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samedi 28 février 2009
Jonzac, un bourg de voleurs ! Une auberge louche près de Saintes
L’historien Marc Seguin, à qui nous devons de nombreux ouvrages dont le (magnifique) troisième tome de L’histoire de l’Aunis et de la Saintonge, étudie avec une attention particulière les XVIe et XVIIe siècles. Aux archives, il a trouvé des affaires dignes d’être contées, se déroulant au temps de François 1er. Alors que la Renaissance italienne inspirait l’architecture française, les mœurs étaient brutales (brigandage, insécurité) et la justice expéditive...
Marc Seguin est un homme patient. Depuis des années, il consulte les archives, à la recherche de documents inédits. Il a appris à décrypter l’écriture du XVIe siècle qui, pour beaucoup d’entre nous, reste énigmatique. Cette connaissance lui a permis de découvrir de nombreux détails sur la vie des Saintongeais.
Le XVIe était-il « le bon vieux temps » selon l’expression ? Il répond négativement en argumentant sur la période qu’il a retenue, située entre 1524 et 1532.
Quelle est la situation à l’époque ? François 1er, le célèbre vainqueur de Marignan, règne sur la France depuis 1515. Le royaume devient un état fortement centralisé avec la création du “Trésor de l’Epargne” en 1521.
S’il est organisé, le monarque apprécie aussi la beauté. Sous son influence, le pays se couvre de châteaux d’inspiration italienne comme Chambord et Fontenaibleau. Le palais du Louvre est construit. Peintres, artistes, écrivains expriment leur talent.
A Saintes, le céramiste Bernard Palissy, s’apprête à trouver le secret de l’émail. Des édifices aux lignes élégantes voient le jour en Saintonge : à Echebrune (qui deviendra le futur château d’Usson), à Guitinières, à Saint Just Marennes, à Lonzac ou à Archiac qui possède «onze tours» prétendent les chroniques !
Cette apparente évolution, signe de modernité, contraste avec la dureté des mœurs. « En Saintonge, le beau seizième siècle commence en 1530 pour se terminer aux alentours de 1570 » estime Marc Seguin.
A l’échelon national, les signes de la croissance économique apparaissent plus tôt, la période de prospérité allant de 1490 à 1530. Les sanglantes Guerres de Religion mettent fin à cet essor.
L’évêque de Saintes assiégé
Que se passe-t-il en février 1524 ? Les astrologues sont pessimistes. D’après leurs savants calculs, la conjonction des planètes serait défavorable.
Ils annoncent des catastrophes : séismes, inondations, bouleversements de l’Etat, sans compter des apparitions de monstres et, pourquoi pas, la fin du monde ? L’annonce de ces horreurs produit un effet certain sur les habitants. Ils tremblent à l’idée de voir leur belle terre disparaître dans le chaos !
De violents troubles sociaux, découlant de la réforme religieuse, agitent l’Allemagne en 1524 et 1525. Sentant le danger, Luther condamne les auteurs de ces horoscopes apocalyptiques et appelle la population à les ignorer ! Qu’on fasse taire les jeteurs de troubles ou qu’on leur torde le cou...
La Saintonge n’échappe pas à cette folie. Quand les astres sont en pagaille, ils agitent la planète ! « Les émeutes sont nombreuses » remarque l’historien. En 1532, les Saintais manifestent à deux reprises leur colère en assiégeant le palais épiscopal... dans un but peu chrétien. Leur mécontentement est lié à des questions d’argent.
En 1527, la première “opération” a fait un mort, un homme d’armes. Une des tours a été incendiée. En 1532, la rébellion organisée par la sénéchaussée aurait pu se terminer tragiquement. L’évêque, italien de grande famille, est accusé de conserver les revenus de l’évêché sans les partager avec les officiers de la ville. L’altercation fait une seule victime, un vieux sacristain. Sourd, il n’a pas entendu les assaillants arriver...
Qui dit meurtre, dit punition. Même partiale, la justice existe. En 1532 par exemple, Antoine de Beaumont, seigneur d’Usseau (près de Marignac) est condamné à avoir la tête tranchée. Il s’enfuit de la conciergerie de Bordeaux, prison où il a été enfermé. Gilbert de Gombaud se trouve dans le même cas pour avoir tué un prêtre. Il prend le large...
