Spécialiste des rallyes internationaux, le photographe François Baudin s’est lancé un défi : abandonner le numérique pour faire revivre, le temps d’une course en Allemagne, l’esprit pionnier de l’argentique, l’usage d’une chambre en noir et blanc et d’un Leica.
Ce matériel, qu’il n’avait pas touché depuis des lustres, les prises de vues et les tirages avec séjour prolongé dans l’ancien laboratoire l’ont conquis. Les résultats parlent d’eux-mêmes. Les photos obtenues ont ce quelque chose en plus qui attire le regard… et suscite l’intérêt des jeunes générations, éloignées de ces « technologies » d’antan.
Nostalgie ? Un peu sans doute, mais surtout une belle aventure qu’il nous fait partager et que le public pourra admirer à l’occasion de prochaines expositions. Morale de l’histoire : avant l’arrivée du numérique qui a tout simplifié en mettant la photo à la portée de chacun (par les smartphones entre autres), la photo argentique était un vrai métier qui nécessitait une solide formation…
La chambre : matériel moins maniable qu'un numérique, mais quel beau défi à relever ! |
François, qui fut d’abord laborantin en Eure-et-Loir, opta bientôt pour une nouvelle voie : le reportage automobile. Il parcourut le monde, se retrouvant en des lieux où les professionnels étaient en nombre limité sur le bord des circuits. Travaillant pour de grandes agences, il s’est taillé une belle renommée par la finesse de ses clichés, sa sensibilité et surtout son talent. Cerise sur l’objectif, il a communiqué sa passion à son fils Bastien qui a pris le relais à ses côtés.
Au printemps, une idée a germé. Conscient que le temps passe décidément bien vite, il s’est lancé un défi en réutilisant du matériel argentique qui demande des connaissances précises, le maniement de la chambre surtout. Vous savez, cette boîte noire juchée sur de longs pieds.
30 ans se sont écoulés depuis son premier rallye d’Allemagne. En août, il a choisi de « couvrir » la manche WRC à l’ancienne, sans aucun appareil numérique. Retour sur cette expérience originale…
François Baudin dans son "univers" (© Nicole Bertin) |
Ne recherchant pas la facilité des derniers appareils argentiques, le choix du matériel s’est porté sur une chambre grand format 4 X 5 inches Arca Swiss - le même modèle que celui utilisé par le photographe américain Ansel Adams de 1964 à 1968 - équipée d’un objectif Schneider Symmar 5,6/150 mm. S’y ajoutait un Leica M4 de 1968 avec un Summilux 1,4/35mm de 1974 et un Summicron 2/90 mm de 1971. Je n’ai pas utilisé le Rolleiflex 3,5 E. La mesure de la lumière était effectuée par une cellule manuelle Weston Master V. Vintage et très précise, elle n’a pas besoin d’être rechargée !
Les films utilisés sont classiques, Kodak Tri-X, Ilford FP4 ; plus récents : Fuji Acros, Bergger Pancho 400, et aussi « expérimentaux » : plan films Washi. Ils ont été développés dans du révélateur D-76.
Seule concession à l’esprit rétro, un pied Gitzo carbone, beaucoup plus léger qu’un modèle d’époque et équipé d’une rotule Arca Swiss fabriquée à Besançon par le repreneur de la marque suisse.
Un bel éventail des technologies d'antan ! |
Utiliser une chambre 4 X 5 impose une démarche différente lors d’un reportage sportif. Il faut anticiper chaque prise de vue. Une fois l’angle choisi, la concentration est à son maximum pendant 5 à 10 minutes. Les étapes sont les suivantes : mise à niveau de la chambre, contrôles des bascules et décentrements, mise au point sur dépoli, mesure de la lumière, réglages de la vitesse et du diaphragme, armement de l’obturateur, installation du châssis contenant les plans films et enfin déclenchement. Le Leica M4 a été utilisé en complément et aussi parce que seuls dix plans films étaient prévus chaque jour. Au millième de seconde, la sensation est semblable à la gâchette d’un revolver. Une seule photo, au bon moment !
Une chambre, voilà qui attire les pilotes ! (© Bastien Baudin) |
La beauté et la profondeur des noirs (© François Baudin) |
En effet, très rapidement, les doutes d’avoir réussi les photos sont revenus. Comme au temps d’avant ! Il faut donc attendre le retour au labo pour savoir quel sera le résultat alors qu’en numérique, un seul coup d’œil à l’écran informe le photographe.
Avec une démarche argentique, en fin de journée, quand le reportage est terminé, les choses sont différentes car il n’y a pas de travail sur l’ordinateur. Même pas de batteries à charger. Ne restent, dans le noir, que le déchargement et le chargement des plans films dans les châssis. Ça fait drôle !
La nostalgie des soirées « anciennes » revient vite. Je sais qu’à mon retour, j’ai du pain sur la planche. Il faudra tout traiter, retrouver les gestes d’un métier disparu. Développement des films, premières indications, puis tirage des photos sous l’agrandisseur et l’émotion de voir monter l’image dans le révélateur…
Travail dans le labo. François Baudin va y passer des heures et des heures ! |
La qualité de cette photo, faite avec la chambre, saute aux yeux ! (© François Baudin) |
Avec le Leica ! (© François Baudin) |
Le développement des 6 films 24 X 36 en cuve Paterson et des 40 plans films 4X5 en cuve Ilford a pris deux jours. Après avoir choisi 30 photos, il faut compter au moins 40 heures de laboratoire pour les tirages. Détail qui a son importance, la température doit être de l’ordre de 20 degrés environ. Or, nous étions en pleine canicule et mon labo étant situé sous les toits, j’ai du utiliser le principe du bain-marie à l’envers avec des glaçons ! Il faut également faire très attention aux négatifs sensibles aux poussières.
