vendredi 16 août 2024

Amphithéâtre de Saintes/Porte des Vivants : « Notre objectif est de protéger les arènes pour au moins 100 ans » souligne Bruno Drapron

Un chantier d'envergure de 5,3 millions d'euros 

Magnifique restauration de la Porte des Vivants (@Nicole Bertin)

Depuis 2022, l'amphithéâtre fait l'objet d'une importante campagne de travaux visant à le protéger des aléas du temps (Portes des Vivants, des Morts, travées adjacentes, décaissement, assainissement). Construit au 1er siècle de notre ère, il a eu un passé glorieux quand la cité gallo-romaine de Mediolanum, capitale de la Gaule Aquitaine, était à son apogée. Cette construction pouvait accueillir jusqu'à 15000 spectateurs ! Voilà qui laisse rêveur. Mercredi, la Porte des Vivants, entièrement restaurée, a été inaugurée par le maire, Bruno Drapron. Un magnifique spectacle équestre a suivi jeudi en soirée, Egregoria ou l'Odyssée des songes, par la compagnie Caballicare (dans le cadre de Sites en Scène, festival Viva Saintes opus 2)

Réuni près de l'amphithéâtre mercredi en fin de journée, le public n'a qu'une phrase à la bouche : « les travaux effectués à la Porte des Vivants sont remarquables et permettent d'imaginer ce qu'était ce monument à l'époque de sa grandeur ». Le rêve est permis. Fermez les yeux un instant en remontant le temps : les gladiateurs s'apprêtent à combattre, ils empruntent ce long couloir, bientôt la lumière du soleil inonde leurs yeux, la multitude les interpelle et crie dans les gradins, le spectacle va commencer... Si la période semble lointaine, l'empreinte laissée par ce passé où l'on vénérait dieux et déesses est indélébile.

Trois phases de restauration

« Pourquoi une inauguration en cette période du 15 août ? Parce que d'une façon protocolaire, c'est moins long de citer tout le monde ! Beaucoup sont partis en vacances dont le sous-préfet qui m'a promis d'être présent à l'inauguration de la Porte des Morts. C'est son choix. Nous sommes donc en petit comité pour saluer l'achèvement de la première étape d'un projet d'une importance capitale pour notre patrimoine, la restauration de nos arènes gallo-romaines qui ont un peu plus de 2000 ans » souligne le premier magistrat avec entrain. Construit au 1er siècle de notre ère, cet amphithéâtre est l'un des plus grands et des mieux conservés de toute l'ancienne Gaule gallo-romaine. Avec 126 mètres de longueur et 102 mètres de largeur, il pouvait accueillir jusqu'à 15000 spectateurs. « Permettez-moi de rappeler l'ampleur de ce projet : depuis 90 ans, aucun chantier d'une telle envergure n'avait été entrepris sur le site, d'où l'urgence de cette intervention. Le diagnostic architectural et archéologique, mené en amont, a montré les défis à relever. Chutes de pierres des voûtes, affaissement de la porte des morts, inondation régulière des arènes, autant de problèmes structurels et sanitaires qui menaçaient ce monument emblématique de la ville. Face à ces enjeux, la municipalité a élaboré une restauration en trois phases, de 2022 à 2026. La première, celle que nous inaugurons aujourd'hui, concerne la Porte de Vivants et ses travées adjacentes. La seconde phase a débuté récemment, il s'agit de la consolidation de la Porte des Morts. Enfin viendront le décaissement de l'arena et la refonte complète du réseau des eaux pluviales ». 

Restauration de la Porte des Vivants : Un coût de 1342000 euros

Porte des Vivants : répétition du spectacle de la compagnie Caballicare 

Chaque étape est particulière : A la porte des vivants, une reprise minutieuse de la partie supérieure des murs, des arases, a été réalisée par une technique dite de rocaillage. « Nous avons opté pour une approche discrète et rigoureuse. Une chape à chaux fibrée invisible assure l'étanchéité tandis qu'une patine d'harmonisation permet aux nouvelles maçonneries de s'intégrer parfaitement aux anciennes. Ces mortiers spéciaux à base de chaux, similaires à ceux utilisés à l'époque romaine, permettent de garantir l'authenticité de la restauration. L'étanchéité des voûtes a été obtenue par une reprise avec une chape à chaux hydraulique armée de fibre de verre. Cette intervention met fin aux infiltrations d'eau. La disparition de certaines travées adjacentes au fil de siècles avait fragilisé l'équilibre statique du monument. Plutôt que de reconstruire à neuf, nous avons choisi de renforcer les arcs existants en restituant les voussoirs manquants et en intégrant des renforts en acier inoxydable. Le coût de cette tranche est de 1.342000 euros et ce n'est qu'un début » !

