lundi 4 novembre 2013

Jean-Louis Berthet : « Les élus locaux constituent l'un des groupes de pression les plus puissants du pays »


S’il est un homme qui conjugue plusieurs cordes à son arc, c’est bien Jean-Louis Berthet. Magistrat à la Cour des Comptes, élu (dont un mandat à Lignières Sonneville en Charente) et maintenant écrivain. Son dernier ouvrage paru aux éditions du Croît Vif, « Les naufrages de Géricault », lui a valu d’être récompensé par l’Académie de Saintonge où il a reçu le prix de la ville de Rochefort. Car il aime la Charente-Maritime et ne s’en cache pas ! 
Esprit ouvert, fidèle à lui-même, cet observateur avisé répond en toute franchise à nos questions.


• Jean-Louis Berthet, vous êtes un homme aux multiples facettes. Commençons par celle de l’écriture. Dans quelles circonstances vous êtes-vous intéressé aux naufragés et aux naufrages du célèbre peintre Géricault ?

Je me suis d’abord intéressé à Géricault parce qu’il venait, il y a deux cents ans, visiter son oncle et sa tante au château du Chesnay, près de Versailles, dans la commune où j’habitais.
J’ai découvert qu’il y avait vécu un amour clandestin et dramatique, au moment même où il peignait, dans la solitude et la dépression, son tableau le plus célèbre « Le Radeau de la Méduse ».
J’ai alors compris que tout était lié et j’ai raconté le naufrage de la Méduse, partie de la Charente-Maritime et perdue au large du Sénégal, le naufrage de l’amour de Géricault, le naufrage de sa vie brisée à trente-deux ans et enfin le long naufrage de son fils non-reconnu, sacrifié dès sa naissance. Ces vies malheureuses sont à l’image de beaucoup de vies. Seule, la maîtresse de Géricault réussit - je raconte comment - à surmonter plus ou moins bien les tragédies de sa vie. Par un curieux hasard, ce livre m’a conduit à évoquer trois pays liés à ma propre histoire, la Saintonge, Le Chesnay, Paris et la Normandie où s’acheva la dernière de ces tristes histoires.


• Deux autres personnalités ont retenu votre plume, Gustave Cuneo d’Ornano, le dernier bonapartiste, sans compter un curé de campagne au pays du Cognac. Quand peut-on dire qu’un personnage vous inspire ?

J’ai écrit ces biographies pour tenter de comprendre des êtres et des vies qui m’intriguaient. Un journaliste corse né à Rome qui devient député de Cognac en 1876 et qui, pendant trente ans, demeure bonapartiste alors que la République est solidement installée en France, comment était-ce possible ? Un curé qui, en plein vingtième siècle, renonçant à toute ambition, demeure cinquante ans curé d’un village de Grande Champagne dont j’ai été l’élu et qui conserve une foi intacte à travers les bouleversements de la société et de l’Église, comment était-ce possible ? Finalement, en écrivant leurs vies, j’ai compris que ce qui les caractérisait, c’était la fidélité, une qualité trop ignorée qui mériterait d’être revalorisée. En effet, en étant fidèle à soi, ce qui est la vraie fidélité, on accomplit son destin et on peut vivre heureux.

• Avez-vous d’autres projets littéraires concernant la région ?


Beaucoup trop pour le temps qui me reste. J’ai commencé un roman qui se déroule à Angoulême, en Grande Champagne et à Royan. Je fais des recherches en vue d’écrire un jour, peut-être, la biographie d’un Charentais un peu oublié et celle d’un homme de guerre qui choisit de vivre dans les Charentes d’une autre époque.


En recueillant ses confidences et les témoignages de ceux qui l’ont connu, Jean-Louis Berthet a éclairé la personnalité et l’œuvre de l’abbé Perrin.

• Vous êtes « Charentais de cœur ». Vous dites aimer les cités proches de la nature. L’avez- vous trouvée en Charente-Maritime ?

Dans les deux Charentes, j’ai trouvé, entre autres choses, la luminosité des ciels reflétée sur les vignes ou les marais, la simplicité d’une terre cultivée au milieu des vestiges d’antiques forêts, la clarté rassurante des maisons blanches et la paix des fleuves nonchalants. Et aussi une longue histoire tourmentée.

• Autre corde à votre arc, la Cour des Comptes dont vous avez été magistrat. Elle a pour mission de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens. Or, le dernier rapport soulève une sérieuse dérive des dépenses générées par les structures intercommunales en particulier. Pensez-vous que la Cour des Comptes puisse avoir une réelle influence sur la gestion des élus ?

Je le voudrais, mais j’ai du mal à le croire. Les 500 000 élus locaux, dont la plupart sont d’un dévouement admirable, constituent un des groupes de pression les plus puissants de notre pays. Grâce au cumul des mandats, que la dernière loi n’a nullement supprimé, ils dominent le Parlement. Or, ils aiment les structures intercommunales car celles-ci leur procurent de multiples indemnités.
Le maire d’une commune importante peut cumuler cinq ou six indemnités dans les communautés de communes, dans les syndicats à compétence multiple ou unique, dans les conseils généraux, sans parler d’autres institutions. Ils en vivent. Comment voulez-vous qu’ils renoncent à tant d’avantages ?

• Précisément, vous avez été élu et avez appartenu à des cabinets ministériels. Évoluer au cœur de la vie politique, est-ce une étape indispensable pour mieux comprendre les rouages de la Nation ? Quelles expériences en avez-vous retiré ?

