De Mazarine aux écoutes téléphoniques : Christian Prouteau répond à nos questions.
Christian Prouteau, dans quelles conditions a été créé le GIGN en 1974 ?
À l’époque, j’étais instructeur commandant en gendarmerie. J’assurais la formation des unités spéciales de maintien de l‘ordre. En tant qu’instructeur, je me posais des questions sur les situations d’exception comme les prises d‘otages ou les gens retranchés. Est alors survenue l’affaire de Munich où des Israéliens ont été pris en otage durant les Jeux Olympiques. Les Allemands ont tenté de faire une opération qui s’est terminée en fiasco. Tous les otages ont perdu la vie. Cet échec cuisant nous a amenés à nous interroger. Il semblait évident que nous n’étions pas capables de faire mieux que nos voisins d’outre-Rhin en pareille circonstance. J’ai réfléchi à la question et réalisé un mémoire que j’ai remis à mes supérieurs. Munich est devenu en quelque sorte l’acte fondateur des unités spéciales anti-prises d‘otages. Se sont ajoutées deux autres affaires, celles de Clairvaux et Cestas où des enfants ont été tués par leur père qui s’est ensuite donné la mort.
La Gendarmerie voulait une unité qui lui permette de résoudre ce type de situations. Elle avait conscience que les hommes qui allaient la composer devraient suivre une formation spéciale. Le GIGN a été créé dans ces conditions.
Quelles sont les qualités requises pour diriger cette unité spéciale ?
Il faut avoir une adaptation très rapide à la lecture d‘une situation et un esprit de synthèse. J’ai la faculté d’aller à l’essentiel et de voir rapidement ce qui ne va pas. La réaction doit être prompte. Au GIGN, je me suis dégagé tout de suite de ce qui existait, de l’esprit dit "commando" en particulier, qui concerne les opérations de guerre. Il ne correspond pas aux missions dans lesquelles se trouvent des civils. On ne peut pas traiter les otages selon les méthodes israéliennes ou russes, c’est-à-dire comme des militaires. L’approche consiste à dire : il faut d’abord sauver les otages et si possible tous les autres…
Les prises d’otages ne sont pas des situations de guerre, mais elles peuvent entraîner des morts. Comment vit-on de tels moments ?
Dans ce type d’opération, pour protéger les otages, vous pouvez être conduit à riposter, donc à tirer. Même si elle se justifie, cette décision vous place face à vous-même. Vous agissez en votre âme et conscience, pour votre pays. Je suis croyant et pour moi, chaque vie est précieuse. Je pense à Voltaire qui disait « je ne crois pas que ce monde, qui est une vaste horloge, puisse fonctionner sans horloger » et aux entretiens d’Elie Wiesel et François Mitterrand à ce sujet.
L’affaire de Djibouti, où deux enfants, sept terroristes et neufs soldats somaliens ont été tués, pourrait-elle vous inspirer un prochain film ?
En effet, je veux en faire un film. Non pas pour montrer un exploit puisque nous avons tiré en simultané dans des conditions très difficiles en plein désert, mais par rapport à la souffrance qui peut résulter d’une décision prise et pour laquelle vous n’avez pas obtenu le résultat souhaité. Ce qui a été mon cas. Nous n’avons pas eu la maîtrise totale des événements. Il nous a manqué quelques secondes qui ont coûté la vie à deux gamines. Ce fut terrible.
Christian Prouteau, vous donnez l’impression qu’il y a deux hommes en vous, celui qui n’avait pas le droit à l’erreur et l’autre, qui s’interroge sur les conséquences de ses missions…
Effectivement, je suis sensible aux gens qui m’entourent. Quand vous êtes dans une prise d’otages, vous êtes le garant de la vie des otages et de ceux qui les retiennent. Quand vous engagez une opération, vous n’êtes jamais innocent. Avec le recul, vous avez beau vous dire que vous étiez dans une situation donnée et qu’il n’y avait pas d’autre cheminement, vous y pensez tout le temps.
Revenons à François Mitterrand que vous avez côtoyé durant des années. Quel regard portez-vous sur lui ?
Comme de nombreuses personnes, j’ai admiré l’homme. Je ne m’intéressais pas à la politique, je pensais être de droite. Quand on m’a nommé à la cellule de l’Élysée, j’ai accepté les fonctions qui m‘ont été confiées. Mitterrand était Président de la République, chef des Armées. Même si je n’avais pas voté pour lui, ce n’était pas une raison pour décliner sa proposition. J’ai rempli ma mission.
Pour moi, Mitterrand, c’était d’abord le tribun politique. Dans les années 80, j’avais mes idées, du moins ce que je pensais être mes pensées politiques. Je voulais bien servir le Président de la République, mais je ne souhaitais pas avoir de proximité avec lui. Cela me gênait. Dès le premier entretien, j’ai senti un homme différent de l’idée que je m’en faisais.
