mercredi 25 avril 2018

Saintes : Valorisation des patrimoines et tourisme, entre dépenses et incohérences ?

Visite guidée dans les chemins du golf de Fontcouverte 
Après la découverte de la source sanctuaire de la Grand Font et des captages de Vénérand,
 présentation des arches de l'aqueduc

 « Il n’existe pas de mise en tourisme intelligent et durable autour des monuments sans le travail des archéologues, des historiens et des conférenciers » estime Cécile Trébuchet. Dans la libre expression qui suit, elle explique que le tourisme ne sort pas d'une pochette-surprise et rend hommage à ceux et celles qui ont travaillé à retracer l'histoire des monuments saintais, arc de triomphe, amphithéâtre, thermes, aqueducs, éclairant ainsi la connaissance. Sans ces recherches effectuées par des érudits et des passionnés, les visites guidées ne présenteraient aucun intérêt. En conséquence, pour allier passé, présent et avenir, les forces vives de la ville devraient se retrouver dans la concertation...

La mise en tourisme durable d’une ville dépend de multiples facteurs, dont l’évolution de la société et des besoins des consommateurs, l’exigence d’une réinvention permanente de l’attractivité, le renouvellement des interprétations des monuments et la réalisation de grands évènements rassembleurs, éducatifs et festifs. C’est en ce sens que les élus de la ville de Saintes ont la qualité d’être force de propositions, parfois innovantes et audacieuses et parfois malheureusement dangereuses pour la pérennité d’un site emblématique, comme la proposition de la pose de gradins dans l’amphithéâtre.

L’idée a le mérite d’exister, mais l’intelligence est ensuite de trouver une demi-mesure entre l’imaginaire et la réalité, entre le besoin d’innover et l’exigence de ne pas « dévaster ».

L’association MediaCtions prévient à ce titre la municipalité depuis de longs mois, de l’importance de laisser le monument dans son écrin naturel, de le restaurer bien sûr, de moderniser ses accueils et de proposer des spectacles à la mesure de ses capacités, mais tout cela sans dénaturer son aspect et sa mise en héritage, en l’état (au minimum) de celui dont nous avons hérité.

Nous rappelons aussi l’incohérence de vouloir valoriser la romanité en laissant les thermes à l’abandon et sans projet. Nous précisons enfin qu’un projet muséal ne peut se limiter à une étude bâclée et combien il est important de bien choisir le transfert d’occupation du site Saint-Louis dans le devenir de l’économie touristique de la cité.

Dans une ville comme Saintes et ses environs, le patrimoine bâti reste le socle essentiel sur lequel se construit la qualité de l’offre touristique. Mais pour ce faire, il a été et il sera toujours indispensable que des historiens s’évertuent, au préalable, à redécouvrir les secrets que le temps a souvent emportés.

Mais que serait donc l’amphithéâtre, ou même l’arc dit de Triomphe aujourd’hui, si des passionnés n’avaient pas passé des jours et parfois des années à travailler, chercher, « diagnostiquer » ?

Si les élus peuvent parler aujourd’hui de projets touristiques, c’est uniquement parce que d’autres ont passé du temps à étudier et à fouiller dans des puits et des chantiers, dans la boue ou sous le soleil. Et il est vrai que la lumière brille bien moins dans les campagnes avec des bottes que sous les feux des campagnes électorales…

Saintes et ses environs ont l’exceptionnel avantage d’avoir parmi leurs citoyens des érudits brillants et généreux, se succédant depuis 180 années. 180 ans bientôt que la Mise en Histoire et la Redécouverte de vérités de nos monuments sont aux dépens de la transmission qui existe au sein de notre Société d’archéologie et d’histoire.

J’ai en ma possession un bulletin datant de 1954 – nommé Revue de Saintonge et d’Aunis, recueil de la commission des arts et monuments historiques "Société d’Archéologie de Saintes" dont le sommaire annonce Marcel Clouet et « le castrum gallo-romain », « Mediolanum » de Jacques Michaud - ... Un autre bulletin de 1976 pose en titre «  Nos activités archéologiques », article signé de Louis Maurin. Ce même Monsieur Maurin qui donne encore de sa présence et de ses connaissances en 2018, lors de l’Assemblée générale de la SahCM.

J’ai nouvellement en ma possession, depuis l’assemblée générale de samedi dernier, le bulletin 44 de 2017 et j’y découvre de fabuleux articles sur « la léproserie de Saintes » d’Alain Michaud, « vivre à la campagne sur le littoral charentais à l’époque romaine » de Philippe Dupras et bien d’autres articles encore, que tout passionné en patrimoines lira avec plaisir et attention.