J’ai beaucoup aimé les fonctions que j’ai exercées auprès des ministres et dans les collectivités locales. On peut y agir dans l’intérêt général, de façon désintéressée, ce qui est quand même plus passionnant que de chercher à gagner de l’argent, et on partage une aventure collective avec ses contemporains. J’y ai beaucoup appris, notamment à aimer les êtres.
J’ai eu l’impression d’être utile, ce qui est peut-être un des secrets du bonheur. Mais j’ai rencontré trop d’ambitions dérisoires, trop d’égoïsmes individuels ou corporatifs, trop de mensonges et de tromperies, trop d’autoritarisme sans scrupule, trop d’inégalités et d’injustices pour en avoir gardé un souvenir uniquement positif. En fait, ce ne sont pas tous les êtres qui sont mauvais, mais les institutions, qui sont souvent faibles ou viciées, et la démocratie, qui est toujours imparfaite.

• Vous avez été vice-président du Conseil général des Yvelines. Que pensez-vous du redécoupage des cantons et du tandem homme/femme qui va en résulter ?

On devrait regrouper les régions, supprimer les conseils généraux et regrouper les communes pour être efficace. Je suis également favorable à tout ce qui permet aux femmes d’accéder aux responsabilités publiques.

• Estimez-vous, à une époque où le Front National enregistre des intentions de vote importantes, qu’une réforme de l’État s’impose ?

L’État devrait avoir comme devise celle de l’Église protestante : « Semper reformanda ». Aujourd’hui, trois réformes sont nécessaires et impossibles : la simplification des structures politiques que j’ai évoquée en réponse à la question précédente, avec la fin du cumul des mandats, la création d’une Europe confédérale et la modernisation complète de notre système éducatif dans le seul intérêt des enfants et des adolescents. Et aussi, peut-être, la constitution de deux nouvelles institutions internationales, une francophonie décomplexée et heureuse et une Union de la Méditerranée fraternelle. Certains prétendent que ce sont des rêves, ce qui leur permet de s’enfermer dans un conservatisme qui leur profite et fait de notre pays une petite province cancanière. Mais les vraies questions qui se posent à nous, ce sont moins celles de l’État que celle du monde dont nous dépendons. Or, sans une autorité mondiale impossible à imaginer, l’environnement va continuer à se dégrader, l’organisation économique et financière va continuer d’accentuer les inégalités et les injustices, les guerres vont continuer de ravager l’humanité et d’humilier les moins forts.

• Dans une interview, vous avez déclaré que votre occupation préférée, c’était vivre. Que manque-t-il à cette vie déjà bien remplie que vous aimeriez concrétiser ?

Je voudrais ne pas vieillir et ne pas mourir. Il paraît que c’est impossible. J’aimerais revoir les paysages et les villes que j’ai aimés. Cela devient de plus en plus difficile. J’aimerais aider mes enfants et mes petits-enfants à être heureux. C’est peut-être impossible mais, heureusement pour eux, ils n’ont pas besoin de moi. Alors, il me reste à savourer chaque heure de bonne santé qui passe, ce qui n’est pas une petite occupation, à aimer encore plus ceux que j’aime et à écrire quelques livres qui me permettent de partager avec quelques lecteurs le bonheur d’être vivant et l’émotion devant la beauté du monde et les mystères de la vie.

Une passion pour l'écriture
Un parcours bien rempli

Né en 1941, Jean-Louis Berthet est diplômé d’études supérieures de droit public, licencié en littérature comparée, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris - où il a d’ailleurs enseigné de 1973 à 1987 -, ancien élève de l’École nationale d’administration (promotion Turgot, 1966-1968). Il a occupé plusieurs postes au sein de cabinets ministériels (dont le cabinet de Jean-Pierre Soisson, ministre de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs).
Après un passage dans le privé, de 1982 à 1985, il est élu premier adjoint au maire du Chesnay en 1983. En plus de ses fonctions de conseiller référendaire, il a été rapporteur adjoint au Conseil Constitutionnel (1987-89), commissaire aux Comptes de l’ONU (1986-89), chef du contrôle externe du FMI en 1992, contrôleur des comptes du Programme alimentaire mondial (PAM) de 1996 à 1998, membre puis président de section à la Commission des infractions fiscales depuis 1995. Conseiller maître à la Cour des Comptes en 1989, président de section en 2000.
Premier adjoint du maire du Chesnay de 1983 à 1992, il a été élu conseiller général du canton du Chesnay en 1992 et vice-président du Conseil général de 1998 à 2011.
Fondateur (en 1987) et président de l’association « Le Chesnay, d’hier à aujourd’hui », il est le directeur de la revue annuelle « Les Annales du Chesnay » où il a publié de nombreux articles d’histoire locale.
Il est l’auteur de plusieurs essais : Les Reflets de la Charente en 1984, Une histoire de France en 1987, Les institutions de la Ve République en 1987, Une éducation politique en pays charentais en 2008 et Un curé de campagne au pays du cognac en 2010.
Il est l’auteur de deux ouvrages biographiques, Les naufrages de Géricault en 2012 et Gustave Cuneo d’Ornano, le dernier bonapartiste en 2013, tous deux publiés aux éditions du Croît Vif à Saintes.
Il anime également un blog.

1 commentaire:

TAIWAN a dit…

Cet ouvrage "Gustave Cuneo d'Ornano : Le dernier bonapartiste charentais"

se voit offrir une critique qui pointe son intérêt à

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/39080

Le livre "Les naufrages de Géricault" de Jean-Louis Berthet est présent là

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/35246