vendredi 13 septembre 2024

Jonzac/Site de chez Pinaud : Il y a 70.000 ans, l'homme de Néandertal y chassait les rennes !

• Découverte d'outils en os qui servaient à l'affûtage des silex

• Ouverture au public samedi 21 septembre de 9 h à 12 h et de 13 h 30 à 17 h 30

Aux côtés de William Rendu, Sylvain Renou, archéozoologue, travaille pour la société Hadès, bureau d'investigations archéologiques. Sur cette photo, il encadre des étudiants français qui fouillent le site de chez Pinaud. Le niveau néandertalien qui les intéresse aujourd'hui, où se trouve une multitude d'os brisés, mesure un mètre d'épaisseur environ.

On a du mal à le croire mais il y a 70.000 ans, il faisait bien froid à Jonzac (nom qui ne sera donné que beaucoup plus tard !). En conséquence, pour se nourrir, nos ancêtres néandertaliens chassaient la faune qui se trouvait là à l'époque, des rennes en migration en particulier. Le site de chez Pinaud était leur haut lieu d'abattage et de débitage, d'où la profusion d'os brisés localisés à cet endroit. L'autre jeudi aux Archives, William Rendu, chercheur au CNRS, directeur du Laboratoire International de Recherche ZooStan à Almaty (CNRS Université Nationale du Kazakhstan-Al Farabi) a fait le point sur les fouilles qu'il y conduit lors d'une conférence de l'Université d'Eté. Le chantier se trouve à la sortie de Jonzac, non loin du centre des congrès. Ce gisement préhistorique est internationalement connu, non seulement pour la grande quantité de rennes exploités sur place, mais aussi pour ses outils en os (ainsi que quelques dents de cheval utilisées comme percuteurs) qui servaient à l'affûtage des silex. « C'est l'un des plus grands sites de chasse en masse de Néandertal. Il atteste de l'existence d'une forte organisation annuelle des activités et de sa transmission à travers les générations » explique William Rendu.

Claude Belot, président de la CDCHS, et Philippe Gautret, président de l'UE, ont salué l'intervention de William Rendu

William Rendu, chercheur au CNRS, directeur du Laboratoire International de Recherche ZooStan à Almaty (CNRS Université Nationale du Kazakhstan-Al Farabi)

Néandertal, à la recherche du temps passé

Ce n'est pas la première fois que William Rendu ouvre les fenêtres du temps. Déjà, en 2019, il avait présenté un bilan des fouilles réalisées dans ce gisement préhistorique renommé. Depuis, il continue de fasciner les chercheurs par la profusion d'os mis au jour. Connu pour la grande quantité de rennes abattus par les Néandertaliens il y a 70.000 ans, le lieu de rendez-vous que nous appelons aujourd'hui chez Pinaud était l'endroit où les hommes se regroupaient chaque hiver pour chasser rennes et chevaux, les débiter avant d’en exporter les principaux morceaux vers d’autres sites. Moëlle, graisse et viande constituaient en effet leur survie.

Avec cette conférence qui clôturait l'Université d'été que préside Philippe Gautret, voilà qu’un passé lointain a ressurgi. Parmi nos ancêtres, Néandertal est l’une des nombreuses branches du bouquet humain. Arrivé il y a plus de 200.000 ans en Europe, il s’est incliné devant les hommes modernes, Sapiens, voici 30.000 ans. Disparu ? Pas tout à fait ! Dans notre génome, il nous a légué environ 2% d’ADN.

Le site préhistorique de chez Pinaud a été repéré par un ingénieur du BRGM dans les années 1980. Comprenant des couches du Paléolithique moyen et supérieur, il a fait l’objet de plusieurs chantiers encadrés par Jacques Jaubert, professeur à l’Université de Bordeaux, responsable de l’unité de recherches Pasea, et Jean-Jacques Hublin, directeur du département de l’évolution humaine au Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology de Leipzig. Jean Airvaux s’y est également intéressé.

