lundi 13 juin 2011

Le journaliste Michel Boujut
a rejoint son père, Pierre,
créateur de la Tour de Feu


Nous avons appris avec tristesse la disparition de Michel Boujut, grand Charentais, écrivain, critique de cinéma et journaliste. En 2006, l’Académie de Saintonge lui avait décerné le prix Chapsal. Il y a quelques années, Michel Boujout était l’invité de l’Université d’Eté de Jonzac, alors présidée par Pierre Nivet. Devant un nombreux public réuni au Cloître des Carmes, il avait parlé de son père Pierre Boujut, “tonnelier poète“ qui avait créé à Jarnac Charente une revue célèbre “la Tour de Feu“... Retour sur cette conférence.

« Amis, n’écoutez plus les fanatiques car la poésie est déclarée. Un seul mot d’ordre : Soyez heureux, la paix commence ! ». L’appel de Jarnac, imprimé sur un bulletin de la Tour de Feu dans les années cinquante, se passe de commentaires. Pour les créateurs de cette revue, il ne fait aucun doute que l’écriture, porteuse d’espérance, l’emportera sur la violence. Un tel enthousiasme n’a rien d’étonnant. À cette époque, les deux guerres mondiales hantent encore les esprits.

Parmi ces hommes qui souhaitent farouchement que les canons se taisent, figure un Jarnacais, Pierre Boujut. Un charentais au caractère déterminé, amoureux de la nature et de la belle langue de France, idéaliste, parfois rêveur… tout en gardant les pieds sur terre.
Témoin privilégié, Michel Boujut conte l’aventure poétique de son père et explique comment il a fondé, en province, une revue qui dépasse les limites administratives de la Charente. « J’avais un père qui ne ressemblait pas aux autres. En général, je parle de cinéma. Évoquer sa figure est pour moi un exercice particulier. Plus le temps passe et plus je me sens proche du poète qu’il était » déclare-t-il avec une émotion visible.

Journaliste, notamment aux “Nouvelles Littéraires“ à la fin des années 70, puis à “L’Événement du jeudi“ lors de la création de l’hebdomadaire en 1984, puis à “Charlie Hebdo“ à partir de 1993, Michel Boujut est également l’auteur de nombreux romans et essais, dont les remarqués “Wim Wenders“, étude consacrée au cinéaste allemand et plusieurs fois rééditée, et “Conversations avec Claude Sautet“. Au début de l’année, il avait publié un essai : « Le jour où Gary Cooper est mort ». Dans les années 80, il fut le créateur de “Cinéma, Cinémas“, émission “mythique“consacrée au 7e art et diffusée sur Antenne 2 de 1982 à 1991. Grand amateur de jazz, il fut également collaborateur de la revue “Jazz Magazine“. (Photo François Huchet)

Qui était-il, Pierre Boujut ? Selon Jean Glénisson, cette personnalité attachante conjuguait plusieurs cordes à son arc. Il était pacifiste, sensible et il croyait en l’homme. C’est pourquoi il avait en horreur les bassesses et les traîtrises qui précipitent l’humanité dans la barbarie. « Je partage sa vision du monde, même s’il nous arrivait d’être en désaccord » souligne Michel Boujut. Et de lire un passage touchant où son père s’adresse à un jeune homme imaginaire qui dirait à son sujet, longtemps après : « j’aurais aimé le rencontrer au coin d’une rue, pédalant pour la vie et jubilant d’amour »…

Le tonnelier poète

« Généreux, courageux, brouillon, Pierre Boujut était un jarnacais entêté. je l’aimais beaucoup ! » disait Claude Roy, journaliste et écrivain. Leur amitié, de longue date, avait connu des hauts et des bas. Ils avaient été brouillés à un moment, puis s’étaient réconciliés. En réaction au “poète mineur“ de Claude Roy paru en 1949, Pierre Boujut avait publié “le poète majeur“. Sans commentaires ! (photo archives)

Pierre Boujut est né en 1913 à Jarnac, en Charente. Après avoir effectué des études au collège de Cognac, il reprend la tonnellerie familiale, puis il devient marchand de fers et futailles. À cette activité liée au développement de la viticulture, il ajoute un jardin secret, l’écriture et la poésie. Avec des amis qui partagent sa passion, il fonde une revue baptisée successivement “Reflets“, “Regains“ et “la Tour de Feu“. Cette publication internationale de création poétique constitue un défi. Par pudeur, certains auteurs éprouvent de la honte à se déclarer poètes. Pierre Boujut n’échappe pas à la règle : « Je suis poète. C’est bon, inutile d’en rajouter ! » lance-t-il. La poésie coulant en lui « comme une source », il prend la plume dès l’âge de 18 ans. Sa rencontre avec Claude Roy est importante.

