Dernièrement, l'Académie de Saintonge, que dirige Marie-Dominique Montel, recevait l'Académie de Bordeaux (une cinquantaine de participants) en présence de Claude Jean, son président et l'amiral Bérault, secrétaire perpétuel. Alain Michaud, historien et membre de l'Académie de Saintonge, s'est transformé en guide, conduisant le groupe à la découverte des monuments emblématiques de la ville de Saintes. Parmi eux, l'Abbaye aux Dames (explications de Christian Vernou et Christophe Laine, guide des musées), l'arc romain de Germanicus, l'amphithéâtre actuellement en travaux ainsi que la basilique Saint-Eutrope. Chef d’œuvre de l’art roman, sa crypte constitue l’un des lieux à découvrir dans la région. Endroit secret, énigmatique, elle fascine par son impressionnante forêt de piliers, massifs et sculptés, qui entoure le tombeau d'Eutrope, premier évangélisateur de la Saintonge. Depuis 1998, l'édifice est inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco (chemins de Saint-Jacques de Compostelle).
La basilique Saint Eutrope (partie haute) |
Christian Gensbeitel (rattaché à l'Institut de Recherche sur les ArchéoMATériaux UMR 7065) et Alain Michaud, historien, accueillent l'Académie de Bordeaux |
La façade romane restaurée de Saint-Eutrope |
« Quand je suis arrivé à Saintes en 1990, on annonçait déjà des travaux éminents à la basilique Saint-Eutrope. Ils n'ont été engagés qu'en 2016. Ce fut l'occasion de lancer un projet collectif de recherches financé par le Ministère de la Culture par l'intermédiaire de la DRAC de Poitiers. Cette basilique fait partie des joyaux de la Ville de Saintes et plus généralement de l'ancienne Aquitaine. J'étais convaincu que le monument ne livrerait aucune donnée nouvelle sans investigations et travaux. Le moment était donc opportun pour faire des observations de type archéologique. Un projet d'accompagnement scientifique de ce travail de restauration a été soumis à la DRAC et la municipalité. Le ministère de la Culture l'a accepté. Une équipe de volontaires compétents (une trentaine) - dont fait partie Alain Michaud - s'est formée et travaille selon sa spécialité.
Comme en 2022, 2023 est une année blanche. Même s'il ne passe rien sur le terrain, chacun est à la tâche. Les observations principales se font au moment des chantiers. En 2018, l'architecte du patrimoine, Elsa Ricaud (qui suit également la restauration de la maison de Pierre Loti à Rochefort) avait demandé un premier diagnostic archéologique en raison de l'état sanitaire du monument. Les problèmes venaient essentiellement des remontées d'humidité dans les maçonneries, la desquamation des pierres ainsi que de difficultés structurelles sur la face occidentale. Ce diagnostic archéologique a été conduit sous la direction d'Adrien Montigny par l'INRAP.
Le "chef" (tête) de Saint-Eutrope a été installé dans la partie haute dans une châsse |
Je m'intéresse personnellement à une branche de l'archéologie qui est celle du bâti. Elle consiste à appliquer à l'architecture les mêmes méthodes d'observation et d'enregistrement que dans l'archéologie sédimentaire. L'INRAP a procédé à une enquête d'archéologie sédimentaire à l'extérieur, l'intérieur et sur le parking actuel qui correspond à l'emplacement de l'ancienne nef détruite en 1803. Sa démolition crée une énorme lacune quant à la compréhension de l'édifice.
Il en est de même pour l'essentiel de l'ancien prieuré de l'ordre de Cluny dont dépendait cette église. Il était situé au sud de la nef et possédait un cloître remanié à l'issue des guerres de religion. Il est difficile pour nous de retrouver les traces du prieuré médiéval !
