Même si la ville n’en est pas officiellement propriétaire, la chapelle de la Maladrerie, située à la sortie de Jonzac sur la route de Montendre, fera partie du patrimoine local dès 2012. Appartenant jusque-là à un privé, Raoul Dagnaud, elle est située entre une maison d‘habitation et un hangar qui l’enserrent au point de la rendre invisible. Seuls la porte d’entrée et ses témoignages éveillent la curiosité des historiens.
Lundi dernier, Jean-Claude Arrivé, responsable de la commission patrimoine à la mairie, a fait procéder aux premières expertises des lieux (termites en particulier). De l’édifice religieux, il ne reste que les murs et les ouvertures (dont deux ont été comblées). Restauré, l’ensemble devrait avoir de l’allure, mais il y a du travail. L’ancien bénitier, taillé dans la masse, retient l’attention, de même que la margelle du puits, caché derrière le bâtiment, et le four à pain.
Nous ignorons l’importance de la valorisation que souhaite donner la ville à cet édifice. Il devrait retrouver sa forme originelle en le débarrassant des structures annexes. Ainsi libéré, il ressemblerait à la gravure qui figure sur le livre de l’Abbé Rainguet. L’histoire de ce renouveau ne fait que commencer !
• Parlons d’histoire
Depuis quelques années, notre connaissance du passé jonzacais a progressé : préhistoire, villa gallo-romaine, cimetière mérovingien. Grâce aux efforts de la municipalité, la chapelle de l’ancienne Maladrerie vient de s’ajouter au patrimoine collectif. Il s’agit d’un témoin peu spectaculaire, mais d’un témoin exceptionnel puisqu’on chercherait vainement l’équivalent ailleurs. Sa modestie fait que des milliers d’automobilistes passent régulièrement devant lui sans même le remarquer. Et pourtant !
Des archives parties en fumée
Que savons-nous de la maladrerie jonzacaise ? Rien ou presque. En 1789, le château de Jonzac, comme tous les autres, conservait une énorme masse d’archives entreposées dans une salle qu’on appelait “le trésor”. En novembre 1793, au moment de la Terreur, l’ordre est venu de détruire tous ces vestiges de la “féodalité”. En Charente Inférieure, et particulièrement à Jonzac, on a aussitôt obéi ; parchemins et papiers ont été brûlés lors d’une fête publique. Notre passé local est parti en fumée, ce qui simplifie grandement le travail des historiens…
Trois brèves mentions subsistent dans un inventaire du “trésor”, heureusement établi par le notaire saintais Senné en 1750 : “le titre de la fondation de la chapelle de la maladrerie par Messire Renault de Sainte-Maure en l’an 1497”, avec « une baillette en parchemin etictée baillette par laquelle les ladres doivent 36 sols de ranthes au chasteau à cause de 6 journeaux de terres qu’on leur a baillé, dattée du 8 janvier 1490 » (c’est-à-dire 1491, selon notre calendrier) et une transaction passée entre le seigneur de Jonzac et les ladres par laquelle « ceux-ci quitte audit seigneur de Jonzac le cheval qu’ils devoient à la mort de chaque ladre, pour 6 livres d’entrée, dattée du 10 septembre 1522 ». C’est tout.
Resterait à savoir si Me Senné, médiocre spécialiste de l’orthographe, était bon paléographe et disposé à déchiffrer correctement des actes et des dates qui n’avaient plus d’intérêt pratique en 1750. On comprend que Renaud de Sainte-Maure, le seigneur de Jonzac, est intervenu pour une “fondation” en 1497 (si la date est exacte), que la maladrerie disposait d’un minuscule domaine de 6 journaux (2 hectares) au moins, que la communauté des malades devait payer la valeur d’un cheval au seigneur chaque fois qu’un de ses membres mourait. Si le notaire a bien lu, il a repéré une contrainte, qui est peut-être le témoignage d’une malédiction plus ancienne et que les malheureux ladres n’étaient pas en mesure d’assumer. Un cheval pour des gens si pauvres !
À cela, s’ajoute l’inscription qu’on sera sans doute en mesure de déchiffrer quand la façade aura été nettoyée et que Rainguet a publiée en 1864 : “Par Bertrand Vilot, Jehanne Bellonne, Jehan Jasmain fut faicte icelle malet (maison pour les lépreux), l’an de grace mil IIIIc quatre vings ung”. Il s’agirait donc d’une création privée de 1481 (en admettant que la date ait été lue correctement). 1481 et 1497 : il n’y a aucune contradiction comme nous allons le voir.
Quelle place attribuer à la Maladrerie jonzacaise ?
Le contexte d’abord. Nous sommes en 1481 et 1497. Fin du Moyen Âge ou début des Temps modernes ? Si les mentalités de la fin du XVe siècle sont, bien entendu, tout à fait médiévales, je préfère de beaucoup la seconde expression : le début des Temps modernes. En effet, pendant l’interminable conflit franco-anglais, la zone qui s’étend entre le pays bordelais et le fleuve Charente a été absolument dévastée et dépeuplée.
