lundi 22 juin 2009

Littérature : Dominique de Roux, espèce en voie de disparition ?


• Portrait d'écrivain :

Depuis une quinzaine d’années, Dominique de Roux est dans l’air du temps. Précurseur d’une vision moderne, vive et aiguisée de la société, il avait une longueur d’avance sur ses contemporains. Largués par ce baroudeur de l’écriture, beaucoup n’ont pas tenu la distance. Il les a définitivement semés en mars 1977.
A l’enterrement d’une feuille morte, les escargots s’en sont allés.
A cette révérence hâtivement tirée, il aurait pu dédier une épitaphe : « espèce en voie de disparition ».
Les âmes fortes ne meurent jamais longtemps, dit-on. Revisitée, son audace littéraire inspire aujourd’hui la jeune génération qu’affolent le pamphlet aseptisé et la critique formatée.
Editeur, écrivain provocateur, agitateur d’histoires, révélateur de talents, Dominique de Roux était tout sauf un être ordinaire.
La médiathèque de Chaniers, inaugurée samedi matin, porte son nom. Le journaliste Olivier Germain-Thomas, qui fut son ami, a évoqué son œuvre.



« La réalité du monde, dernier degré de l’imposture. S’il y a une vérité saisissable, elle n’apparaît que dans l’immédiat » : cette réflexion de Dominique de Roux, publiée dans “Immédiatement“, recueil de pensées à l’usage des esprits libres, reflète la personnalité de cet écrivain atypique.
Qui était-il ? Aujourd’hui encore, il garde sa part de mystère. Son fils Pierre-Guillaume avait quatorze ans quand il a rejoint l’autre rive. « Instinctivement, il savait qu’il ne serait reconnu qu’après sa mort » souligne Olivier Germain-Thomas. Journaliste à France Culture, il l’a bien connu.
Malgré l’absence, le lien est resté fort : « Dominique avait quelque chose de particulier. Il insufflait une ambiance, une vivacité. Tout dîner ennuyeux prenait un autre sens à son arrivée ! ». Dominique de Roux n’était pas un boute-en-train, mais un bâtisseur en perpétuelle conquête. « La pensée était encore frileuse dans les années 70. En passant en revue ce monde figé, il pensait que la France avait un rôle à jouer dans une réalité géopolitique concrète » souligne Olivier Germain-Thomas.


Recherchant l’authenticité, Dominique de Roux savait que le milieu dont il était issu avait le pâle reflet des étoiles oubliées. A Chaniers comme ailleurs, le passeur de Port Hublé, Alain Laronde, lui était aussi sympathique qu’une personnalité à particule. L’égalité, il y croyait.
Croisé sans guerre sainte, « il fut un météore sur la planète littéraire » remarquent les critiques.

Les Cahiers de l’Herne

L’histoire de Dominique de Roux commence en 1935. Il est le troisième d’une famille de onze enfants.
Contestataire, il refuse de passer son bac. Il rentre temporairement dans les rangs et travaille pour une maison de titres, en Angleterre. Trouvant le climat trop brumeux, il décroche un emploi en Espagne avant de revenir à Paris, dans une agence de voyages.
Il est certain d’une chose : il aime écrire. A cette plume qui court sur le papier, il souhaite consacrer sa vie. Depuis l’âge de 13 ans, il lit tout ce qui lui tombe sous la main. Son premier roman “Mademoiselle Anicet“, publié dans les années 1960, se déroule à Chaniers, commune où sa famille possède une propriété, la Boucauderie.

Quelques années auparavant, il a créé à Paris une revue littéraire baptisée “les Cahiers de l’Herne“ avec Georges Bez. « Au départ, c’était une plaisanterie de potaches. Nous ignorions que ces cahiers allaient devenir une référence universitaire. Nous voulions seulement faire un éclairage particulier sur certains auteurs. Pas forcément ceux qui avaient pignon sur rue dans les salons » avoue son frère, Xavier, qui participa à l'aventure.

