lundi 15 février 2016

De l’Algérie à la Charente-Maritime,
de Tizi-Ouzou à Jonzac :
Belkadi Belkacem nous a quittés

Il y a un an, Belkadi Belkacem avait accepté de nous conter son existence, si riche en expériences. Né en Algérie, il s'était installé à Jonzac avec les siens. Il s'est éteint voici quelques jours d'une maladie qu'on dit inexorable à l'âge de 81 ans. Qu'il repose au paradis, dans cette paix qui lui était chère. Nos sincères condoléances à son épouse et sa famille.

• Retour sur ce portrait d'un homme sincère et authentique

Il ne fait pas de bruit. Depuis belle lurette, Belkadi Belkacem a endossé les habits de la modestie. C’est avec recul et discernement qu’il parle des problèmes que rencontre la France confrontée à des intégristes se revendiquant de l’Islam. « Ce sont des ignorants, sûrement pas des Musulmans » dit-il. Cet homme, qui fêtera cette année ses 80 ans, a vécu non pas une existence, mais plusieurs avec une volonté constante, celle de s’instruire. 
Belkadi Belkacem arrive au rendez-vous. Ponctuel comme à son habitude. Petites lunettes sur le nez, manteau bleu marine et cette façon qu’il a toujours eue de se fondre dans le décor. A l’évocation de sa vie, on comprend pourquoi il observe la prudence, lui que la guerre a placé au cœur d’événements dramatiques.
Il est né en Kabylie, dans un petit village non loin de Tizi-Ouzou. Un hameau isolé, accroché à la montagne, où ses parents cultivent des terres en fermage. « La vallée était réservée aux Français, les terres du haut à des Algériens aisés. On y récoltait des olives, des céréales, des figues ». Il est le troisième d’une fratrie de huit enfants. Six garçons et deux filles. A cette époque, la seule école qui existe dans les environs n’est pas réservée aux petits paysans qui doivent se débrouiller dès leur plus jeune âge. « Je n’avais pas accès à l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. J’ai donc grandi illettré. J’avais faim et froid. Nous n’avions pas de chaussures parce que nous ne pouvions pas nous le permettre. Nos parents avaient juste de quoi nous nourrir ». 

Belkadi Belkacem apprend à s’endurcir, à résister. Très jeune, il travaille aux champs. Vers l‘âge de 14, 15 ans, il cherche un travail. « Nous nous rendions à la ville à pied parce que nous ne pouvions pas prendre le bus ». Face à la pauvreté, la communauté est solidaire et s’entraide.

Cartes anciennes d'Alger et sa région


Rattraper le temps perdu 

Il devient manœuvre. « J’ai vite compris qu’il y avait mieux que la vie d’illettré. Je voulais sortir de ma condition. J’ai commencé à faire des calculs, à apprendre le français ». Plus tard, c’est à l’Armée, où il reste 27 mois, qu’un Frère accepte de l’instruire. « J’avais alors 20 ans et j’étais décidé. Il m’a fourni un cahier, un stylo, des livres. Je savais qu’avec des connaissances, ma vie serait meilleure ».
De la guerre d’Algérie déclarée en 1954 pour se terminer en 1962, Belkadi Belkacem garde un souvenir douloureux. « C’était en 1958. Un attentat avait eu lieu en ville. Au moment où je quittais mon travail, j’ai été arrêté alors que j’y étais pour rien. Je suis resté dix jours dans un commissariat où je ne suis pas parvenu à prouver mon innocence ». Loin d’être relâché, il est transféré dans un camp : « Nous étions entassés les uns sur les autres. Le jour, nous étions de corvées. On essayait d’aider les plus âgés d’entre nous, les conditions de détention étaient terribles ». Il est dirigé vers un autre site où les locaux, autrefois destinés à la formation professionnelle, sont plus spacieux. « Notre travail était rémunéré. Très peu, mais c’était toujours ça ». Il reste près d’un an emprisonné.
A sa libération, il veut en connaître les raisons : « Le chef de centre a dit à mon beau-père qu’il n’y avait rien dans mon dossier, mais qu’il me retenait au cas où on viendrait me dénoncer. Cette épreuve a développé mon esprit. Dans le dernier centre, se trouvaient des personnes instruites avec lesquelles j’avais des conversations. Quand j’ai eu la chance de sortir de ce bourbier, j’ai vraiment tout fait pour retrouver une vie normale ».

Malheureusement, l’Algérie traverse un période délicate et Belkadi Belkacem est sans emploi durant plusieurs mois. Le plan de Constantine, appliqué après l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle, relance la construction. Il est ambitieux et prévoit 200.000 logements permettant d'héberger un million de personnes. S’y ajoutent la redistribution de terres agricoles, le développement de l'irrigation, la création d’emplois industriels, la scolarisation de tous les enfants en âge d’aller à l’école, l’emploi d'une proportion accrue de Français Musulmans d'Algérie dans la fonction publique et l'alignement des salaires sur la métropole. Les événements ne permettent que des réalisations limitées et précipitées du plan initial.
Il retrouve donc du travail et c’est un Père blanc qui l’encourage à poursuivre ses apprentissages. « Je me suis inscrit aux cours du soir. Nous étions une quinzaine. J’ai étudié pendant deux ans et obtenu mon examen. Tout devenait clair peu à peu. Quelquefois, j’étais sur mes cours bien après minuit. Je voulais réussir ». Il rejoint l’usine Michelin et grâce à la formation professionnelle, il obtient son BEP de chaudronnier. Ensuite, il entre chez Bosch, groupe spécialisé dans l’électro-ménager et apprend l’allemand. « J’ai mis beaucoup de volonté à avancer car je voulais rattraper le temps perdu ! ».