Jonzac : un bourg de voleurs
A Jonzac, l’ambiance est tendue. Alain, le fils de Jean de Sainte Maure, est mineur. Son oncle, Philippe, seigneur de Chaux, est son curateur. Jonzac appartient donc à un enfant ! En l’absence d’un homme de poigne, l’insécurité est réelle malgré le « dispositif » mis en place. Deux hommes de loi, René Gabillon et Jacques Echasseriaux (l’ancêtre du futur Baron ?) s’émeuvent de la situation. Ils adressent une requête au Parlement de Bordeaux pour que cessent les assemblées illicites, le port d’armes, les rapts d’enfants et les viols. Charmant, ce bourg qui constitue « un repère de voleurs » !
Les truands sont avertis de leur démarche. Loin de prendre peur et de quitter les lieux, ils cherchent à se venger au contraire. Après avoir maltraité et abattu les officiers chargés de la sécurité, ils se rendent chez les auteurs du courrier qu’ils tabassent et dont ils pillent les demeures : « Jonzac était au centre d’une zone de non droit ».
Heureusement pour la population, les malfrats sont arrêtés dans la majorité des cas. Toutefois, le Parlement se plaint que la justice relâche rapidement les délinquants. Sur ce chapitre, les choses sont encore d’actualité !
Taillebourg : Une auberge bien mal famée...
En 1524, le climat n’est pas meilleur aux environs de Saintes, dans la châtellenie de Taillebourg. Près de l’étang des Forges, existe la taverne de Vide Cour.
S’y réunit une bande de mauvais garçons dont le dénommé Pinson, à qui le bourreau de Saintes a déjà coupé une oreille. Ils écument la région. Tout est bon, de l’argent de l’église aux volailles des paysans, sans oublier le linge et autres effets pouvant être revendus. Les propriétaires de l’auberge ne valent pas mieux et ils ont une spécialité : ils détroussent leurs clients. « Si l’étang des Forges était drainé, on y trouverait bien trente corps jetés là par les taverniers » soulignent les voyageurs (rescapés !).
Ayant reçu des plaintes, Joumier, prévôt des maréchaux, entreprend de mettre de l’ordre «dans ce monde de brutes». On l’a averti qu’il trouverait sur place des faux monnayeurs. A l’époque, fabriquer de la fausse monnaie était un crime de lèse-majesté lourdement puni : le coupable était jeté vivant dans l’huile bouillante...
Après avoir obtenu le “feu vert” du seigneur de Bussac sur Charente, il rassemble la population au son du tocsin un dimanche de juillet.
En avant ! Ils font irruption dans la fameuse taverne. En les voyant arriver, les individus recherchés se cachent. Filous, les tenanciers indiquent au prévôt d’autres endroits de la forêt de Fontcouverte où ils pourraient les trouver. Le justicier fait semblant de les croire et rebrousse chemin. En réalité, il se cache avec ses hommes dans les buissons environnants et observe les évènements. Pas de doute, les coquins sont bien là !
Il passe à l’attaque. Loin de se rendre, les bougres résistent. L’assaut est donné. Surpris, ils se réfugient dans le grenier. Furieux, le prévôt fait apporter de l’herbe, des cosses de pois et de fèves. Enfumés, ils sortiront de leur cachette ! Craignant l’asphyxie, les faux-monnayeurs capitulent en effet. Ils sont conduits à la prison de Saintes.
Le bien a-t-il triomphé du mal ? Eh bien, non ! Les gens du château de Taillebourg viennent les chercher. Quelques jours plus tard, ils sont relâchés sans punition aucune. La bande veut alors se venger : à mort, Joumier ! L’histoire ne dit pas ce qu’il advint, mais l’intéressé connut sûrement des heures périlleuses.
« Il ne faut pas dramatiser. On sauvait déjà son honneur en jacquetant sur la personne ciblée, c’est-à-dire en se vantant de l’avoir tuée » déclare Marc Seguin.
Quant à nos taverniers, pris de panique, ils mettent le feu aux objets qu’ils ont volés. Sont-ils maladroits ? L’incendie se propage dans l’auberge, signe du destin ! Ainsi se consuma un endroit mal famé. L’étang des Forges existe toujours sur la commune du Douhet, près de la fontaine romaine.
Voici, trouvés par Marc Seguin, d’authentiques faits divers du XVIe siècle qui révèlent les comportements du moment. Pendant que les “Grands” faisaient édifier de belles demeures, la campagne profonde, éloignée du pouvoir, vivait au rythme de ses mécontentements et de ses injustices. S’il a privilégié les arts, ne dit-on pas que François 1er a gaspillé l’argent du peuple ? Un peuple qui s’est rebellé en maintes occasions et souvent pour les mêmes raisons financières...