Protéger les crapauds accoucheurs et l'azuré du serpolet

La Porte des Morts, en cours de restauration, est un défi encore plus complexe en raison de son état structurel alarmant. N'oublions pas que la rue passe juste au-dessus ! Le fond de cette porte sera consolidé par un mur de soutènement, tout en veillant à son intégration visuelle parfaite. Un système de drainage amélioré protégera la zone des infiltrations. Les matériaux et techniques utilisés ont été retenus pour leur authenticité historique et leur durabilité. « Notre objectif est que cette restauration protège les arènes pour au moins 100 ans. Ce chantier est aussi une formidable opportunité archéologique. A chaque étape, des fouilles sont menées, enrichissant notre compréhension de l'édifice : des trous de boulins antiques ont été identifiés et préservés » précise le maire. Et d'ajouter : « Notre responsabilité ne concerne pas uniquement le patrimoine bâti. Ce site possède un écosystème abritant des espèces animales et végétales protégées. Nous avons dû adapter nos plans et méthodes afin de respecter leur environnement. Ainsi, quelque 800 crapauds accoucheurs ont été temporairement relogés, un par un, dans un habitat reconstitué, des mares situées dans le secteur. En bordure des arènes, un film noir a été apposé pour empêcher leur retour. Il y a aussi un papillon, l'azuré du serpolet, qui se nourrit d'une fleur poussant ici. La mise en place de l'échafaudage au sol a demandé un peu de temps afin de ne pas impacter cette plante ». Cet épisode rappelle Claude Belot, président de la CDC de Haute-Saintonge, et les tortues cistudes lors de l'aménagement du pôle mécanique de La Génétouze...

Les travaux sont encadrés par une équipe d'experts, Agence Sunmetron, bureaux d'études, entreprises spécialisées, équipe d'archéologie départementale et INRAP. Ils sont placés sous la responsabilité de la DRAC Nouvelle-Aquitaine. « Ce chantier est un modèle de financement collaboratif, il atteindra en totalité 5,3 millions. 50% sont à la charge de la commune. Les subventions sont apportées par l'Etat, la DRAC, le Département, la Région, la Mission Bern loto du patrimoine, et des mécènes dont les noms sont mentionnés sur un grand panneau. Ce site est aimé par ceux et celles qui s'intéressent au patrimoine et contribuent à son renouveau. Ce projet est un acte de transmission aux générations futures, un pont entre le passé et l'avenir. Les arènes sont un atout majeur du territoire. Actuellement, elles occupent la troisième place des monuments visités dans les Charentes. Nous souhaitons augmenter leur fréquentation de 30% et pourquoi pas, en faire le premier site visité de Nouvelle-Aquitaine » conclut Bruno Drapron.

L'état alarmant de la Porte des Morts nécessite une intervention complexe
(archives N. Bertin)
Le public a salué unanimement la restauration de la Porte des Vivants
Bruno Drapron aux côtés de Joël Terrien, adjoint chargé des travaux,
Maryline Cheminade et Véronique Abelin

Les généreux donateurs

L'amphithéâtre : Histoire et architecture

Inauguré sous le règne de Claude, vers 40 après Jésus-Christ, le début de la construction de l’amphithéâtre de Mediolanum (Saintes) a vraisemblablement eu lieu à la même période que celle de l’édification de l’Arc votif de Tibère, appelé communément Arc de Germanicus, dans les années 20 après J.C. La précocité de ces constructions de pierre, par rapport à la plupart des autres colonies romaines, s’explique par la singulière alliance instaurée à l’époque césarienne entre les troupes militaires romaines et les Santons, menacés d’être envahis par le peuple des Helvètes. C’est en relisant « la Guerre des Gaules » de l’Imperator César que l’on comprend combien cette architecture, dans un pays sans triomphe militaire, deviendra plus tard et au-delà du passage de la République à l’Empire, la représentation d’une gouvernance politique puissante. 

L’amphithéâtre de Mediolanum est une structure mixte, asseyant les portes orientale et occidentale à même le sol, avec des murs d’appui entièrement construits, appuyant par ailleurs la construction des gradins directement sur le vallon pour les versants nord et sud. On parle de « structure pleine » pour la partie de la cavea s’appuyant sur les versants du vallon et de « structure creuse » pour les parties entièrement construites. C’est donc une conjugaison audacieuse qui donne à l’amphithéâtre cette terminologie de "mixité". Utiliser la dénivellation naturelle permettait, bien sûr, de grandes économies de construction et de travail pour les bâtisseurs.