Les débuts sont discrets. La première édition est consacrée au symboliste René Guy Cadou. La seconde, plus sulfureuse, concerne Georges Bernanos dont le fils, Michel, séjourne à Chaniers.
La célébrité vient avec Louis Ferdinand-Céline. Le grand écrivain vit retiré dans un pavillon, à Meudon, entre sa femme et son chien. La raison de cet isolement est simple. Durant la guerre, il a affiché un antisémitisme regrettable. De ce fait, Il n'est plus fréquentable. Cela ne l’empêche pas d’avoir du talent, si l’on en croit son fameux “Voyage au bout de la nuit“ qui a influencé la littérature américaine, Joyce entre autres.
« À l’époque où Dominique est allé le voir, il vivait en reclus. Il avait l’habitude d’accrocher les pages qu’il venait d’écrire sur un fil à linge pour que sèche l’encre. Voir une œuvre ainsi suspendue était pour le moins inattendu » se souvient Xavier de Roux.

Intrigué par le personnage, Dominique de Roux mène une enquête et publie des témoignages contrastés. Ce cahier-là perce les plafonds puisque la polémique y est présente : « Dès lors, chaque livraison des Cahiers était l’occasion de brouille et de nouveaux amis ! ».
Jean-Edern Hallier ne tarde pas à grossir les rangs.
Excité par ce remue-ménage qui bouleverse les conformismes, Dominique de Roux va à la rencontre de Gombrowicz, Ezra Pound, "celui que le silence a saisi", Pierre-Jean Jouve, Henri Michaux, Ungaretti. Il est le premier à découvrir Soljenitsyne. Il se penche sur Mao Tse Toung et Charles de Gaulle.

Sa soif de savoir est inépuisable. Instinctif, il court après les heures perdues. « Au départ, il n’aimait pas de Gaulle, puis il en est devenu fervent admirateur ». Il fonde “l’Internationale gaulliste“ avec Olivier Germain-Thomas. « Nous avions l’habitude de nous rencontrer dans mon bureau, rue de Solferino. Dominique avait un souhait, que la France agisse pour le Tiers Monde sur la scène internationale. Il croyait sincèrement que quelque chose d’important pouvait arriver à la vieille Europe » explique-t-il.


Dominique de Roux poursuit sur sa lancée. En dix-sept ans de vie littéraire, il publie seize livres dont “la France de Jean Yanne“, “Immédiatement“ et des pamphlets. Chaque jour, il adresse des dizaines de lettres. Une correspondance sans précédent !
Pour faciliter les opérations, il crée sa propre maison d’édition, les Editions Bourgois. Dominique de Roux est souvent sans le sou, mais pour rien au monde, il ne ferait des courbettes. Il fait l’objet d’attaques. Alors qu’il a publié Trotski et Marx, voilà que ses adversaires le traitent de fasciste.
D’où cette réflexion désormais célèbre : « Moi, Dominique de Roux, déjà pendu à Nuremberg » !

Paris et son intelligentsia I’agacent. Pour lui, la littérature française est en panne sèche. Il n’a pas vraiment tort. « Dominique de Roux est aux antipodes de Jean-Paul Sarthe qui s’est trompé sur les évolutions de la société » remarque le chroniqueur Philippe Barthelet. Et d’ajouter : « Personnellement, je l’ai découvert par la revue Exil quand j’étais au collège de Dôle. Je lui ai écrit, il m’a répondu. J’y ai été sensible ».

Savimbi et l’Angola

Minoritaire aux Éditions de l’Herne, Dominique de Roux devient grand reporter à la télévision. Il veut entrer dans l’histoire comme on tourne un film. Action sur la grande estrade.
Il est attiré depuis de longues années par le Portugal où il pressent une révolution (qui prendra le nom des œillets). Avec I’équipe de l’ORTF qu’il dirige pour l’émission de Jean-François Chauvel, il est le seul à se trouver sur place quand le mouvement éclate.


De là à s’intéresser à la décolonisation portugaise, il n’y a qu’un pas. On le voit au Mozambique et en Angola où il se lie avec Jonas Savimbi qui dirige l’un des trois mouvements de libération. Il devient son conseiller et s’entremet pour la cause de l’Unita auprès des gouvernements français, d’Afrique du Sud et des États-Unis.

