mercredi 9 novembre 2016

Sarkozy en Libye, Hollande au Mali…

Point de vue

 
Les flux migratoires ne résultent pas du désir des populations d’aller voir ailleurs. Il est évident que si une stabilité existait sur leurs sols respectifs, elles y resteraient. Rappelez-vous la France en 1940 :  lorsque l'armée allemande a envahi la majorité du territoire, près d’un quart de la population, effrayée, a tout abandonné. C’est la période appelée l’exode, l’un des mouvements de masse les plus importants du XXe siècle en Europe. Imaginez que les grandes villes aient fermé leurs portes à ces personnes démunies !
En Afrique, c’est la même chose. Ces réactions sont la conséquence de situations si dramatiques que seule la fuite présente une opportunité de survie. Une fuite qui s’organise avec les moyens du bord sans savoir de quoi seront faits les lendemains. Embarcations fragiles, centre de Lampedusa, ferry ou avion vers la Sicile, l’Italie, la France. Attente de papiers, de régularisation. Aujourd’hui, on nous présente l’arrivée des migrants comme une sorte de fatalité sans véritablement expliquer le pourquoi de ces départs massifs. On a oublié trop facilement l’implication de Nicolas Sarkozy et des Américains en Libye (sur les conseils d’Hillary Clinton), état qui est devenu chaotique. On y annonçait l’avènement de la démocratie. Le résultat serait plutôt une catastrophe et le fameux printemps arabe n'a pas forcément été une réussite.

Face aux migrants, les associations françaises font ce qu’elles peuvent avec le soutien de l’Etat pour aider ces hommes et ces femmes en errance. Mais derrière ces drames, se cachent d’autres réalités nettement plus « intéressées ». Situation sur laquelle l’association française « Survie » apporte un éclairage :
« L’ère coloniale en Afrique s’est achevée dans les années 1960. Une fin qui, pour les autorités françaises, se fit sans omettre de placer au pouvoir quelques dirigeants stratégiques, ceux à même de maintenir les routes ouvertes pour la circulation des matières premières utiles au bien-être de l’Europe. Qui sait vraiment, aujourd’hui, en quoi consiste la présence militaire française en Érythrée ou au Gabon ? Qui sont ces chefs d’États africains qui dépensent leur argent dans des résidences de luxe à l’ombre des capitales européennes ? ». 

D’où cette question posée par le site « Ballast » : À quoi ressemblerait une France qui devrait se passer du pétrole de Total au Gabon et au Cameroun, de l’uranium et du nucléaire d’Areva - au Gabon, au Niger et au Mali - et de Bouygues ? Aurions-nous encore de quoi allumer la lumière ?
La réponse est explicite : « La France ne serait pas ce qu’elle est sans sa domination sur l’Afrique. Elle accède effectivement de manière préférentielle (et à de faibles coûts) à des ressources énergétiques situées dans ses anciennes colonies. De ce point de vue, le choix du nucléaire en France présenté comme une "indépendance énergétique" (ce qui est mensonger quand on sait d’où vient l’uranium) n’aurait peut-être pas été fait de manière aussi inconditionnelle, par exemple. Certes, il est probable que la France aurait su s’approvisionner ailleurs pour son industrie, comme bien d’autres pays le font en Europe. L’association Survie n’a pas pour revendication la fin de toute relation commerciale entre la France et ses anciennes colonies, mais que ces relations se fassent sur un pied d’égalité, transparentes, et que les matières premières soient achetées à leur juste prix, sans pillage et sans ingérence dans la politique intérieure des pays concernés ».

Et en ce qui concerne l’intervention de Sarkozy en Libye : 

• Comment envisagez-vous la fin de « l’ère Kadhafi » — personnage respecté par une grande partie des citoyens du continent — dans les relations liant la France au continent africain ?… 

« Le lynchage de Kadhafi n’a fait qu’exacerber les sentiments anti-français et anti-occidentaux dans les populations africaines, pour lesquelles Kadhafi était un leader populaire en raison de l’indépendance et de la prospérité qu’avait la Libye. La fin de Kadhafi a amené, comme on le constate, le chaos non seulement en Libye mais aussi au Mali, et mis tout le Sahel sur le pied de guerre, sous commandement occidental. C’est, à tous points de vue, un désastre pour tous ces pays qui sont entraînés maintenant dans un cycle de violences dont on ne voit pas la fin.
Il y a récemment eu un rapport parlementaire anglais très critique de la décision que fut celle de Cameron de lancer l’Angleterre dans une guerre contre Kadhafi, court-circuitant toute démarche diplomatique, qui résume assez bien les choses. Il accuse la France d’avoir été en pointe pour la solution violente et mentionne cinq raisons qui ont poussé Nicolas Sarkozy à la guerre en Libye : « Accéder au pétrole libyen, accroître l’influence française en Afrique du Nord, améliorer sa situation politique personnelle en France, donner l’occasion à l’armée française de reprendre son rang, contrer la prétention de Kadhafi à remplacer le leadership de la France dans l’Afrique francophone ».
Enfin, comme le racisme en France s’est construit sur l’histoire coloniale, il y a un désintérêt et même du mépris pour l’Afrique et les gens qui y vivent. Nous sommes imprégnés de conceptions racistes sur ce qui est acceptable ou pas pour des êtres humains. Mitterrand, parlant du Rwanda, pouvait affirmer que « dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important ». On trouve quantité de déclarations d’intellectuels et de politiciens tenant des propos analogues sans scandaliser l’opinion : les gens en Afrique sont renvoyés à une sous-humanité. Et la violence actuelle du racisme en France ne va pas améliorer les choses ».

• Et sur l’intervention de François Hollande au Mali ? 

• L’intervention au Mali a été présentée comme une opération de lutte contre le terrorisme par les autorités françaises. Comment gérer la tension entre le réel danger des groupes islamistes armés, la demande de soutien du gouvernement malien, le soutien d’une partie de la population locale à l’armée française et les intérêts stratégiques que la France, évidemment, défend ? 

« Le risque invoqué de prise de Bamako, la capitale, était un mensonge éhonté. On entend encore des politiciens français s’appuyer sur ce récit de pure propagande. Le danger des groupes islamistes a été surévalué et surmédiatisé à dessein, pour ne pas dire parfois suscité. Il y avait en effet une perméabilité certaine entre les indépendantistes de l’Azawad, auxquels les Français prêtaient une oreille bienveillante, voire plus — l’indépendance de l’Azawad a été proclamée à Paris —, et certains djihadistes. Des gens bien informés ont écrit que la demande d’intervention du Mali à la France a été rédigée au Quai d’Orsay, dans la meilleure tradition françafricaine. On a beaucoup médiatisé des Maliens acclamant l’armée française, mais moins le fait qu’au Mali, certains mouvements de gauche populaire et nationaliste, ainsi que des intellectuels de renom, étaient fermement opposés à l’intervention française. Aujourd’hui, on aurait beaucoup de mal à mobiliser une poignée de Maliens pour acclamer des Français. La seule chose évidente dans cet épisode, c’est que cela a permis à la France de reprendre un contrôle étroit sur la politique malienne, donc de l’assujettir à ses propres intérêts stratégiques. La guerre au Mali était surtout une guerre voulue par les hauts gradés de l’armée française depuis l’époque de Sarkozy ».

Qu’en sera-t-il avec le prochain président de la République ? On en saura plus en 2017 mais entre temps, aura eu lieu la fameuse bataille de Mossoul et ses conséquences vraisemblables…

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