Ces dernières années, une équipe menée par William Rendu, des spécialistes et des étudiants poursuivent les recherches. A quoi ressemblaient les Néandertaliens ? Ils mesuraient 1,65 m environ, possédaient un squelette extrêmement robuste avec des os épais, des insertions musculaires marquées. Leurs membres étaient relativement courts avec de fortes articulations. Leur cage thoracique était très large. Ils étaient présents de Gibraltar jusqu’aux contreforts de l’Altaï russe. Les Néandertaliens n'ont jamais été plus de 50.000 à vivre en même temps sur l’Eurasie (Europe et Asie, s’étendant de l'Atlantique à la Mongolie et la Sibérie). Ces chasseurs cueilleurs ne souffraient donc pas de promiscuité et devaient se déplacer sur des distances assez importantes.

Dans quel milieu vivaient-ils ? Quelle était la faune ? Quand la température était clémente, des herbivores, cervidés, gazelles, daims, chevaux, bisons, bouquetins. Des carnivores également avec les ours et les lions des cavernes. A titre d’exemple, on a trouvé en 2002, sur le site de chez Pinaud, les ossements d’une patte de lion qui présentait des traces de couteau. Car Néandertal façonnait des outils tranchants qu'on a baptisés « les couteaux suisses de l’époque ». Ces hommes avaient appris à s’organiser en inventant des procédés dans un contexte où ils étaient largement exposés aux dangers extérieurs.

Longtemps, on a cru que Néandertal était une brute épaisse. Cette image a été revue : ils enterraient leurs morts et avaient une recherche esthétique. « Ils n’étaient pas si différents » estime William Rendu. D’ailleurs, compte-tenu de leurs éloignements, les groupes néandertaliens possédaient leurs propres caractéristiques. Toutefois, ne sont parvenus jusqu’à nous que les éléments se conservant comme les silex, les os, les dents, les bois de cervidés. Les habitations ont disparu, de même que les pieux et autres éléments dégradables dont les ornements (plumes, etc).

Le Sud-Ouest est un paradis ! Puis le climat devient celui l’actuelle Norvège

(@ Alain Martin)
Reconstitution en 3 D du site de chez Pinaud

Après une période plutôt prospère, les choses changent brusquement. Vers 70.000 ans avant J.C, un coup de froid frappe la planète et divise par cinq le nombre de proies. Il réduit également les ressources végétales. Néandertal subit de plein fouet ce phénomène climatique et désormais, il doit suivre les rennes migrateurs. La température de l'actuelle Haute-Saintonge est alors celle de la Norvège.

Dans la région, les hommes grelottent et doivent s’adapter sous peine de disparaître. Ils développent de nouveaux procédés et mettent au point ce qu’on pourrait appeler « la première économie ». Ils apprennent à se répartir les tâches comme le montre la fouille de chez Pinaud. Les uns chassent et rapportent le gibier, les autres découpent et préparent la viande, constituent des réserves et exportent des morceaux. Parmi leurs outils, figure le fameux silex grain de mil qu’on a retrouvé jusqu’en Corrèze ; d'autres sont issus de la Haute-Vienne et du Massif Central. Les « sociétés de transport » apparaissent : les hommes effectuent plusieurs centaines de kilomètres à pied pour acheminer leur "garde-manger" en d’autres lieux. 

Au fil du temps, plusieurs milliers de rennes ont été tués, d’où une présence incroyable d'os qui suscite la curiosité. « Chez Pinaud est un vaste lieu de découpe. Les hommes s'organisaient pour les périodes de disette » explique William Rendu. Il n’est occupé qu’à certains moments de l’année et ne sert qu’à la même activité. Il a été utilisé par plusieurs dizaines de générations de Néandertaliens, d’où une transmission du savoir. Aucun ossement humain n’a été découvert à Jonzac, contrairement à Saint-Césaire où la célèbre Pierrette a fait beaucoup parler d’elle. « Ce site est intact. Il s’agit du sol que les Néandertaliens ont laissé, foulé. Il y a très peu de gisements semblables. C’est exceptionnel pour les chercheurs » remarque William Rendu. Il sera ouvert au public samedi 21 septembre de 9 h à 12 h et de 13 h 30 à 17 h 30 (réservations à l'office de tourisme 05 46 48 49 29).

Le sol tel que l'ont laissé les Néandertaliens, jonché d'ossements de rennes
(les os étaient brisés pour récupérer la graisse et la moëlle). 

• Chez Pinaud est un site majeur qui permet de mieux comprendre nos sociétés passées et un chantier école qui construit des ponts pour les sociétés futures.

Aucun commentaire: