mercredi 14 octobre 2009

Montendre :
Jean-Marie Joyé était le doyen des conseillers !


Quand le Baron Empain
 investissait à Montendre…

Jean-Marie Joyé
 vient de donner son nom
 à la Maison de la Solidarité. En 1999, à l’âge de 78 ans, il avait confié 
ses souvenirs. 
Doyen du conseil municipal de Montendre où il avait 
en charge les affaires 
sociales, sa première 
élection remontait 
à mars 1971, année 
où Claude Augier avait succédé au docteur 
Poirier. Vingt-huit ans s’étaient écoulés
 et Montendre avait changé de physionomie. 
Il évoquait avec plaisir ce temps d’avant 
qu’aujourd’hui, beaucoup ont oublié ou n’ont pas connu, tout simplement.
Portrait d’un élu resté fidèle à ses idées basées 
sur l’égalité et la fraternité.


Retour en arrière. Chaque mardi matin, Jean-Marie Joyé tient une permanence en mairie de Montendre. Vice président du CCAS, il est chargé des affaires sociales. Constitution de dossiers, assistance, conseils : par les temps qui courent, le travail ne manque pas face à la précarité galopante. L’élu ne baisse pas les bras, il connaît bien le "terrain". N’était-il pas aux premières lignes des salariés de l’usine C.E.C lorsqu’il s’agissait d’améliorer les conditions de travail ou de salaire ?
Dans les années 60, il y avait du travail dans la cité des pins ! Depuis, cette usine a fermé ses portes et lui-même est parti en retraite. Le contexte a changé, obligeant les municipalités successives à prendre de nouvelles orientations. Siégeant au conseil depuis vingt-huit ans, Jean-Marie Joyé est presque un habitué ! Observateur privilégié, il a suivi l’évolution de la cité. Que de souvenirs…

Une génération marquée 
par la guerre

Jean-Marie Joyé a grandi à Montendre. Avec un brin d’émotion, il évoque la mémoire de ses aïeux qui vivaient du côté de Mirambeau. L’un d’eux faisait le commerce du fer et du charbon. Il allait se ravitailler au port de Blaye où les gabares acheminaient les marchandises par voie fluviale. Les affaires prospérant, la famille s’installa à Montendre où elle ouvrit une quincaillerie sur la place des Halles. «Mon arrière-grand-père, Paul Petit, possédait une affaire de diligences» souligne-t-il. Propriétaire de la Trappe, il distillait. Les anciens alliaient commerce et viticulture !
Son père, André Joyé, était représentant pour la marque Singer. «Je l’ai perdu à l’âge de onze ans. Il est mort des suites de la guerre 14-18 où il avait été gazé. Il n’a pas été le seul. Perrier et Chemineau sont décédés dans les mêmes conditions». Sa mère, Hélène, reste seule avec six enfants. «Nous habitions Saintes. Avec la disparition de mon père, nous sommes revenus à Montendre où nous avions de la parenté».

Le jeune Jean-Marie découvre un gros bourg rural qui semble lui tendre les bras. La physionomie de Montendre était différente. «La maison de ma grand-mère était à la place des écoles primaires. La rue qui passe devant le monument aux morts n’existait pas. Là où sont les ateliers municipaux, poussait une vigne ! C’était la campagne. Dans ce secteur, il y avait l’écurie du Bœuf Couronné, établissement situé à l’emplacement de la bijouterie, place de l’église. Une voiture à cheval faisait le parcours entre l’hôtel et la gare». C’était l’ancêtre du taxi !

Près de l’église Saint-Pierre, se trouvaient M. Richou, maréchal-ferrant, le cabinet du docteur Aubouin et un potier, M. Anglade. «Son écurie et son dépôt de poterie étaient à l’emplacement de l’ancienne caserne des pompiers, son four route de Gablezac. Enfant, j’aimais lui rendre visite ! Non loin, il y avait, en plein centre-ville, l’abattoir de M. Martinaud».
Inutile de vous décrire les odeurs intra muros quand l’été arrivait (il en était de même à Jonzac à l’époque des tanneurs !). Le second abattoir était tenu par le père Chaumette, charcutier. À cette même époque, le vélodrome se trouvait au bout du terrain de football.
De nombreux métiers, prospères dans la première moitié du XXe siècle, ont aujourd’hui disparu. Les automobiles, quant à elles, ont supplanté les attelages !
Deux écoles accueillaient les élèves, l’école Jacques Beaumont (ancien CEG devenu centre culturel) et un cours privé situé rue du Nord (maison du géomètre). «Pour des raisons d’ordre personnel, ma mère m’a inscrit dans cette école privée qui était dirigée par Mme Gaussel».