En 2023, le programme est loin d'être achevé. En 2024, est prévue une nouvelle phase de travaux. Pour mémoire, rappelons que le premier échafaudage a été placé en 2021 ! La première phase de restauration concernait le chevet de l'église. La prochaine, l'avant crypte et la crypte. Sous le parvis, il y un vide qui a vu le jour au XIXe siècle lorsqu'un curé de Saint-Eutrope a décidé de construire un escalier monumental permettant d'accéder directement à la crypte. Ce n'était pas une mauvaise idée, mais la forme de cet escalier a fait qu'il n'a jamais été mis en service. Aujourd'hui, on se retrouve avec un escalier inachevé et un vide qui occasionnent des problèmes structurels dans les maçonneries occidentales puisque l'eau y entre abondamment.
Découverte d'un édifice au riche passé |
Le résultat des fouilles :
Nous avons repris tous les travaux historiques, notamment les sources conservées aux Archives départementales pour la plupart et qui n'ont pas toujours été exploitées. Des dossiers étaient ouverts, d'autres clos. Les fouilles menées en 2018 ont été riches : pour la première fois depuis les travaux de Julien Laferrière et Charles Dangibeaud au XIXème siècle, des fouilles étaient réalisées sur le site et l'on a pu observer le sous-sol côté nord. Les sondages ont apporté des indices et soulevé de nouvelles questions.
Sous la nef, ils font apparaître des vestiges qui pourraient remonter à l'antiquité (mausolées ?). Nous essayons de renouer tous ces fils historiques et archéologiques. Comprendre ce chantier ambitieux de la fin du XIe, dans cette partie centrale de l'ancienne Aquitaine, n'est pas aisé. Il y avait déjà des constructions somptuaires en Poitou comme Saint-Hilaire, Notre-Dame la Grande, Saint-Jean de Montierneuf, la grande abbatiale de Limoges, Saint-Seurin de Bordeaux, la grande abbaye de Sorde dans les Landes. Le chantier des années 1080, 1090, 1120 concerne les parties occidentales. Saint-Eutrope est un édifice majeur avec un chevet très profond. D'où viennent les artistes, les artisans ? Qui est maître d'ouvrage ? Le maître d'œuvre, Benoit, est âgé et expérimenté, dit-on. Il est possible qu'il vienne du Poitou.
Cette église extraordinaire est marquée par la tradition poitevine avec un déambulatoire, trois chapelles axiales et rayonnantes. Plus tard, le "chef" (tête) de Saint-Eutrope a été installé dans la partie haute dans une châsse. Dès lors, les fidèles étaient obligés de monter quand autrefois, ils descendaient dans la crypte se recueillir devant le tombeau de Saint-Eutrope.
L'église Saint-Eutrope est un chef d'œuvre de l'art roman du XIe, remanié au XVe par Louis XI. Le chantier gothique s'est interrompu faute de moyens. La nef, située à l'emplacement du parking, a disparu. Quelles étaient les relations entre la nef, la crypte et le chœur des moines (une vingtaine) ? Il était peut être isolé du flot des fidèles. La légende prétend qu'on accueillait des centaines de pèlerins. Il devait plutôt s'agir de fidèles lors des grandes cérémonies chrétiennes. Cette basilique est originale car sa crypte est aussi grande que le chevet. Quel était l'accès initial à la crypte ? Cette église est une sorte de patchwork architectural qui délivre des informations par bribes. Nous préparons un modèle numérique qui montrera l'apparence que pouvait avoir cet édifice avant la disparition de la nef et les remaniements dont elle a fait l'objet.
Au XVème siècle, l’édifice s'embellit avec la construction de la partie gothique. Louis XI finance la surélévation du clocher. Commencé en 1478, il est achevé en 1496. |
Belle ornementation de chapiteaux |
• Les sondages de 2018 autour de la basilique : Nous sommes face à une grosse nécropole, avec des superpositions de sépultures et plusieurs périodes d'ensevelissement. Le cimetière a été utilisé jusqu'au XIXème siècle. Aucune fouille n'a été entreprise, les sépultures ont été préservées.