Il vous a confié la protection de Mazarine, une tâche délicate puisque curieusement, et alors que les mentalités avaient évolué, il cachait cette enfant née hors mariage ?
Mazarine, c’était un coin de ciel bleu dans un monde de brutes. Elle avait sept ans et demi. Nous étions chargés d’assurer sa sécurité et pour nous faire accepter d’elle, il a fallu tisser des liens de confiance. J’avais demandé à mes hommes d’occuper le plus possible le terrain pour répondre à ses questions et ne pas se cantonner à être des anges gardiens lointains. Nous l’avons protégée durant treize ans, 365 jours sur 365 jours.
En protégeant Mazarine, vous entrez dans l’engrenage mitterrandien. Avez-vous eu envie de lui dire : « si vous la présentiez officiellement, les choses seraient plus simples et personne n’essaierait plus de vous faire chanter ? ». On pense bien sûr à Jean-Edern Hallier…
Aujourd’hui, tout le monde dit que l‘existence de Mazarine était un secret de Polichinelle. Permettez-moi d’émettre un bémol : il s’agit d’une prétention de journalistes. Compte-tenu de leur métier, ils ne peuvent pas dire ouvertement qu’ils ne le savaient pas ! En ce qui concerne le choix du Président, je n’avais pas à le commenter.
Née en 1973, Mazarine a été reconnue en 1984. Parmi les personnes qui cherchaient à nuire à cette enfant, Jean-Edern Hallier, l’écrivain pamphlétaire, a essayé de nous créer des problèmes. Nous nous sommes donc arrangés pour qu’il ne nous en crée pas ! Cela ne s’arrête pas au retrait du manuscrit qu’il devait publier et où l’existence de Mazarine était révélée. S’y ajoute tout ce qu’il y avait autour. Trouvez-vous normal qu’une personne, au prétexte qu’elle n’a pas obtenu ce qu’elle voulait du Président de la République, puisse essayer de pourrir la vie d’une enfant innocente ? Son but était de se faire remarquer jusqu’à imaginer un sitting devant l’école où était scolarisée Mazarine.
Pour de nombreuses personnes, Jean-Edern Hallier est un pitre et un amuseur public. Il n’est pas ça du tout. Il avait une véritable faculté de nuire. On le sait et je pourrais en donner des exemples. Dans sa colère contre Mitterrand, il était prêt à utiliser des méthodes que je trouve d’autant plus scandaleuses que lui-même n’était pas blanc comme neige dans sa vie privée.
Mazarine était protégé parce qu’elle était mineure et nous devions la mettre à l’abri des individus mal intentionnés à son égard. Il en faisait partie.
Revoyez-vous Mazarine Pingeot ?
Non, mais elle est le fil conducteur qui m’a conduit auprès d’un Président de la République. Mitterrand a été l’un des grands chefs d’État de la Ve République.
En dehors des Irlandais de Vincennes, affaire totalement manipulée, celle des écoutes téléphoniques a provoqué un énorme scandale dans le pays. Vous y étiez aux premières loges…
Tout d’abord, je n’effectuais pas directement les écoutes. Je lisais les rapports dans lesquels il pouvait y avoir des choses qui intéressaient l’Élysée. Le but n’était pas de garder les conversations intimes qui ne présentaient aucun intérêt.
Dans le cadre du renseignement, nous étions obligés de faire un certain nombre de choses qui n’étaient pas forcément agréables. Ce que je trouve paradoxal, c’est que j’ai dû prendre, dans le cadre de mes missions, des décisions qui ont conduit à mort d’hommes : on ne m’a jamais posé de questions. Par contre, sur les écoutes téléphoniques pour lesquelles je n’ai jamais embêté personne et qui n’étaient pas de mon fait, j’en ai pris plein la figure…
L’instruction a duré dix ans et j’ai écopé de prison avec sursis pour six dossiers dont les peines étaient amnistiées. J’ai tout de même eu 42 relaxes. Malgré la déclaration du Président du Tribunal qui m’a dit « M. le Préfet, calmez-vous, c’est un procès sans enjeu », cette affaire m’a blessé. Son côté spectacle m’a pourri la vie et conduit à écrire ce livre. Passer dix ans de sa vie en instruction, vivre quatre mois et demi de procès lié aux écoutes téléphoniques alors que vous êtes, en parallèle, poursuivi pour tentative d’assassinat sur Carlos et que cette affaire-là n’intéresse pas les médias, avouez qu’on peut se poser des questions !
