Libre expression de Jean-Marie Bourry :
Pendant des décennies, notre position autoproclamée de champion du nucléaire civil ne pouvait nous permettre de concevoir la survenance d’un accident nucléaire en France. Le vieillissement du parc, la montée du terrorisme et les risques naturels croissants sont mis en exergue par la société civile et le gouvernement se voit dans l’obligation de mieux communiquer sur une menace qui jusqu’alors relevait du déni ; toutefois les informations données au public sur le Plan Particulier d’Intervention pour la centrale du Blayais ne sont pas du tout de nature à nous rassurer. Les 22 et 23 novembre, la Préfecture de Gironde prétend mettre en œuvre une simulation d’accident nucléaire grandeur nature de la centrale du Blayais, cependant les dispositions présentées relèvent d’un incident mineur et non d’une catastrophe nucléaire telle que Tchernobyl ou Fukushima. Et ces dernières auraient pu être bien pires sans le sacrifice de quelques centaines de personnes restées sur place pour contenir en partie la propagation du désastre. Cet exercice prépare au confinement, à l’écoute et à la discipline de l’évacuation, à la maîtrise de la communication auprès des médias, ce qui est la première phase centrée sur la mise en sécurité du voisinage dans les plus brefs délais mais ce n’est que la première très courte étape d’une catastrophe aux allures millénaristes. Et ce plan, tel que communiqué, ne va pas au-delà de cette immédiateté alors que nous serions confrontés à une calamité pour des milliers d’années.
Aujourd’hui il s’agit surtout de ne pas amener les citoyens à prendre conscience des gigantesques menaces de cette énergie nucléaire et dès lors l’on pratique une communication soft pour donner l’illusion que l’on ne cache rien. Il faut surtout rassurer, déminer un rejet qu’une trop forte prise de conscience provoquerait et l’on se garde bien d’approfondir l’impact profond d’un accident sur nos territoires. Surtout que nombre de sondages démontrent qu’un fort pourcentage de Français souhaitent la sortie du nucléaire.
A lire l’information donnée au grand public pour ce PPI l’on a l’impression qu’un tel accident est un peu comme un orage, cela ne va pas durer et qu’il suffit de rester confinés, de respecter quelques consignes et peut-être d’évacuer. Tout ceci parait extrêmement édulcoré par rapport à ce que l’on connait du déroulement des deux accidents majeurs connus.
L’on nous rassure avec les pastilles d’iodure de potassium et l’intervention immédiate d’une force d’action rapide nucléaire de 300 salariés permanents, tout ceci est utile mais totalement sous dimensionné. La pastille doit être prise plusieurs heures avant l’exposition aux radiations, elle ne protège que contre l’iode radioactif et reste sans effet à l’égard des autres éléments radioactifs pouvant provoquer de multiples pathologies parmi lesquelles la leucémie et autres cancers. De surcroît elle n’est distribuée que dans un rayon de 10 km, alors qu’à Fukushima l’évacuation s’est imposée sur 30 km autour de la centrale et la zone reste interdite à moins de 20 km en raison de l’intensité des radiations. Par exemple à 10 km de la centrale des taux de 80 millisieverts à l’année sont relevés alors que le taux maximum recommandé par la Commission Internationale de Protection Radiologique est de 1 millisievert par an pour la population et de 20 par an pour les travailleurs du nucléaire. Sur le site de la centrale le taux est par endroit de 20 millisieverts en 20 minutes !
Aussi de 2011 à 2015 ce sont plus de 45 000 personnes qui se sont relayées sur le site de la centrale avec 10 000 personnes en permanence dont 3500 à construire un réservoir de 1000 m3 tous les deux jours afin de stocker l’eau de refroidissement hautement contaminée. A Tchernobyl, ce sont 1 million de « liquidateurs » qui durant plusieurs années ont participé au chantier et leur état de santé en a été dramatiquement impacté. Alors en France notre unité spéciale de 300 agents ne tiendra que quelques jours et devra être rapidement remplacée, les agents ayant atteint leur seuil maximal d’exposition aux radiations. Les volontaires ne vont pas se bousculer, il en faudrait des dizaines et peut-être des centaines de milliers durant des années, les Français sont plus informés que les Russes ne l’étaient et n’ont pas le sens du sacrifice qui actuellement soutient l’engagement des Japonais.
Un accident majeur signifie que dans les 20 km autour de la centrale, la zone est inhabitable durant des millénaires et que les propriétaires fonciers perdent tout. La responsabilité de l’exploitant EDF est limitée à 92 millions d’euros, une somme dérisoire par rapport au coût d’une catastrophe nucléaire. Même si l’Etat met de sa poche, l’indemnisation serait sans rapport avec le préjudice qui au Japon avoisine les 500 milliards d’euros. Et quid de l’attraction touristique du sud de la Charente-Maritime avec forcément des zones contaminées de façon aléatoire et imprévisible bien au-delà d’une limite de 30 km.
Au Japon des dizaines de milliers d’ouvriers sont employés pour des décennies, voire plus, dans des conditions dangereuses, à essayer de contenir des eaux hautement radioactives et à racler la couche superficielle de terre pour la déposer sur plus de 75 000 sites de stockage. Et il reste impossible de faire l’état des lieux au sein du réacteur dont le combustible en fusion s’est enfoncé dans le sol, polluant la nappe phréatique, et rendant impossible toute intervention dans des délais définis.
Les PPI sont une impérieuse nécessité mais le discours doit être transparent et réaliste, les exercices doivent se baser sur des hypothèses ancrées sur des cas étudiés et adaptés ; cette forme d’infantilisation et d’occultation envers les Français n’est pas acceptable et le thème de l’énergie devrait figurer au centre des débats politiques en cours. Trop de politiciens se jouent de la complexité du nucléaire pour en occulter les risques exorbitants.
Jean-Marie Bourry
1 commentaire:
Du nucléaire sans catastrophes du type Tchernobyl ou Fukushima ? C'eût été possible avec la filière au Thorium 232. Celle qui n'a pas été choisie par les dirigeants de notre planète, avides d'armements et de bombes au Plutonium 239 , sous-produit de nos centrales actuelles à l'Uranium 235 et 238.
Le Thorium 232 est partout présent sur notre planète. Son exploitation ne nécessite pas d'enrichissement, ne produit évidemment pas de Plutonium 239, et n'entraîne pas d'emballements explosifs. La quantité de déchets radioactifs est beaucoup moins importante. De plus, la radioactivité de ces déchets perdure durant seulement quelques siècles contre des centaines de milliers d'années avec la filière actuelle à l'Uranium 235 et 238 .
Lire à ce sujet :« L'Atome vert » de Jean-Christophe de Mestral, aux éditions Favre.
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