Mais qu’allons-nous faire de cette connaissance partagée, transmise depuis tant d’années par notre Société savante ? Comment peut-on vouloir dépenser des milliers d’euros pour un pont éphémère au nom de l’anniversaire d’un monument ? Comment peut-on faire des projets pharaoniques aux factures tout autant invraisemblables … en « mégotant » sur la subvention à ladite Société d’archéologie ?

C’est vouloir faire « la fête monuments » en assassinant leurs inventeurs archéologiques !

L’incohérence est bel est bien là. La Ville ne s’intéresse pas aux monuments en tant que tel : elle s’intéresse uniquement à ce qu’elle peut en faire. Comment trouver un compromis face à un tel constat ?

Ce dimanche dernier, en tant que guide conférencière, j’ai eu l’occasion de faire visiter les aqueducs avec une collègue à un grand nombre de visiteurs. Nous avons préalablement travaillé pendant des heures à étudier les plans, interpréter les derniers comptes-rendus. Nous avons fait des repérages, déterminer des postes d’écoute, les accessibilités, les itinéraires, identifier les endroits sécurisés. Nous avons partagé aussi une visite organisée par Michelle Le Brozec et Jean-Louis Hillairet. Nous reformulons pour que chaque visite soit à la portée de tout néophyte et donnons des éléments de comparaison. Nous apportons nos propres éléments historiques, nos hypothèses, connaissant précisément la romanisation et l’histoire de notre cité antique.

Vénérand : sans le travail et la mise en histoire des sites par la SahCM,
 il n’y aurait aucune capacité touristique autour des monuments
Une visite des aqueducs avec Jean-louis Hillairet, Michelle Le Brozec et un membre de la SahCM averti des recherches archéologiques s’impose à tout conférencier
Les aqueduc romains : à découvrir !
C’est un travail qui nécessite l’écoute et le respect du travail de chacun dans cette « chaîne » des intervenants. Aujourd’hui, sans le travail de Jean-Louis Hillairet et celui de toutes les équipes des archéologues et des bénévoles, les aqueducs de Mediolanum ne seraient que des ruines silencieuses et des eaux oubliées. Y aurait-il même un projet de « Maison des aqueducs » si les membres de la Société d’archéologie et d’histoire n’avaient pas consacré leur temps libre à fouiller et à étudier ?

Faut-il aussi rappeler les dépenses des bénévoles et même des professionnels, sur leurs propres deniers, pour que les générations suivantes puissent avoir accès à des vérités archéologiques ?

L’histoire va-t-elle s’arrêter là où s’arrêtera la subvention de la société d’archéologie ? Quel drôle de paradoxe entre cette fougue aux projets touristiques et ce désaveu de la « cause historique » ?

Monsieur le Maire a eu dernièrement l’occasion de dire devant la caméra de Xavier Roujas que nous étions (les opposants aux gradins) « dans l’immobilisme, peu soucieux de nos enfants » ? Piètre argument qui ne risque pas de nous réconcilier en effet.

Je rappelle seulement aux élus, «  sans polémique », qu’il n’existe pas de mise en tourisme intelligent et durable autour des monuments, sans le travail des archéologues, des historiens et des conférenciers. Je dirai que le non-respect envers l’association MediaCtions que je préside, non invitée et n’ayant réponses à ses demandes, m’importe moins que le devenir de la Société d’archéologie et d’histoire. La SAHCM n’est pas qu’une association, elle est la réunion de celles et ceux qui ont porté et portent encore les savoirs autour de nos patrimoines.

Je dis aussi que diviser n’est pas « régner ». Et ignorer les uns pour amadouer les autres sur des financements éventuels ne fera pas l’objet d’une distanciation entre les deux associations. Nous ne sommes pas en guerre et je réfute les mots utilisés, parlant « de camp à choisir ».

L’association MédiaCtions n’est pas partie prenante dans cette histoire de subventions, mais juste partenaire et co-fondatrice de la Charte Consensuelle pour la restauration, la valorisation et les usages de l’amphithéâtre antique avec la SAHCM. Cette charte, loin de tout immobilisme, propose avec vigilance une concertation entre personnes responsables.

Il ne suffira pas, par contre, de nous évincer des débats de nous mettre devant le fait accompli de travaux ou pire encore de nous rappeler …que nous n’avons « rien compris à la grandeur du projet » pour faire taire notre opposition à la transformation de l’amphithéâtre en salle de spectacles.