Carlos a déposé une plainte contre moi qui a été acceptée par le Parquet. J’ai été relaxé. Je suis surpris que les écoutes aient rempli des journaux entiers alors que ma mise en examen pour Carlos n’a pas attiré l’attention. Qu’un Préfet soit poursuivi par un terroriste, condamné par la justice française à la réclusion criminelle à perpétuité pour des actes terroristes commis en 1992, aurait pu intéresser la presse…
Y a-t-il des secrets que vous taisez ?
Oui. Je ne parle que des choses qui me concernent directement, dans lesquelles j’ai été impliqué ou dont j’ai été le témoin en participant aux prises de décision.
Quelles sont vos activités actuelles ?
Je ne suis plus militaire depuis 25 ans. J’ai créé une société où je vends ce que je sais faire. J’y assure la formation et la motivation de cadres capables de gérer les situations de crise. Je travaille beaucoup pour l‘étranger. Je réserve aussi de mon temps à l’association des anciens et amis du GIGN.
Propos recueillis par Nicole Bertin
L'info en plus
• Djibouti : Des tireurs extraordinaires
L’affaire de Djibouti est une prise d’otages d’enfants opérée par des terroristes du FLCS (Front de libération de la Côte Somalienne) à Loyada. Des enfants (une trentaine) étaient retenus dans un car. Les forces djiboutiennes avaient totalement échoué et subi de lourdes pertes dans leurs rangs. Le GIGN fit preuve d’une précision extraordinaire puisque les preneurs d’otages furent neutralisés au milieu des jeunes par des tireurs d‘élite.
• Hallier soit qui mal y pense…
Jean-Edern Hallier pensait obtenir un poste important de conseiller à l’Élysée de la part de François Mitterrand. Or, ce dernier préféra Régis Debray dont l’appartement, ô étrange coïncidence, fut aussitôt détruit par une explosion. Furieux d’avoir été écarté du gouvernement, Jean-Edern Hallier voulait publier un livre sulfureux où il détaillait, entre autres, ses relations intimes avec Mitterrand et l’existence de Mazarine. Le moment était bien mal choisi car Mitterrand n’était pas homme à se laisser faire.
Se sentant menacé, Jean-Edern Hallier n’eut d’autre idée que d’imaginer son propre enlèvement et il disparut durant plusieurs jours. Quand il réapparut, un accord avait apparemment été conclu avec l’Élysée et le pamphlétaire retourna à ses activités. Le livre “tel qu’il était“ ne fut jamais édité (“L’honneur perdu de François Mitterrand“, dont les manuscrits furent remis à la police, a été publié plusieurs années plus tard dans une version très expurgée).
Jean-Edern Hallier est mort en janvier 1997. Selon certains observateurs, « peu de temps après la découverte de son corps, il a été constaté que le coffre-fort de sa chambre d’hôtel - qui contenait des photocopies de documents concernant François Mitterrand et Roland Dumas - ainsi que son appartement avaient été cambriolés ». L’hypothèse d’un assassinat a été plusieurs fois avancée, notamment par ses proches. Les plaintes déposées contre X sont restées sans suite.
• Les Irlandais de Vincennes
Le 9 août 1982, un commando de quatre ou cinq hommes descend la rue des Rosiers, visant un célèbre restaurant juif parisien. L’attentat fait six morts et vingt-deux blessés. Alors qu’à l’évidence, il s’agit d’un attentat anti-israélien, on veut détourner l’attention d’un public scandalisé en faisant croire que les coupables sont des nationalistes irlandais. La cellule anti-terroriste interpelle un ressortissant irlandais, Michaël Plunkett, chez qui ont été retrouvées des armes, que le capitaine Barril, adjoint de C. Prouteau, a eu l’idée de faire placer.
Au total, trois Irlandais de Vincennes font neuf mois de détention. Ils sont libérés en mai 1983. Le procès qui suit met en cause les méthodes utilisées par la gendarmerie.
• Tonton, pourquoi tu tousses ?
L’affaire des écoutes de l’Élysée s’est déroulée de 1983 à 1986 sous François Mitterrand. Elle s’est terminée par un procès en 2004. Il a conduit à la condamnation de sept anciens collaborateurs du Président, dont Gilles Ménage, ex-directeur de cabinet adjoint (six mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende pour « atteinte à l’intimité de la vie privée »), Christian Prouteau, patron de la cellule antiterroriste (huit mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende), Louis Schweitzer, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius à Matignon, pour le placement sur écoutes de l’écrivain Jean-Edern Hallier (dispensé de peines), Michel Delebarre, ex-directeur de cabinet de Pierre Mauroy à Matignon pour le placement sur écoutes de l’écrivain Jean-Edern Hallier (dispensé de peines), l’ancien gendarme Paul Barril condamné pour le recel des données secrètes de la cellule à six mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende. François Mitterrand a été désigné comme « l’inspirateur et le décideur de l’essentiel ».
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