J’avais 20 ans…

Après son certificat d’études, il fait son apprentissage sur place, à la Société des Produits Réfractaires. Elle emploie une quarantaine de personnes. Il y apprend d’abord la menuiserie, puis le moulage, plus intéressant à son goût.
En 1939, la Seconde Guerre Mondiale est déclarée. Les Français traversent une période sombre. «Deux ans plus tard, avec dix-huit autres Montendrais, j’ai été requis pour le travail obligatoire en Allemagne. J’avais 20 ans. Nous ne réalisions pas ce qui nous attendait».

À Dortmund, il est affecté dans une usine de suie artificielle. «C’était un centre de répression allemande, c’est-à-dire que je travaillais, entre autres, avec des Allemands qui avaient été sanctionnés par le Gouvernement. C’est pourquoi les relations n’étaient pas mauvaises. Nous étions logés à la même enseigne. À mon arrivée, la première chose qui m’a frappé était l’attitude des soldats russes. Ils ont ramassé les miettes de notre repas pour les manger. Je me suis dit que j’allais découvrir une situation difficile. Par la suite, nous mangions surtout des betteraves et des rutabagas. Toutefois, à aucun moment, nous n’avons entendu parler des camps de concentration, ni de destruction massive. Nous étions dans l’ignorance la plus complète d’atrocités».

Dortmund est une ville 
de la taille de Bordeaux

Lors des bombardements alliés, la moitié de la ville est rasée faisant de nombreuses victimes, dont des Français. Aujourd’hui,on parlerait de bavure…
Les ouvriers sont effrayés et décident de s’enfuir dans la nature. «Avec le groupe, nous avions repéré une chapelle dans le lointain pour y passer la nuit. Lorsque nous avons ouvert la porte, nous avons aperçu un bien triste spectacle : c’est là qu’avaient été déposés les corps des victimes retirées des décombres, en l’attente d’une sépulture. C’était affreux. En ville, des cadavres de civils jonchaient les rues». De tels événements forgent incontestablement le caractère. «Une fois, un homme d’une maigreur incroyable est arrivé à la baraque. Nous lui avons donné à manger une trop grosse quantité de nourriture, pensant que cela lui ferait du bien. En fait, il n’a pas survécu à l’indigestion qui a suivi. Nous ne savions pas que dans son état, son estomac ne supporterait pas une telle abondance». Peut-être cet homme arrivait-il d’un camp de la mort ?

«Ce n’est qu’après la fin des hostilités que nous avons appris l’existence de ces camps. Nous étions surpris. Je me souviens qu’une exposition leur avait été consacrée. Elle avait lieu aux Quinconces, à Bordeaux. J’étais allé la voir avec M. Arbitre, un ancien déporté. Finalement, il m’a déconseillé d’entrer : Ne viens pas voir ça, c’est insupportable. Avec le temps, je ne comprends toujours pas comment des hommes peuvent devenir des tortionnaires et commettre des actes aussi barbares».
Jean-Marie Joyé et quelques camarades finissent par s’enfuir du camp et rejoignent la Saintonge. En attendant la fin de la guerre, il se cache à Boisbreteau, près de Chevanceaux. Après la Libération, il travaille dans une station essence à Bordeaux. C’est en Gironde qu’il rencontre Thérèse, sa future femme. Le couple s’installe à Montendre.