En 1453, date de la dernière bataille, le château de Jonzac n’est qu’un amas de pierres et le bourg est à peu près vide, comme les campagnes environnantes envahies par les bois et les broussailles. Commence alors chez nous une étonnante “reconstruction” qui bat son plein à partir de 1460 avec des “immigrés” qui affluent d’Anjou et du Poitou. Période de dynamisme exceptionnel ! L’espace est vide et l’homme rare, donc précieux. Chacun, semble-t-il, mange à peu près à sa faim.
Et la maladrerie dans ce contexte plutôt favorable ? En premier lieu, précisons que l’Église n’a rien à y voir, même si, comme chacun sait, elle est alors présente partout et conditionne mentalités et comportements.
Une maladrerie est un établissement “administratif” (si ce concept n’est pas trop anachronique), pas un établissement religieux. On assure volontiers que, sous l’Ancien Régime, la cellule de base était la paroisse à laquelle la commune a généralement succédé. C’est vrai à partir de Richelieu quand la fiscalité devient la première préoccupation. Ce n’est pas tout à fait exact à l’époque que nous considérons. Au temps de Louis XI (en 1481) ou de Louis XII (en 1497), la circonscription élémentaire est plutôt la châtellenie. Il s’agit du territoire qui dépend d’un château-fort, du seigneur qui en est le propriétaire et des populations qui l’entretiennent et s’y réfugient. La taille en est variable, mais englobe plusieurs paroisses. Elle correspond à peu près, dans notre Saintonge méridionale, aux cantons actuels : Archiac, Barbezieux, Jonzac, Mirambeau, Montendre, Plassac, etc...
C’est dans ce cadre qu’on trouve “les équipements collectifs”. Toutes les enquêtes de la fin du XVe siècle l’affirment. Une châtellenie comporte toujours les mêmes éléments : le château-fort, la haute justice (avec ses fourches patibulaires, c’est-à-dire le gibet où l’on exécute les délinquants), des foires et marchés (avec une halle), le droit de percevoir les péages (donc, en principe, le devoir d’entretenir les ponts), l’hôpital (pour recueillir les indigents, non pour les soigner) et l’inévitable maladrerie.
En 1551, l’écuyer Jean de Cruc, seigneur de Morzac à Rouffignac, voit à Montendre une “maison pour les lépreux. On bourg duquel lieu de Montandre, y a, sur une mothe, une grosse tour gardée par un capitaine”, à proximité d’un château ruiné. Un autre écuyer, Pierre Langlois, seigneur des Taillants (à Saint-Martin-d’Ary) y note lui aussi “une grande et grosse tour sur une mothe, lad. mothe envyronnée de grandz fossez pour defence d’icelle”, avec, bien sûr, une “malladrye pour rethirer les lepreux”.
Ces établissements ont disparu, mais la toponymie en garde le souvenir : Montendre, Pons (Chansac), Baignes, Chalais, Tonnay-Charente, Tonnay-Boutonne, etc. Il s’agissait d’une petite exploitation agricole avec sa chapelle et son cimetière, à l’écart du bourg, pour éviter toute contamination, et au bord de la principale route, là où les passants déposaient leur offrande. Celle de Jonzac n’échappe pas à la règle. Elle était isolée, mais à proximité du chemin qui conduisait vers la “ville capitale”, c’est-à-dire Bordeaux. Construite - ou plutôt reconstruite - à la fin du XVe siècle, elle remplaçait peut-être une structure plus ancienne et ruinée, mais dont la trace était encore visible.
Pourquoi parle-t-on de “fondation” ? Nous retrouvons-là le poids de la religion. A la fin du XVe siècle, la croyance au purgatoire est l’axe de la foi populaire. La plupart des trépassés n’ont été ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. Leur âme rejoint un lui provisoire qu’on appelle le purgatoire où elle souffre pendant des temps très longs jusqu’à purification complète. Les vivants prient pour les morts et raccourcissent ainsi ce séjour si désagréable ; les messes sont d’un grand secours. Comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il est bon de prévoir, de son vivant, les messes qu’on souhaite plus tard.
Prenons un individu qui rédige son testament vers 1490 et veut qu’on célèbre, chaque semaine, une messe pour le repos de son âme. Une messe est payée 2 sols (le salaire quotidien d’un ouvrier correctement payé) ; cela représentera environ 100 sols par an, soit 5 livres. On prête généralement à 5 % (un sol pour une livre) ; il suffit donc de léguer une terre ou une maison de 100 livres pour assurer un revenu de 5 livres et une messe hebdomadaire. C’est une “fondation” (au grand désespoir des héritiers…). L’Église enseigne que les prières des pauvres sont bien plus efficaces que celles des nantis ; c’est pourquoi des mendiants (habillés de neuf pour la circonstance) portent parfois le cercueil des puissants. Les lépreux sont peut-être les plus malheureux des déshérités, d’où la valeur de leurs prières. Il est probable que Bertrand Vilot et les autres ont érigé la chapelle moyennant un certain nombre de services religieux. En 1497, Renaud de Sainte-Maure a dû léguer quelques terres dans le même but, mais nous sommes dans l’impossibilité de préciser.