La typicité de la construction, que l’on pourrait aussi appeler « organique » tant elle tient compte de la nature, rappelle bien plus la pensée grecque que les autres amphithéâtres datant de la fin du 1er siècle après J.C. (Nîmes, Arles) qui sont d’une structure creuse. Le Colisée lui-même, dans la reconstruction que l’on connaît, date de la fin du 1er siècle.

L'amphithéâtre (@ Soltice)
Sur la colline de Mediolanum, reposent donc directement les vomitoires (ensemble des dégagements par les escaliers) et les gradins. Le fait que gradins et escaliers n’aient pas de renforcement, ni de soutènement souterrain, explique la fragilité de la construction, très sensible aux vibrations lorsque le niveau sonore d’une manifestation fait trembler les pierres. Pourtant, l’amphithéâtre de Mediolanum est encore l’un des mieux conservés de toutes les Gaules. Sa précocité et son archaïsme justifient en partie l’absence d’éléments tel un velum ou des naumachies (lieu de combat nautique).

Dans le doute de l’existence d’une couronne-attique, courant probablement au niveau de l’esplanade, on s’interroge quant au nombre exact de gradins estimé globalement à une trentaine. Cela représente environ 8000 ml linéaire, soit une capacité de 15 à 20.000 spectateurs.

La Porta Sanavivaria, Porte Est de la Victoire, était avant tout spectacle, l’entrée de la Pompa, le défilé solennel des combattants qui arrivaient sans armes tant que celles-ci n'avaient pas été vérifiées. Le salut au dignitaire politique marque le départ d’une incroyable journée pour peuple et dirigeants, tous installés selon un ordre très défini.

Les patriciens se situent sur les gradins de pierre, en bas du bâtiment et sont protégés par un filet tendu à l’aide du balteus, mur de protection courant tout autour de l’arena. Les autres citoyens prennent place selon leur catégorie sociale sur des gradins de bois qui se succèdent par palier, groupe fermé entre deux précinctions (sorte de palier qui, dans les amphithéâtres et dans les théâtres antiques, régnait au-dessus de chaque étage de gradins et sur lequel s'ouvraient les vomitoires).

La plèbe, positionnée sur la moitié supérieure des gradins, utilise 28 escaliers d’accès à la mi-pente de la cavea, tandis que bas peuple et esclaves restent au plus haut du bâti.

La magie de la construction reste ce formidable jeu d’escaliers, au nombre total de 90, qui permet en très peu de temps d’installer toute une société obsédée par la distinction de ses catégories sociales.

L’utilisation de la voûte et du petit appareillage dans la construction de la Porta Libitinensis (déesse des funérailles) montre aussi combien l’invention du mortier est une "révolution" architecturale. La petite salle à l’angle de la porte Est, reconnue comme l’un des carceres où se prépare le gladiateur, symbolise, quant à elle, tous les questionnements que l’on peut avoir face à la réalité des mises à mort gratuites et sanglantes de ces hommes de métier. En effet, il est certain que péplums et toiles de nos illustres peintres ont créé un imaginaire collectif autour de la mort dans l’amphithéâtre, remis en partie en question de nos jours. La relecture de textes, règlements et contrats provenant d’écoles de gladiature, nous permettent de dire que si la mort, au fil des combats, était le sort inéluctable du gladiateur de métier, sa vie pour autant avait grande valeur d’argent et d’investissement. La mort, somme toute, n’était pas aussi gratuite et admise que l’on croit..

« Entre les chasses du matin (type de jeux appelés venationes), les mises à mort des condamnées (meridiani), les combats des esclaves, puis les grandes et célèbres munera de l’après-midi, l’histoire de la Gladiature ne peut se résumer par une seule caricature. Elle exige au contraire une grande subtilité de narration dans son évolution, dépassant largement la simple présentation des costumes et des armes des combattants. Ce sont surtout les appropriations politiques, que chaque Empereur en a fait au fil du temps, et depuis l’héritage et la désacralisation du munus (cadeau d’un combat simulacre en offrande aux mânes d’un défunt notable) qui permettent de comprendre combien l’Amphithéâtre symbolise, à lui tout seul, une civilisation fascinante et son mode d’organisation politique » explique la guide conférencière Cécile Trebuchet.

Monument emblématique de notre histoire à l’époque de l’ancienne Aquitania, puisse-t-il encore et encore, au fil des générations, continuer à faire son spectacle ! 

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