Explications dans la crypte par Christian Gensbeitel |
Le tombeau de Saint-Eutrope |
Autour d'Eutrope, les enjeux de ce site religieux :
Depuis le VIème siècle, Eutrope fait partie des saints vénérés à Saintes et en Saintonge. Autour de lui, s'est structuré un récit dont l'essentiel a été écrit au moment de la réalisation de l'église. D'où une grande part de légende. On sait peu de choses sur Eutrope. Il fait partie des personnalités premières dans l'histoire du christianisme à Saintes. La tentation a été grande de faire reculer cette légende le plus loin possible dans le temps, de l'associer quasiment au début du christianisme : il aurait connu le Christ, il aurait été envoyé ici pour évangéliser la Saintonge à une période où les historiens savent que ce n'est pas le cas. La christianisation s'est réalisée à partir du IVe siècle, officiellement reconnue au sein de l'empire romain par Constantin en 312. C'est probablement dans une nécropole de l'antiquité tardive, à proximité des arènes, à l'extérieur de la ville, que s'est développé le culte de ce personnage. Nous retrouvons un processus à peu près identique à Périgueux, Poitiers, Bordeaux, etc. L'histoire s'est amplifiée, il est devenu saint fondateur, martyr, ayant pris sous son aile Eustelle, la fille du gouverneur local.
Au XIème siècle, la légende arrive à point nommé pour justifier cet énorme chantier de construction entrepris par Guillaume VIII, duc d'Aquitaine qui vient de reprendre la Saintonge. Cette reconquête est le premier pas vers une annexion de l'ensemble de l'espace aquitain. Dans la foulée, il intègre le duché de Gascogne et Bordeaux. Est d'ailleurs associé à Eutrope un évêque de Bordeaux bien connu, Léonce le jeune. Les sources sont la charte de donation à Cluny de 1081 (dont un exemplaire se trouve à la médiathèque de Saintes), le concile de Bordeaux en 1079 et la chronique de Saint-Cybard dont on a seulement une transcription. Le texte raconte la consécration de l'autel de l'église et celui de la crypte à côté du nouveau tombeau contenant les restes de Saint-Eutrope. Ils auraient été jusque-là conservés dans une ancienne basilique - dont on ne sait rien - depuis au moins le VIe siècle. Cette mise en scène montre à la manœuvre Ramnulfe, évêque réformateur de Saintes, et Guillaume VIII qui appuie le renouveau d'un vieux sanctuaire. Quoi de mieux que d'avoir à Saintes le tombeau de Saint-Eutrope qui devient l'un des sites majeurs de la France de l'Ouest ! Dans Le Guide du pèlerin, texte idéologique rédigé au XIIe siècle par un clerc qui met en valeur les sanctuaires de la région, Saint-Eutrope de Saintes vient aussitôt Saint-Jacques de Compostelle. On vénère désormais le saint dans une basilique flambant neuve. En 1096, on procède à la consécration de ce qui est déjà construit. La nef et le transept viendront plus tard. Nous cherchons toujours l'emplacement du premier tombeau de Saint-Eutrope et de Saint Léonce le Jeune. Sans doute est-il à l'intérieur de la ville puisqu'il en est question au moment d'un siège...
Admirez l'architecture de la crypte ! |
• Au XVIème siècle, la crypte est comblée partiellement. Par la suite, la Révolution chamboule le clergé. Les Clunisiens quittent les lieux et l’ensemble est vendu comme bien national. C’est au XIXe siècle que les érudits locaux réagissent et obtiennent le déblaiement de la crypte et le classement de l'ensemble aux Monuments Historiques. Miracle pour Saint-Eutrope, son tombeau réapparaît et l’Eglise donne un nouveau souffle à son culte !
• Au XIXème siècle, l’ensemble de l’édifice souffre et la nef (qui se trouvait sur le parvis actuel où sont stationnés les véhicules) s’affaisse. En 1803, l’Etat décide de raser cette partie pour des raisons de sécurité. Quel dommage...
PHOTOS NICOLE BERTIN
2 commentaires:
Magnifique article ! Excellentes photographies.
J'ai beaucoup appris. Merci
très bon article. Saintes est une si belle ville et dotée de si riches monuments.
France profonde et France éternelle !
Cordiales pensées
Alain Vircondelet
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