Les grèves avaient lieu
 le jour du marché…

Jean-Marie Joyé réintègre la Société de Produits Réfractaires où il a fait ses premières armes. Il se syndique à la CGT. «Si je n’ai jamais appartenu à aucun parti politique, j’ai gardé une ligne directrice : les ouvriers ont des droits, mais ils ont aussi des devoirs envers leurs employeurs. C’est pourquoi j’ai toujours entretenu de bonnes relations avec eux. L’essentiel est d’être et de rester un homme de parole, fidèle à ses engagements».
L’heure est aux avancées sociales et à l’amélioration des conditions de travail des ouvriers. «Les directeurs étaient fermes et nous pouvions dialoguer avec eux. J’ai participé à la discussion concernant la Convention Nationale de la Céramique. Montendre était en avance sur les autres sites. À partir de 1968, l’ordinaire des salariés s’est bien amélioré. Il y a eu un tournant favorable. D’ailleurs, nous n’avions pas participé aux grèves de Mai car nous avions obtenu les augmentations de salaires souhaitées, voire plus. Nous avions demandé 6,5 %, pensant obtenir moins, nous avons eu 8 % ! À Montendre, les mouvements de grève n’avaient rien d’agressif. En général, les arrêts de travail avaient lieu le jeudi à 11 heures. Comme c’était le jour du marché, les gars en profitaient pour faire leurs courses. À 14 heures, si les discussions avaient été fructueuses, tout le monde était à son poste». Ce côté "bon enfant" évitait les tensions, toujours préjudiciables au climat social…

Quand le Baron Empain investissait à Montendre

La Société de Produits Réfractaires, créée par M. Vinsonneau, appartient à René Amand, un professionnel du réfractaire. L’affaire marche bien. Encouragé par les résultats, il achète un brevet de creusets aux États-Unis et ouvre une unité de creusets : «Le premier a été coulé par le père de Guy Descombre, professeur au collège».
Parallèlement, la Société de Produits Réfractaires (qui devient la CEC, Carbonisation Entreprise Céramique en 1973) est l’une des plus modernes de l’hexagone !
Elle emploie jusqu’à 400 personnes. Malheureusement pour l’économie locale, le fils de M. Amand, Charles, n’a pas la fibre des affaires. Il préfère les vignobles aux usines, dit-on. Bref, il vend l’usine à une filiale du groupe Empain, la CECA, pour une somme conséquente.
Une vingtaine d’entreprises, dont celle de Montendre, sont achetées. La valse continue avec Pinault Valenciennes, puis la société Prost devient majoritaire.

En représentant attentif du Comité syndical, Jean-Marie Joyé est inquiet par ce rachat : «Cette société n’avait pas de moyens financiers. Je me doutais bien que la suite serait délicate pour l’ensemble du personnel». Effectivement, il a senti le vent. Prost tient quelques années avant de céder face à Lafarge. «La CEC a commencé à battre de l’aile quand certaines fabrications sont parties ailleurs, comme le soufflage. Lafarge a dû vendre 25 usines, mais il a gardé les carrières».
Des suppressions d’emplois résultent de ces difficultés. D’autre part, la technologie a beaucoup évolué et le besoin en main-d’œuvre est moins grand. «Les premiers licenciements ont eu lieu en 1977. Une partie des salariés a été dirigée vers Saint Aulaye, en Dordogne. On nous avait fait des promesses avec l’installation d’une nouvelle chaîne de fabrication. Elle a été construite, puis démolie en huit jours. C’était dur. J’ai alors décidé de prendre ma préretraite à l’âge de 59 ans. Le principe était intéressant. Nous percevions davantage de revenus que ceux qui étaient encore actifs. Malgré ses avantages, je trouvais cette formule discutable»...

La CEC ferme définitivement ses portes dans les années 80. Une page de la cité des Pins se tourne. Jean-Marie Joyé entre au Tribunal des Prud’hommes de Saintes qui vient de voir le jour.

Claude Augier
 ne partageait pas nos idées quant au Programme Commun

En mars 1971, Jean Marie Joyé se présente aux élections municipales, à la demande de M. Emon, un commerçant en confection de l’actuelle rue du Marché. Le Dr Poirier, maire, ne souhaite pas se représenter. «Personnellement, j’ai toujours eu de bons contacts avec lui. C’était un médecin renommé. En ce qui concerne nos revendications à l’usine, il nous a toujours soutenus et il n’hésitait pas à écrire à la direction pour nous appuyer. J’ai gardé certains de ses courriers à la maison».