“Reflets” voit le jour dans les années 30. Sa devise est claire : « la poésie aide à vivre ». En 1937, elle change de titre pour s’appeler “Regains”. Pour les raisons que vous devinez, l’autorisation est demandée à Jean Giono qui conseille de mettre un “s” à la fin du mot. Ainsi, aucune confusion avec son propre livre ne sera possible.
« C’était déjà une vraie revue littéraire avec une véritable équipe » remarque Michel Boujut, « elle avait pris sa place dans le mouvement poétique français ». Une fois n’est pas coutume, la vie intellectuelle se déroule en dehors de Paris !

Malheureusement, la guerre met un terme à cette belle expérience. Bien qu’antimilitariste, Pierre Boujut rejoint l’armée. « Contre Hitler, il n’y a pas d’autre solution que de lutter et se battre ». Il est alors fait prisonnier. « Né en quarante, je n’ai vu mon père pour la première fois qu’en 1945 » se souvient Michel Boujut. En Autriche où il est retenu durant quatre longues années, il écrit sa « douleur » en pensant à sa famille et aux êtres qui lui sont chers. À la Libération, il peut enfin rejoindre sa terre natale. L’y attendent sa femme et surtout son petit garçon ! En voyant cette petite frimousse, il pense que le monde à venir, tirant les enseignements du passé, sera plus fraternel. Cette illusion est de courte durée puisque la guerre d’Indochine se profile à l’horizon. Il la condamne avec une violence extrême.

La tour de feu : Poète pour le salut de son âme !

En 1946, la revue prend un nouveau départ. Le soleil se lève sur “la Tour de Feu”, clin d’œil à la Tour d’Ivoire de Vigny. Pierre Boujut est entouré de poètes venant des quatre coins de l’hexagone (voire au-delà) : Adrian Miatlev, Emmanuel Eydoux, Roger Noël-Mayer, Edmond Humeau, Pierre Chabert, Fernand Tourret, Jacques Moreau, Pierre Chaleix, Jean Laurent, A.D. Grad, etc. L’équipe s’étoffe autour du “tonnelier poète”. Cette formule, donnée par un journaliste, ne lui déplaît pas. Elle éclaire les deux aspects de sa personnalité : « tonnelier pour subvenir aux besoins de sa famille, poète pour le salut de son âme ! ». Le temps s’écoule comme le grand fleuve qui traverse Jarnac. Il publie une quinzaine de recueils : faire danser la vie, le poète majeur, la vie sans recours, les poèmes de l’imbécile heureux, les mots sauvés. Ce sont des poèmes d’effusion, de foi humaine, d’exaltation dans la vie. Chacun est un morceau d’autobiographie.

Au bord de l’eau en 1951, à la même époque que la venue de Paul Strand à Gondeville en Charente (photo archives)

Outre ce travail personnel, sa principale préoccupation reste “La Tour de Feu” diffusée chaque mois. Elle vit jusqu’en 1981, soit quarante ans d’une aventure poétique sans égal. Aujourd’hui, Michel Boujut réalise combien son père était courageux : La Tour de Feu avait son siège en Charente, dans une petite ville de 5 000 habitants ! Animer un courant de pensée qui soit reconnu par les cercles littéraires (surtout ceux de la capitale) démontre un talent réel et une belle part d’originalité.

