dimanche 24 février 2013

De la sueur, du sang
et des larmes…


Le 4  janvier 1945, des bombes alliées ont anéanti la ville de Royan. Retour sur un épisode tragique de la Seconde Guerre mondiale. Conférence dimanche 15 mars à 15 h au salon du livre de Chaniers (17)

Au centre d‘une carte postale jaunie, le grand casino de Royan fait rêver ! S’il existait encore, il appartiendrait à n’en pas douter au grand patrimoine national.


Qu’est-il donc arrivé à la perle de l’Atlantique, quatrième ville du département dans les années 20, qui endormait ses nuits dans le jazz et le charleston ? À l’époque, il n’était pas rare d’y croiser des artistes comme Sacha Guitry, Yvonne Printemps et le célèbre photographe Jacques Henri Lartigue : « marée basse, la plage est un immense désert qui s‘étale sans bruit, ni moment, ni couleur jusqu’à l’horizon ». Un univers de légèreté et de bonheur.
Les dieux, dit-on, étaient jaloux de cette ville qui s‘offrait aux plaisirs de la mode. Depuis le XIXe siècle, elle était devenue cité balnéaire et attirait les habitants du département voisin, la Gironde, qui s’y rendaient par bateau.
La Seconde Guerre mondiale a tout balayé comme un château de sable aux fondations incertaines.
Dès juin 1940, les troupes allemandes se sont installées dans Royan. Pour se protéger, elles ont construit les fameux blockhaus, continuité du mur de l’Atlantique, que les baigneurs aperçoivent encore le long de la Grande Côte. Devenus gardiens de l’inutile, ces chiens de garde en béton rappellent le douloureux temps de l’Occupation. En septembre 1944, la poche de Royan abritait quelque 5 000 Allemands commandés par l’amiral Michahelles.

Il faut libérer Royan !

Le général de Gaulle chargea le général de Larminat de cette délicate opération. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la Royal Air Force, c’est-à-dire nos alliés anglais, anéantirent la ville le 4 janvier 1945. Des tonnes de bombes tuèrent des civils innocents tandis que les défenses ennemies restèrent intactes. Cette bavure alimenta une violente polémique : « Français, Anglais et Américains se sont accusés mutuellement, personne ne voulant reconnaître officiellement sa responsabilité. Les Royannais estiment que la faute incombe au général de Larminat » remarquent les historiens.


Lors de la libération de Royan, en avril 1945, le cauchemar recommença quand 725 000 litres de napalm furent déversés. Les Américains y utilisaient cette essence gélifiée pour la première fois.
Les survivants de ce bombardement en gardent un souvenir apocalyptique.
Après d’âpres combats, des éléments de la Deuxième Division blindée délivrèrent enfin l’agglomération : « La surface de la ville avait été détruite à 90 % ». D’où ce témoignage qui se passe de commentaires : « Le casino est fendu comme une bonbonnière. Royan a cette liberté des morts. Il y a un bruit de pas sur la route qui sont peut-être de pillards ou de prisonniers évadés. Ou bien des gendarmes qui tapent du pied pour ne pas s’engoncer dans l’absurdité de Royan, pour lutter contre les sottises des ruines ».

Des réfugiés en gare de Saujon
Un tel traumatisme ne s’oublie pas et chaque année, la ville de Royan organise plusieurs cérémonies commémoratives. Témoins de la libération de Royan, les historiens, Yves Delmas, Guy Binot, Samuel Besançon ou August Hampel ont accompli un remarquable travail de mémoire.

  
• La faute à qui ?

S’il est difficile d’accuser une personne en particulier, Guy Binot, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, apporte des éclaircissements.
En fin d’année 1944, les Français demandent un bombardement de la poche de Royan en épargnant les civils. Le 10 décembre, une rencontre a lieu à Cognac entre le général américain Royce et les généraux français Corniglion-Molinier et Larminat. Aucun compte rendu ne relate les propos tenus, si ce n’est que les Américains pensent que les civils royannais seront évacués le 15 décembre. Quelques jours plus tard, Royce demande alors un bombardement. « Town of Royan » : on ne peut être plus explicite. Or, contrairement à ce qui a été avancé, les habitants n’ont pas quitté la ville…

Le 23 décembre, le général Spaatz envoie un télégramme à ses forces. L’attaque est remise à une date ultérieure tandis que le général de Larminat confirme la zone à atteindre qui englobe Royan. Le 4 janvier, la Royal Air Force intervient deux fois à une heure d‘intervalle, lâchant 1 600 tonnes de bombes sur Royan. 500 civils trouvent la mort, autant sont blessés. Le nombre d’Allemands tués est de 45. Restent 1 200 rescapés environ. La ville, quant à elle, est pratiquement détruite. En avril, le napalm anéantit ce qui reste, mais la zone est libérée.


Comme on s’en doute, le bombardement du 4 janvier a suscité de vives réactions, c’est pourquoi les archives militaires ont été interdites pendant trente ans. Le général de Larminat s’est toujours défendu en disant qu’il n’avait jamais demandé le bombardement de Royan. Les alliés, eux, croyaient que la population était à l’abri. Pour Guy Binot, « Larminat s’est peu préoccupé des civils alors que la résistance le renseignait parfaitement ». Par ailleurs, comme le souligne M. Amouroux, de Gaulle voulait une victoire sur le territoire français pour redorer son blason. De tels arguments peuvent sembler discutables aujourd’hui. En 1945, le contexte était bien différent…

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