Infos en plus
• Les prévots des maréchaux craints et souvent haïs
Comment s’organise la justice ? Les seigneurs, propriétaires de châteaux forts, rendent la haute justice. Ils possèdent un tribunal qui peut émettre une sentence de mort. Il est composé d’officiers, d’un juge châtelain, d’un juge ordinaire et d’un procureur. Il en est ainsi à Jonzac, Ozillac, Saint Maigrin, Archiac, Pons, Mirambeau, Nieul le Virouil, Plassac.
Les prévôts des maréchaux sont nommés par le roi.
Ils ont le droit de vie ou de mort, la pendaison pouvant être immédiate. Chargés de réprimer le banditisme, ils sanctionnent criminels, vagabonds et faux monnayeurs. Ils disposent d’archers. Ces hommes puissants sont objets de mépris et de scandales. Les hommes de loi les détestent : « Ils sont souvent ignorants, cruels et n’hésitent pas à se faire payer ». Dans la région, Vidaud, le seigneur de Moings assure cette fonction.
A Mirambeau, Jean Grimaux, l’un d’eux, arrête les gens pour des motifs discutables.
En cas de “coup dur”, les prévôts font appel aux villageois qui viennent en renfort (s’ils le veulent).
Ils sont organisés en compagnies commandées par un capitaine.
Par contre, la population a des obligations envers le seigneur des lieux dont le service de garde et de gué. S’y ajoutent les fameuses corvées. Au centre de la châtellenie, le château nécessite un entretien coûteux et un service de garde. Tout individu habitant dans le secteur doit participer à la défense collective. Les dangers sont réels tant de la part des Espagnols que des brigands.
Certains “futés” essaient d’échapper à cette astreinte.
Si le château fort a été détruit, ils prétendent ignorer de quelle châtellenie ils dépendent !
De jour comme de nuit, à tour de rôle et sans tenir compte des trente cinq heures (!), les hommes surveillent et signalent toute présence suspecte. Pendant qu’ils sont à l’ouvrage, ils entretiennent douves et murailles. Néanmoins, ce ne sont pas des guerriers. Leur armement est disparate. Les mieux lotis ont une arbalète ou une épée, les autres une pique, une dague ou une javeline.
Ces obligations, véritables contraintes, ne provoquent pas l’enthousiasme. Des querelles surgissent qui se terminent devant le tribunal. En 1489, à Montendre, un procès oppose Marguerite de la Roche, son capitaine et les habitants de la châtellenie (dont ceux de Vallet) qui refusent d’apporter leur contribution. Chaque paroisse a un syndic qui représente les intérêts des particuliers.
Il y a tout lieu de penser qu’ils ont donné leurs noms à des villages actuels : Etienne Augeard à Vallet, Guillaume Bouyer à Chardes, Antoine Picq à Expiremont, L. Bouc à Rouffignac, etc.
• Le supplice de la roue
Parmi les supplices les plus spectaculaires, figure celui de la roue. Les quatre membres et les côtes du condamné sont brisés avec des barres de fer. On le laisse agoniser. Selon les historiens, la roue a été inventée après la révolte de la gabelle, mais elle semble avoir existé bien avant en Saintonge. Aurions-nous un penchant pour les supplices ? La guillotine, créée par le médecin saintais Guillotin, est une invention «révolutionnaire». Plus sûre que la hache pour trancher le cou, elle ne laissait - d’après son inventeur - qu’une légère fraîcheur sur la nuque. Vu les circonstances, personne n’a pu confirmer la véracité de cette déclaration !
• Déjà les impôts…
En 1548, la révolte de la gabelle (impôt sur le sel) éclate et la colère gronde. Réunis dans un même élan de contestation, les habitants de Saintonge, d’Angoumois, de Guyenne se rebellent. Dans la région, les mécontents partent pour Blaye dans le but de massacrer les marchands responsables de leur misère.
Conséquence, les seigneurs cherchent à se protéger contre les révoltes paysannes. Ainsi, à Allas Bocage, Jean de Sousmoulins, vassal du seigneur de Mirambeau, obtient le droit exceptionnel de fortifier son château alors que sa condition ne le lui permet pas. Il a des relations, semble-t-il ! Bien que catholique, son fils est proche d’Agrippa d’Aubigné. Sa fille est dame d’honneur de la reine Catherine de Médicis. De ces travaux d’envergure, il reste un portail daté de 1526.
Photo 1 : Marc Seguin
Photo 2 : Saintes, plan de Braun 1560
Photo 3 : Le port et le château de Talmont au début du XVIIe siècle
Photo 4 : Un délinquant condamné par la justice seigneuriale
Photo 5 : Le supplice de la roue
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