Cécile Trébuchet  

Maribel Copley et Cécile Trébuchet en pleine explication devant les arches de l’aqueduc

2 commentaires:

Simplet a dit…

Admirable ! Elle est là l'intelligence et la durabilité de la cause historique, si bien décrite et soutenue par des personnes animées de la passion de leur territoire, ici rassemblées en sociétés savantes. Quel contraste avec le discours insipide et démagogique, voire méprisant, de nos élus croyant faire illusion avec des mesures clientélistes uniquement quantitatives aussi mesquines que dérisoires. Avec cette municipalité, il vaut mieux être pêcheur et bouliste que féru d'archéologie ou d'ornithologie, bien que les deux puissent être compatibles.

Lorsqu'ils n'ont pas été détruits, nos monuments représentent autant de jalons d'une histoire qui s'est déroulée souvent dans la douleur sur 2000 ans et plus (invasions, guerres, conflits, 4x4...). Si ces joyaux doivent être valorisés (et pas seulement pour les "hordes" de touristes), ils doivent l'être dans leur environnement, dans leur écrin. C'est alors qu'opère la magie féconde de l'esthétique, de l'harmonique lorsque converge (ah, les subtilités de la langue française...) la cause historique et la cause écologique, avec des êtres qui ont vécu, qui vivent et qui vivront (espérons-le) dans ce lieu aujourd'hui paisible et privilégié. Loin d'être figées, la culture et la nature, pour être durables, seraient ici bien inspirées de jouer et répéter de concert la partition pour deux voix du minéral et du pastoral ; tout le contraire des idées destructrices, bling-bling, éphémères et parfois de très mauvais goût d'une mairie déjà en campagne (électorale) ; autant de fausses notes dans notre paysage heurtant la sensibilité de tout individu un tant soit peu sensé et cultivé.

Et là, il convient de rappeler que le tourisme de masse, mais aussi "équitable" ou "éthique" est une activité fortement polluante. D'ailleurs, de ce point de vue, les envahisseurs romains avaient une longueur d'avance sur nous en matière de réseaux d'assainissement. Outre l'eau potable acheminée par des aqueducs, ils se souciaient de salubrité avec une gestion innovante de thermes et de latrines, mais aussi d'évacuation des eaux usées. C'est donc une honte que notre ville ait encore un réseau commun des eaux usées et des eaux pluviales sur 60% de la rive gauche à ce qu'on m'a dit. En cas de fortes pluies, la station d'épuration qui est hors normes, déborde dans la Charente en aval de la ville. Et l'on voudrait laisser des enfants se baigner dans un tel cloaque bactérien... Il faut savoir que depuis des années nos factures d'eau approvisionnent Véolia pour des travaux de séparation des réseaux d'évacuation et la mise aux normes ou le remplacement de la station d'épuration de Lormont (face au Silo), mais que rien n'est fait. Que voulez-vous ? Chacun ses priorités...

Simplet a dit…

Je l'ai dit à maintes reprises, Saintes est une ville de passage. Bien sûr, certains s'y arrêtent plus ou moins longtemps, parfois si longtemps qu'ils s'y installent pour des générations. D'autres en partent pour aller peupler des contrées lointaines. Dès lors, ce qui compte n'est plus seulement l'étape, mais le voyage, le parcours du visiteur, du pèlerin ou du nouvel arrivant. D'où la nécessité absolue d'accueillir ces "produits rapportés" de la meilleure des manières. Pour les bas de plafond entourés de hauts murs qui ne l'auraient pas remarqué, le temps des envahisseurs et de l'occupation est révolu (espérons-le). D'ailleurs toutes les cités rurales similaires à la nôtre sont dans la même démarche de développement, d'où une concurrence féroce qui frise le cloche-merle. Ce sont l'originalité et la diversité qui font la différence et non l'uniformisation. Il est par conséquent stupide de s'évertuer à singer ce que d'autres ont fait chez eux (Arles, Chinon, Québec, etc.). L'attrait d'une ville réside bien plus dans l'imagination de ses habitants que dans les lubies de quelques élus arrogants ayant oublié ce qu'humilité veut dire. La seule question qui vaille est en effet : quelle est cette marque d'intelligence qui attirera et fera s'arrêter durablement le "chaland" ici plutôt qu'ailleurs ?

Malgré les manigances de nos édiles qui cherchent davantage à nous diviser (divide ut regnes), il faudrait que nos concitoyens s'approprient leur histoire comme leur environnement pour ne pas en laisser la gestion à des incompétents qui s'en moquent comme de leur première chemise du moment qu'ils touchent leurs indemnités à la fin du mois. Je ne parle pas ici des "municipaux" dont beaucoup se désolent d'un tel gâchis. De grâce, faisons en sorte que notre ville ne se transforme en gourbi !

Merci ;-)