J’ai utilisé deux agrandisseurs. Pour le 24 X 36, un Durst D659 datant des années 60, un modèle automatique bi-format 24 X 36 et 6 X 9 avec deux objectifs Schneider Componon 50 et 105 mm montés sur tourelle. Le 50 mm a perdu un peu de sa clarté, sans trop d’incidence sur les tirages.
Pour les plans films, un Metoer Siegen 13 X 18 mural équipé d’un objectif Schneider G-Claron 9/240 mm. Le support de plan films 4 X 5 est en bois sans verre. Son poids est estimé entre 120 et 150 kilos, il date des années 50.
• Quel papier avez-vous utilisé ?
Les tirages 18 X 24 pour la presse sont effectués sur du papier Ilford Multigrade IV RC. Les images de collection, sur des papiers barytés, Foma et Ilford, sont au format 30 X 40 cm. Les tirages seront scannés à plat pour numérisation.
• Merci pour ces détails qui feront la joie des spécialistes. En conclusion, heureux d’avoir renoué avec l’argentique ?
Cette expérience aura le mérite d’avoir pu montrer de grosses différences en terme de temps passé sur les images. Alors que le rallye était terminé, les clichés de l’épreuve étaient vus partout, presque en temps réel. Il aura fallu 10 jours de laboratoire au photographe "argentique" pour montrer son travail ! Par contre, le rendu des tirages sur papier est incomparable et chaque épreuve est unique du fait du masquage manuel lors de l’exposition en chambre noire.
• Prêt à recommencer ?
Pourquoi pas, mais dans la région cette fois-ci !
• La taille des négatifs de la chambre (noir et blanc uniquement) est 10 x 12,5 cm. Ce qui explique la qualité de la photo. Plus de contrastes, de détails, des noirs profonds…
François Baudin avait repris ses habitudes de tirage en argentique un mois avant, histoire de se remettre dans le bain… et il a rangé son labo qui ne servait plus depuis un bon bout de temps ! Se retrouver dans la pénombre avec une lumière particulière, utiliser révélateur et fixateur, bref tout un univers que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître !
• Un tirage spécial avec photos numérotées sera proposé prochainement. Soit 24 tirages « collector »
• François Baudin a couvert son premier rallye en 1987 avec un Nikon. Laborantin dans une société spécialisée dans la photographie à Nogent le Rotrou, il connaît bien les gestes de l'argentique. Comme tous les photographes, il a apprécié l’arrivée du numérique… sans oublier, toutefois, les étapes qui ont précédé cette « révolution ». Travailler avec une chambre, faire ses propres tirages l’ont ému : « c’est comme un artisan qui retrouve ses outils » dit-il.
• « Sur un rallye, le numérique permet d‘envoyer des images partout dans le monde en un temps record grâce à internet. Assis devant ton ordinateur, tu sais quelles sont les bonnes images que tu vas sélectionner. Autrefois, nous devions nous activer pour tirer les photos en labo et les envoyer par courrier le plus vite possible aux rédactions. L’argentique est une approche différente du numérique, ce n’est pas une science exacte en ce sens où tu ne verras le résultat qu’en découvrant le négatif. Ça fait monter d’adrénaline »…
• Séquence émotion en Allemagne
Franz Jansens. 30 ans séparent ces deux images : Sur la route du camp de Baumholder, il était là imperturbable dans sa tenue militaire avec son casque et ses nombreuses inscriptions pacifistes. Franz Jansen s’était autoproclamé combattant de la paix, de la liberté et de la réconciliation des peuples. Son dernier combat a eu lieu le samedi du rallye. Malgré la maladie, il aura passé sa journée à briller dans la lumière. Le réfugié slovène est mort à 82 ans le lendemain.
(© François Baudin) |
Le photographe explique le fonctionnement de la cellule Weston Master V utilisée en 1987 à Bruno Thiry qui participait au rallye d’Allemagne cette année-là, dans le cadre du trophée Citroën Visa International. En 1987, l’épreuve qui s’appelait Hunsruck rally se déroulait déjà sur bords de la Moselle et dans le camp de Baumholder.
La cellule Weston est un modèle sélénium particulièrement précis qui permet la mesure en lumière réfléchie et incidente avec un invercone largement dessiné. A la différence des modèles plus récents au cadmium nickel, plus sensibles en base lumière, la Weston fonctionne sans piles.
Confidences :
- Craig Breen s’est émerveillé devant le matériel ancien. La mise au point sur le dépoli de la chambre lui a semblé très précis et a trouvé le claquement sec du Leica M4 incomparable.
- Grand amateur de photo, Dani Sordo fêtait son 150ème départ en WRC. Il n’a pas souvent posé devant une chambre grand format !
- Sébastien Ogier et Ott Tanak
La lumière n’était pas la plus facile mais après un interview, Sébastien Ogier, amusé, n’a pas résisté à se faire tirer le portrait. Idem pour Ott Tanak, avant la dernière boucle dimanche. La chambre était posée, la mise au anticipée au niveau de son casque qui était posé sur le toit. Il s’est arrêté quelques secondes, concentré au maximum. ..
Le bureau de François Baudin. Le monde d'un photographe ! |
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