aunis belle et considérable avec un port très commode. Ce fut Louis XIV qui le fit bâtir en 1664 et en fit une département de la marine. C’est le siège d’une préfecture maritime et d’une sous-préfecture civile. Elle compte 15.000 habitants. Il y a un hôpital magnifique, plusieurs magasins bien munis et un arsenal. L’entrée de la rivière est défendue par plusieurs forts qui la rendent inaccessible aux vaisseaux qui voudraient en approcher. On y arme des bâtiments pour la morue. C’est la patrie de la Galissonnière, célèbre marin ».

Capitale du pays d’Aunis, La Rochelle (Rupella) est « belle, grande, forte et riche. Son port est de plus commodes et des plus sûrs. Elle comprend une académie des Belles Lettres, une école pour la botanique et compte 17512 habitants. Les maisons y sont belles, soutenues d’arcades et de portiques. Le commerce y est considérable, vins, eaux de vie, sel, papier, toiles, serges, etc que l’on transporte en Amérique ».

Royan est considérée comme « une ville ruinée de Saintonge, fameuse par le siège que les Huguenots soutirent contre Louis XIII en 1622 ». Le commentaire est bref, nous ne sommes pas encore à l’époque des bains de mer…

Saint-Jean d’Angély est une « ancienne ville de France. Elle compte 5400 habitants. Il y avait une belle abbaye bénédictine fondée par Pépin, roi d’Aquitaine. Elle est sur la Boutonne sur laquelle il y a les deux meilleurs moulins à poudre de la France »

Terminons ce tour d'horizon par une énigme amusante au sujet de la ville d'Essen, en Allemagne : « Auprès, se trouve une belle abbaye de filles, dont l'abbesse est immédiate (?) et possède un grand territoire. Le roi de Prusse s'en est emparé, en raison de ses indemnités ».
De l'abbesse ou du territoire ?...

Enfin, ce charmant voyage s'achève par des termes de marine : « Grelin, gorgère, interlope, pot-au-feu, amateloter, adieu-va, etc ». Un vocabulaire utilisé par les marins qui partirent sur l'Hermione avec La Fayette...

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