À cet égard, la maladrerie de Jonzac n’avait rien de particulier. Elle a dû fonctionner “normalement” jusqu’au milieu du XVIe siècle. Cela veut dire que quelques familles de “ladres” - sans doute très peu - vivaient là, cultivaient leurs champs avec leurs enfants qui étaient peut-être en bonne santé, mais n’avaient pas le droit de s’éloigner. Un prêtre (avec beaucoup de répugnance, probablement) venait dans la chapelle célébrer les messes prévues par les fondations. Les passants déposaient leur aumône ou un peu de nourriture, sans s’approcher des malades qui étaient tenus de porter une crécelle dont le bruit éloignait les visiteurs.
Un autre regard sur les lépreux
À partir de 1562, tout a changé. D’une part, la maladie a sans doute eu tendance à régresser ; d’autre part, ces réprouvés qu’étaient encore les lépreux ont dû mourir en grand nombre à cause des conflits religieux. La montée du calvinisme fait aussi que la charité médiévale disparaît. Le pauvre, qui était une figure très positive dans l’idéologie catholique, tend à devenir le paresseux responsable de son sort. La justice - le Parlement de Bordeaux en l’occurrence - ne s’intéressait pas à ces établissements. Elle les regarde maintenant d’un œil de plus en plus soupçonneux, comme s’il s’agissait de repaires de délinquants. Vers 1600, pour s’y réfugier, il faut prouver qu’on est bien lépreux et passer une véritable visite médicale.
Les maladreries ont ensuite été progressivement abandonnées. Pendant la Révolution, celle de Jonzac, vide, et isolée à la limite d’un bois qui avait poussé, était un lieu près duquel les voyageurs ne s’aventuraient pas sans appréhension. On était bien loin du point de départ !
Tel est donc ce modeste monument. Il ne faut pas espérer le voir figurer parmi les œuvres d’art qu’on vient visiter de loin. Mais il a un immense mérite : il existe encore et il sera préservé. Seule dans le Sud-Ouest - sauf erreur de ma part - Jonzac est la ville, la seule, qui a conservé la chapelle de sa maladrerie.
Marc Seguin, historien
• Médecine
La lèpre, maladie d’hier et d’aujourd’hui
La première mention écrite de la lèpre remonte à 600 avant Jésus-Christ. Tout au long de l’histoire, les lépreux ont souvent été rejetés par leur communauté et leur famille. La lèpre est une maladie infectieuse transmissible, due au bacille de Hansen ou Mycobacterium leprae touchant la peau, les muqueuses, le système nerveux périphérique et les yeux, réalisant en fonction du statut immunitaire du sujet infecté différentes formes cliniques : la lèpre indéterminée ou forme de début de la maladie purement cutanée, la lèpre tuberculoïde touchant la peau et les nerfs, paucibacillaire et peu contagieuse, et la lèpre lépromateuse touchant la peau, les muqueuses, les nerfs et les viscères, multibacillaire et très contagieuse avec de 20 à 100 nodules appelés lépromes sur la peau.
En l’absence de traitement précoce, l’atteirite des nerfs fait toute la gravité de la maladie : nerfs épaissis, troubles sensitifs entraînant des brûlures accidentelles et des plaies chroniques, troubles moteurs, type de paralysies responsables de déformations des pieds et des mains.
- l’incubation de la maladie est très longue (de 2 ans à 20 ans).
- Elle est transmise par les gouttelettes d’origine nasale ou buccale lors de contacts avec un sujet infecté et non traité.
- Malgré les efforts importants de ces dernières années, la lèpre sévit encore de façon endémique dans de nombreux pays du monde. Le nombre de nouveaux cas dépistés est en recul, mais on dénombre encore 228 000 nouveaux cas en 2010. Les pays les plus touchés par la maladie sont le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Népal, le Nigeria, la Tanzanie.
En France, la lèpre a disparu, mais elle est encore présente dans les départements d’outre-mer.
Aujourd’hui, la lèpre est une maladie guérissable et un traitement précoce permet d’éviter les infirmités. lI repose depuis 1981 sur une trithérapie : Dapsone, rifampicine et clofazimine durant six à douze mois selon la forme. Depuis 1995, il est mis gratuitement à la disposition
des lépreux par l’OMS. Les patients ne sont plus contagieux dès la première dose de traitement.
Depuis 1954, Raoul Follereau a créé la journée mondiale des lépreux, célébrée chaque année le dernier week-end de janvier, c’est aussi la journée de la pauvreté et de l’exclusion.
Dr Josée Bousseau-Couprie
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