Au cœur de la guerre froide, le combat mené en Afrique est celui de savoir si l’Angola - où les Cubains ont débarqué - sera contrôlé par le mouvement pro soviétique MPLA de Neto ou si, au contraire, les forces occidentales conserveront cet état stratégique dont le sous-sol regorge de pétrole et de ressources naturelles. L’histoire est compliquée. Savimbi met fin au régime pro cubain de l’Angola, mais ne parvient pas à prendre le pouvoir. Influencé par ces événements auxquels il a pris part, Dominique de Roux écrit “le Cinquième Empire“, un épais roman qui sera le dernier.


Les affaires internationales l’ont beaucoup fatigué. Un jour de 1977, son cœur qui a tant battu pour les grandes causes, s’arrête. Il a joué à refaire le monde, mais il n’a pas été entendu.
Aujourd’hui, il nous reste ses livres, ses lettres et son amour pour la Saintonge qu’il n’a jamais oubliée malgré ses lointaines pérégrinations : « je trouve la maison, les champs, le néolithique, la soupe aux légumes, les chemins parcourus, troués, bosselés. On est en face de soi-même, le monde international n’existe pas. Ce qui compte, c’est la saison qu’il fait et les heures qui passent, le cri d’un oiseau, la tempête qui va se calmer » écrit-il. Il repose au petit cimetière de Chaniers.


Plus de trente ans après, il est revenu dans la cour des grands. Les éditeurs l’ont redécouvert. Des auteurs s’intéressent à sa vie dont Jean-Luc Barré et Philippe Barthelet. Dominique l’insolent ne mourra pas ! Le destin ne laissera pas dans l’oubli cet homme qui était « une sorte de chaman » estime Olivier Germain-Thomas.
Perdu dans le carnaval d’une Venise éternelle, il voulait jeter les masques à bas. L’entreprise était colossale ! On ne change pas un univers qui s’épanche depuis des siècles dans la comédie humaine. Il a tout de même essayé.
Après tout, un poète ne sert pas à grand-chose qu’à déranger la vie. Pourtant, comme il est utile d’être dérangé pour dépoussiérer...

N.B.

Photo 1 : Dominique de Roux, « une sorte de Chaman » estiment ses amis dont Olivier Germain-Thomas

Photo 2 : L'inauguration de la médiathèque de Chaniers

Photo 3 : De gauche à droite : Olivier Germain Thomas, Xavier de Roux, Olivier Renault, Philippe Barthelet, Béatrice Copper Royer et Pierre Guillaume, fils de Dominique de Roux (photo Nicole Bertin)

Photo 4 :
Au Portugal, à l’automne 1974, Dominique de Roux entre son fils Pierre-Guillaume et une amie portugaise, Madalena de Sacadura Botte.
Avant d’être écrivain, Dominique de Roux a d’abord été éditeur. Il a créé les Cahiers de l’Herne, suivis de la revue Exil et des dossiers H, parus aux Éditions l’Âge d’Homme. Comme son père, son fils Pierre-Guillaume est éditeur. Il garde le souvenir de voyages effectués avec lui au Portugal et en Afrique du Sud. « J’avais quatorze ans à sa mort. Pour moi, c’était un magicien, il me faisait rêver. Souvent absent, il était devenu pour moi un personnage presque mythique » avoue-t-il.

Photos 5 et 6 : Après la Révolution des œillets, où il était le seul journaliste présent à Lisbonne, Dominique de Roux épaule l’opposant Jonas Savimbi dans la conduite de sa guérilla en Angola. En pleine guerre froide, la France le soutient en créant une base au Katanga, ancien nom d’une province du Congo.

• L'info en plus :
Il met Libération en procès :
Dominique de Roux dérange, alors il faut lui mettre des bâtons dans les roues. Un journal italien indique qu’il pourrait appartenir à l’Ordre Nouveau, mouvement d’extrême droite à l’origine de plusieurs attentats. L’information est reprise par la presse française.
A cette époque, il vit à Lisbonne. Averti, il revient à Paris où il intente un procès en diffamation à Libération qui prend pour avocat Me Leclerc. Lui est défendu par son frère, Xavier. L’affirmation mensongère et l’intention de nuire étant démontrées, Dominique de Roux gagne son procès et le journal Libération est condamné à une forte amende.
Bien que lavé par la justice de tout soupçon, la rumeur, entretenue par des détracteurs, lui collera longtemps à la peau. « Heureusement que mon frère se moquait de ce qu’on disait de lui » remarque Xavier de Roux...

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