Deux listes sont en lice. «Je pensais qu’il y en aurait une, c’est pourquoi j’avais accepté la proposition de M. Emon qui pensait vraiment être maire. Il a été déçu car c’est Claude Augier qui a succédé au Dr Poirier. Pierre Frétel n’avait pas voulu assumer cette fonction car il se trouvait à Bussac dans une situation économique difficile».
Par la suite, Jean Marie Joyé a toujours été réélu, sur des listes de gauche. «À un moment donné, j’ai demandé à Claude Augier s’il voulait partir avec nous, mais il a décliné cette offre. Il ne partageait pas nos idées quant au Programme Commun».

Il se retrouve donc aux côtés de Patrick Nau, alors directeur du Crédit Mutuel et de Jacques Bernard, le responsable de la "Feuille des nouvelles" qu’il vend chaque jeudi avec l’Humanité. «Je m’entendais bien avec Claude Augier. On dit souvent que Montendre est très marquée politiquement, mais les gens parviennent à s’entendre sur des causes utiles».

Aujourd’hui, il appartient à la liste conduite par le maire socialiste, Bernard Lalande dont c’est le second mandat. À chaque réunion, en doyen de l’assemblée, il se fait le porte-parole de la population et de ses préoccupations. Il n’hésite pas à donner des conseils au premier magistrat qui, somme toute, a l’âge de ses propres enfants. «Il faut s’adapter aux circonstances. Montendre se doit d’investir sous peine de s’étioler. Nous, les anciens, sommes favorables aux économies quand les finances sont justes, mais j’admets la position des plus jeunes. La ville a toujours connu des hauts et des bas. Autrefois, elle était un centre artisanal et commercial attrayant qui possédait des usines importantes. Maintenant elle traverse le creux de la vague. Elle n’est pas la seule dans ce cas».

De nouvelles pistes sont tracées avec le tourisme. Jean-Marie Joyé préférerait des implantations d’entreprises. «Les temps ont changé, les mentalités aussi. Quand j’étais jeune, on savait qu’il fallait travailler pour gagner sa croûte. On ne rechignait pas devant la tâche. Désormais, et je m’en rends compte avec les personnes que je reçois, la nouvelle génération attend tout de l’état providence. Certains ne font aucune démarche pour trouver du travail. Ils pensent que c’est le rôle de la collectivité de les prendre en charge. Une telle attitude n’est pas bonne pour l’avenir en ce sens où il faut agir pour avancer et non se reposer sur autrui»...

Jean-Marie Joyé ne pratique pas la langue de bois et se sent à l’aise au conseil. Il se veut avant tout disponible, c’est pourquoi il est contre le cumul des mandats. «C’est une simple question de bon sens. Quand un élu a trop d’activités, il ne peut s’occuper de sa ville correctement en raison de son emploi du temps. Pour bien cerner les besoins de la population, il faut rester à son écoute. De même, il serait bon que les habitants participent davantage au débat démocratique. Pourquoi dire les choses par-derrière quand on peut les faire avancer en s’exprimant librement ?». Des paroles pleines de sagesse et de simplicité qui ne manqueront pas d’être entendues…

Jean-Marie Joyé était un homme plein de bon sens. Il croyait au dialogue qui favorise les équilibres et la stabilité. Aimerait-il le Montendre actuel, si différent de celui qu’il a connu à ses grandes heures ? Question. Aujourd’hui, la Maison de la Solidarité porte son nom. Il méritait bien cet hommage.

Photo 1 : Jean Marie Joyé avec Claude Augier et Paul Lalande

Photo 2 : Séance de conseil municipal

1 commentaire:

Pequet a dit…

Bonjour, dans votre article, vous parlez de René Amand.
Ce monsieur a dirigé, en 1933, une fabrique de réfractaires à Masnuy-Saint-Pierre (Hainaut,Belgique).
Je n'ai aucune information sur lui si ce n'est qu'il était l'ami de Charles Delelienne, maire de Masnuy à l'époque, et que ce dernier a favorisé son installation dans son village.
Avez-vous plus d'informations sur la famille Amand ?
Je vous remercie d'avance,
Emile Pequet
emile.pequet@gmail.com