samedi 30 août 2008

L’adieu à Damien Buil, l’enfant du pays


Samedi après-midi, une foule émue a dit adieu à l’enfant du pays, Damien Buil, mort en Afghanistan la semaine dernière. Cette disparition nous place face à une réalité douloureuse : les militaires ont pour première mission de défendre leur pays, au risque d’y perdre la vie...



Il avait 31 ans et la vie devant lui. Dans quelques mois, il attendait la venue de son deuxième enfant, un petit garçon. Il avait choisi l’armée par conviction, avec l’engagement sincère de servir son pays.
Damien Buil, membre du 8e RPIMA de Castres, n’ignorait rien des réalités du monde, ni de ces foyers ardents où les esprits s’enflamment. L’Irak, les Balkans, l’Afrique, l’Afghanistan, Israël : la télévision en parle régulièrement. C’est précisément en Afghanistan, où les forces de l’Otan maintiennent des contingents, qu’il a trouvé la mort la semaine dernière avec neuf autres soldats.
La guerre, là-bas, n’est jamais frontale. Les attaques y sont rapides et souvent fatales. On appelle ça la guérilla.
Aujourd’hui, les circonstances de cette embuscade, qui s’est produite dans le désert à 80 kilomètres de Kaboul, font l’objet de commentaires. Les témoins soulignent en effet l’arrivée tardive des renforts, obligeant les soldats à rester près de quatre heures sous le feu de l’ennemi, lance roquettes et armes automatiques. Pire, les forces alliées venues les secourir « auraient raté leur cible et touché des Français ».


« C’était une mission impossible. Il faudrait faire appel à des hommes expérimentés » a déclaré le père d’une des victimes. Son fils n’avait que vingt ans. De tels événements nous ramènent en arrière, durant la première guerre mondiale. Le gouvernement d’alors envoyait dans les tranchées des hommes, jeunes bien souvent, qui ne partageaient guère les subtilités de leurs gouvernants. Si les poilus, dont les noms figurent sur les monuments aux morts, avaient la possibilité de s’exprimer, ils auraient sans doute des vérités à dire. Quand la guerre est finie, il est aisé de prétendre que les hommes sont morts en héros quand les responsables du gâchis, lâches et inconséquents, sont en vie et continuent à tirer les ficelles. La patrie est bonne fille !
Samedi dernier, c’est donc toute une région qui a rendu hommage à Damien Buil en l’église de Saint Aigulin, trop petite en la circonstance. La foule - militaires, élus, amis, simples habitants - est venue lui dire un adieu empli de chagrin et de compassion. Hommes et femmes recueillis se sont associés au deuil d’Aurore, l’épouse de Damien et de sa famille. « Nous sommes tous égaux devant la mort » : durant la messe funèbre, le père Delage a rappelé la fragilité de la condition humaine en délivrant un message d’espérance à des cœurs si meurtris.

Un pipeline en Afghanistan ?

Cette disparition a fait l’effet d’un électrochoc parce qu’elle nous place face à la réalité. En effet, dans une France en paix qui prépare la rentrée, les citoyens réalisent difficilement que des soldats peuvent succomber lors d’affrontements. Bien sûr, ils suivent l’actualité dans les médias. Toutefois, les endroits chauds de la planète semblent si éloignés de leurs préoccupations quotidiennes. Comme s’ils ne les concernaient pas... C’est peut-être l’erreur qu’il ne faut pas commettre : oublier que nous appartenons à un seul et même monde et que les nations ont des liens entre elles. Les Américains l’ont compris un certain 11 septembre...
Au sein de l’Otan, la France remplit ses devoirs de pays allié des Etats-Unis en envoyant des corps expéditionnaires en Afghanistan.


On peut certes contester ce choix : « Que vient faire la France dans la galère afghane ? » lancent de nombreux observateurs. En y regardant de plus près, la situation n’est pas d’une clarté évidente. Selon les spécialistes, les attaques que nous subissons sont celles de talibans financés par l’argent de la drogue. Formés au Pakistan, ils sont issus des réseaux de Ben Laden. Si ce dernier a été aidé par les USA pour contrer l’invasion russe en Afghanistan dans les années 1980, ses relations avec l’Amérique se sont détériorées. Et pour cause, Ben Laden est devenu l’ennemi public numéro un au pays de l’oncle Sam. La présence toute proche du Pakistan, état qui possède l’arme nucléaire, est un autre problème. Par ailleurs, la présence indienne en Afghanistan inquiète le Pakistan qui, craignant l’encerclement, soutient les talibans pour cette raison. Et si l’on ajoute à cette situation le projet des USA de faire passer un pipeline (gaz et pétrole) en Afghanistan venant la mer Caspienne, vous comprendrez pourquoi les Américains ont tout intérêt à contrôler la région (les Européens aussi car ils ont besoin d’énergie)...