L'usine Michelin à Alger
Marié, père de quatre garçons et deux filles, il a veillé à ce que ses enfants aient de l’instruction : « J’ai tiré des enseignements de ma jeunesse dans la montagne. Mes fils ont fréquenté l’université et c’est pour moi un bonheur. Ce sont des hommes qui peuvent se débrouiller ». Cette blessure infligée par la dureté de son enfance, Belkadi Belkacem l’a exorcisée. On peut même dire qu’elle a renforcé son caractère : « je souhaite toujours approfondir mes connaissances. Je crois qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin de ma vie !».

« Les intégristes ne sont pas des Musulmans, mais des ignorants » 

Au moment de prendre sa retraite, Belkadi Belkacem a choisi de s'installer en France, l’Algérie traversant des périodes agitées. « Il y avait du terrorisme et j’avais peur pour mes enfants ». Nadia, sa femme, arrive à Jonzac en 1999 où il la rejoint en 2001.
Il ouvre une parenthèse pour expliquer pourquoi son pays n’a pas encore trouvé l’apaisement, le gouvernement algérien étant opposé à des extrémistes. Les consignes restent d’ailleurs à la prudence pour les ressortissants étrangers. Les déplacements sont en particulier déconseillés au Sud et à l’Est de l’Algérie. C’est le cas notamment dans la région de Tizi-Ouzou, où l’enlèvement d’Hervé Gourdel s’est produit le 21 septembre dernier et où onze militaires algériens ont été tués en avril lors d’une attaque terroriste près de la commune d’Iboudrarene.

Tizi-Ouzou et la mairie
Pourquoi a-t-il choisi la Charente-Maritime ? « Autrefois, les Algériens qui quittaient leur pays étaient encadrés par l’Assistance publique. Les formalités ont changé et ils doivent trouver une famille d‘accueil. Ce qui a été mon cas. Ma femme et moi-même avons la double nationalité. J’apprécie la France et la ville de Jonzac où je n’ai jamais eu de problèmes. J’applique un principe simple : je ne fais pas aux autres ce que je ne voudrais pas qu’on me fasse ». 
Musulman pratiquant, il accepte de parler des récents attentats qui ont endeuillé la France. « Ces événements nous ont consternés et nous avons participé à l’élan de fraternité qui a suivi. Les gens qui ont commis ces actes horribles ne sont pas des musulmans, mais des ignorants. Dans le Coran, il y a de la liberté, de la démocratie. Les hommes qui ont commis ces gestes barbares ne connaissent pas le Livre. S’ils l’avaient lu, ils n’auraient jamais fait ça ».
 Au sujet des caricatures du prophète Mahomet, il estime que chaque individu a sa propre sensibilité. « Sans remettre en cause la liberté des dessinateurs, il faut comprendre que cela puisse nous choquer et que d‘une certaine manière, nous puissions nous sentir salis. Pour nous, Mahomet est la meilleure créature de Dieu ; ce qu’il nous a légués en héritage est une ligne de conduite. La liberté d’expression ne veut pas dire être irrespectueux par rapport aux croyances ».
- « Que pensez-vous des jeunes qui vont faire le Djihad ?» « Là encore, c’est de l’ignorance. Le djihad, ce n’est pas combattre l’autre, mais chasser le mal qu’on a en soi pour s'améliorer et améliorer la société » remarque Belkadi Belkacem. Et de déplorer les amalgames faits actuellement : « dans les commentaires, on entend tout et n’importe quoi. C’est pourquoi les personnes, qui ne prennent pas le temps d‘analyser correctement les situations, ont peur. Si un jeune savait ce qu’est exactement le Djihad, il comprendrait que cela n’a rien à voir avec ce que certains lui proposent. En instaurant la haine, il est facile de convaincre des esprits peu avertis. Et j’en reviens à l’éducation. C’est par elle que nous pouvons évoluer et faire progresser la société pour vivre en paix ».

Belkadi Belkacem sait de quoi il parle. Il a connu la misère, les conflits, l’intolérance, le déracinement. Loin d’en porter les stigmates, ces épreuves l’ont fait grandir au contraire. « Si vous aviez un message à délivrer, quel serait-il ? » : « Qu’il faut toujours réfléchir avant d’agir ». Simple et efficace en effet, surtout quand cette réflexion est le fruit de l’expérience…

• Au sujet de Daesh : « Ils veulent nous replacer quatorze siècles en arrière. Rien n’est aujourd’hui comparable, à commencer par le nombre d’habitants. Par ailleurs, tant que Palestiniens et Israéliens ne trouveront pas un terrain d’entente, il y a malheureusement à craindre des problèmes persistants ».

• Et le voile ? « Ce n’est pas un sujet de discussion dans le Coran. Lorsqu’elles sont à l’extérieur, les femmes doivent avoir une tenue correcte et ne pas faire de provocation. Quand elles sont chez elles, elles sont libres d’agir à leur guise. Le Coran a fait avancer la condition féminine ».

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