En dehors des modes, Pierre Boujut et ses amis ont avancé sur le chemin tracé avec simplicité et opiniâtreté. Doux rêveurs, les poètes peuvent se transformer en agitateurs. À titre d’exemple, nos amis jarnacais craignaient l’éventualité d‘une troisième guerre mondiale entre les États-Unis et l’URSS. « Ils n’ont pas hésité à le dire haut et fort ! ». Épris de liberté, ils rédigèrent le fameux manifeste de Jarnac “la poésie est déclarée“, symbole de renouveau et d’évasion. Chaque 14 juillet, ils avaient rendez-vous sous le ciel de Charente : « La poésie ne se concevait qu’ensemble. Je dirais que la Tour de Feu était le cercle des poètes disparates ! » constate Michel Boujut face à la diversité des personnages qui composaient le groupe, des médecins, des enseignants, des tonneliers.

Les Jarnacais étaient au nombre de deux, les autres venaient d’ailleurs. « Ils s’aimaient bien, c’est pourquoi ils se disputaient souvent. Quand ils se retrouvaient dans la tonnellerie, une authentique complicité les réunissait. Sur une carte postale, on les voit au bord du fleuve. Quand j’ai fait mes recherches sur le jeune homme en colère de Paul Strand, je me suis rendu compte que cette photo avait été faite au même moment, en 1951 ». À quelques kilomètres !

Pierre Boujut tenait sa revue d’une main de fer. Comment conciliait-il une foi protestante, très présente, et des pulsions libertaires ? Son fils admet que « ce n’était pas facile tous les jours ». Il évoque une histoire ancienne : « je me souviens d’un pasteur qui ne lui plaisait pas. Croyant, il se rendait au Temple mais, durant la cérémonie, il lisait un livre manifestant ainsi son désintérêt. Cette anecdote illustre bien son caractère, mon père était un réfractaire ». Autrement dit, il ne rentrait pas dans le moule et affichait ses positions.

Les poètes dans la tonnellerie Boujut. Pierre Boujut avait hérité de son père, mort durant la première guerre mondiale, de cette tonnellerie installée à Jarnac en Charente. « Il a repris le flambeau familial pour faire plaisir à sa mere » estimait son fils unique, Michel. Le nom «Boujut» aurait d’ail leurs un rapport avec les fûts : «quand un tonneau a du ventre, on dit qu’il a du bouje» (photo archives)...

« Pourquoi j’écris ? Pour faire du bien » disait-il à qui lui posait la question. Pierre Boujut se voulait optimiste avant tout. Il s’est éteint en 1992, à 79 ans. Un an avant sa mort, était paru le 150e et dernier numéro de la Tour de Feu. Les responsables y faisaient le bilan de leur expérience unique. Pierre Boujut avait également publié un volume de souvenirs : « un mauvais Français ».
En hommage à cet homme qui marqua sa ville, une association a été créée en 1996 pour « perpétuer sa mémoire, entretenir ses archives et présenter au public des animations ». La tonnellerie est devenue l’espace poétique Pierre Boujut. L’été, une exposition est ouverte au public. Elle comprend des photos, des lettres d’écrivains, Jean Giono, Henri Miller, Jean Cocteau, André Gide. Une fois par an, un cahier, qui représente une suite à la Tour de Feu, est édité.
Nicole Bertin

• Dans la tonnellerie, les ouvriers avaient apposé la pancarte suivante : «les patrons sont les patrons, les ouvriers sont les maîtres !». Loin de s’offusquer, Pierre Boujut avait jugé la formule intéressante et l’avait laissée. Elle s’y trouve encore aujourd’hui.

• Le jeune homme en colère

Claude Grijalvas en 1951. Il s'apprête à partir à la pêche. Un photographe arrive dans le village. Vous connaissez la suite...

En 1951, le grand photographe américain Paul Strand est en Charente où il immortalise un « jeune homme en colère » dans le village de Gondeville. Cette photo de Claude Grijalvas fera le tour du monde. En 1995, Michel Boujut le retrouve dans la région parisienne et organise une reconstitution en présence du photographe François Huchet (ex propriétaire du “Vieux Logis“, restaurant situé à Clam en Charente-Maritime). Un moment intéressant et émouvant !

Michel Boujut et Claude Grijalvas en 1995

François Huchet et Claude Grijalvas

1 commentaire:

Solange Tellier a dit…

Très bel hommage rendu aux Boujut, père et fils.