650.000 morts en Irak ?

Aujourd’hui, la position militaire des États-Unis dans le monde est de plus en plus controversée. Certes, en filigrane, l’énergie semble la roue motrice de leurs interventions. Nombreux pensent que leur présence en Irak tient plus au pétrole qu’à la recherche d’armes de destruction massive.
Dans le Lancet, l’honorable revue médicale, l’épidémiologue Les Roberts vient de publier les résultats d’une enquête sur la mortalité en Irak. Il n’y va pas par quatre chemins : depuis le début des hostilités, ce conflit aurait déjà tué 650.000 personnes. 90 % de ces décès seraient dus « à la violence, tirs d’armes et explosions, engins piégés en particulier ».


Les autorités proches de Georges W. Bush ont démenti ce chiffre qu’il estime inférieur (source : icasualtis.org). Pour lui, l’intervention US est "bonne" : en utilisant ce qualificatif, il lave sa conscience de tout remords. Depuis 2003, plus de 4000 soldats américains ont été tués en Irak tandis que 30.000 ont été blessés, dont certains resteront infirmes ou mutilés (pour mémoire, la guerre au Vietnam a provoqué la mort de 58.000 Américains).
Même si "le président pleure chacune des vies perdues", cela n’altère en rien son point de vue, ni la perspective des prochaines élections présidentielles : "cette guerre pourrait avoir un impact psychologique sur le public, mais il s’agit d’une de ces tragédies qui peuvent se produire dans le monde". Il pourrait ajouter, s’il avait le talent épistolaire de Choderlos de Laclos dans la dernière lettre "des liaisons dangereuses" , "ce n’est pas ma faute". Réintroduire un islamisme conservateur en Irak avec les Chiites n’est sûrement pas la meilleure façon de faire cesser le terrorisme...
En France, le climat n’est guère plus serein. "Pourquoi nos soldats meurent-ils à 6000 kilomètres de la France?" s’interroge la presse nationale. Vu l’engouement actuel pour le Dalaï Lama, on se demande si le gouvernement ne s’apprête pas à envoyer des phalanges au Tibet. À la télévision, les décisions de Ministre de la Défense Hervé Morin ont été sévèrement critiquées.
Les militaires tués à l’étranger sont souvent les innocentes victimes d’intérêts non avoués. Aujourd’hui, toute la question est de savoir si les Américains - à qui nous devons de ne pas être une province allemande - veulent allumer une nouvelle guerre froide, sur le front de l’énergie, en ravivant des braises ardentes avec la Russie et l’Orient compliqué.


À moins que l’esprit américain de la Seconde guerre mondiale ne soit qu’un lointain souvenir, la nouvelle génération se prenant pour Rambo, maître du monde.
On sait malheureusement ce qu’il advint de la grande et glorieuse Rome antique. L’histoire devrait toujours servir de leçon et sur le terrain, le jeu n’est pas virtuel...

Précisions :

• Des témoignages très émouvants : Jean-François Buil, son père, et Marc, son frère, ont donné lecture d’une lettre de Damien arrivée après sa mort. Damien y exprime ses impressions face à ce pays qu’est l’Afghanistan : « ici c’est la pauvreté, la poussière, pas d’eau, pas d’électricité, les femmes se cachent, seuls les enfants viennent à nous. On a de bonnes relations, alors que les Américains, de vrais "cow-boys", ne sont pas aimés. On a une fête prévue avec les chefs de villages, des anciens du commandant Massoud. Pour l’instant, il n’y a pas eu de clash. Pourvu que ça dure »…

• Drogue en Afghanistan : ce pays est le premier producteur d’opium au monde (92 %). De nombreux paysans y vivent de la culture du pavot. La presse russe prétend que s’y trouvent 50 laboratoires fabriquant de l’héroïne.


Photos 1, 2 et 3 : Les obsèques étaient célébrées par le Père Delage. Citant le prophète Esaïe, il délivra un message d’espérance aux proches de Damien : « Un jour viendra où le Seigneur essuiera les larmes de tous les visages ».

Photo 4 : Les maires du Sud-Saintonge ont rendu hommage au soldat disparu.

Photos 5, 6 et 7 : Parmi la foule recueillie, les élus dont Dominique Bussereau, président du Conseil Général.

N.B : LA REPRODUCTION DE CES PHOTOS EST INTERDITE.

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