Fondée au XIIe siècle, l’abbaye de Sablonceaux, classée au titre des Monuments historiques, révèle à travers ses pierres et ses aléas, une turbulente histoire. En effet, ce haut lieu de prière des chanoines de Saint-Augustin est devenu une entreprise agricole après la Révolution et son porche figure sur une boîte de fromage fabriqué dans le secteur. En filigrane de ces bouleversements, défile le temps. Les croyances se succèdent, de la foi intense à l'interrogation, des querelles religieuses destructrices à un renouveau apaisé. Le vaste édifice porte en lui l'incessant affrontement des idéaux qui jalonnent les périodes successives.
L'église abbatiale, haute et majestueuse |
Le site est ouvert à la visite |
Admirez la beauté des lignes |
Croquis reconstitution du site au XVIIIe siècle |
Là, dans ce qui est aujourd'hui un pré, les bâtiments d'antan ont été détruits. De la structure la plus ancienne, il ne reste pas grand chose en apparence sinon les vestiges d'un cloître. Grâce aux archéologues, le passé ressurgit. Plus loin, l'ancien cellier des moines a été transformé en chapelle. A découvrir la salle capitulaire entièrement restaurée, la grande enfilade de pièces constituant le réfectoire et les salles à manger ornées de moulures, la galerie haute, le grenier à grains devenu salle de réunion, le dortoir des religieux, le portail d'entrée richement sculpté datant du XVIIIe siècle. L'Eglise abbatiale, quant à elle, affiche sa grandeur et ses immenses vitraux. Elle est debout et la spiritualité l'habite avec la Communauté du Chemin Neuf, depuis la restauration de l'ensemble étalée sur une vingtaine d'années.
Ce qui devait être un cloître... |
Visite de l'Association des archives historiques de l'Aunis et de la Saintonge à Sablonceaux, guidée par Omer Baudry |
L'étiquette de ce fromage bien connu représente le porche de l'abbaye |
Sablonceaux, propriété du diocèse, s'inscrit pleinement dans le patrimoine. La communauté Royan Atlantique a un projet pour elle : « l’endroit est approprié pour une présentation générale des caractéristiques de l’art roman saintongeais, le point de départ d’un parcours reliant les 16 églises romanes classées du territoire. A partir de l’abbaye de Sablonceaux, les visiteurs pourront vivre leur expérience de visite dans un environnement historique qui les aidera à se projeter ». Une perspective prometteuse puisque notre région est riche en sculptures romanes, en Haute-Saintonge également avec les églises Marignac ou Chadenac en particulier. A noter que la boutique, installée non loin de l'entrée, rouvrira prochainement. A ne pas manquer à Sablonceaux, l'énorme noyer noir d'Amérique qui étend ses bras sur plus de 35 mètres !
• Historique du Chanoine Tonnellier :
L’abbaye de Sablonceaux a été fondée en 1136 par Guillaume X, duc d’Aquitaine et Geoffroy du Lauroux, ermite et disciple de Bernard de Clairvaux. Ce haut lieu de prière des chanoines réguliers de saint Augustin, implanté dans la « forêt du Baconais », possédait un vaste domaine constitué de divers biens.
Les chanoines réguliers étaient des prêtres qui vivaient en communauté sous la règle de saint Augustin. Ils pratiquaient la prédication, l’enseignement de la théologie et l’éducation auprès des jeunes. Leur mission principale était d’accompagner les fidèles dans leur vie spirituelle, du berceau à la tombe, dans les paroisses dépendantes de l’abbaye.
Durant la guerre de Cent Ans (1337-1453) et les guerres de Religion (1562-1598), l’abbaye est fortement endommagée. Au XVIIe siècle, les bâtiments sont délabrés et la communauté est réformée sous l’autorité de l’abbaye de Chancelade, située en Dordogne. L’abbaye de Sablonceaux est alors placée sous le régime de la commende, l’abbé n’est plus un religieux mais un haut dignitaire de l’Église nommé par le Roi.
À la Révolution, les 11 chanoines restants sont chassés et l’abbaye devient un bien national. Charles Le Moine, commissaire de la marine à Rochefort, est le premier à racheter l’abbaye. Malheureusement, la famille Le Moine ne parvient pas à entretenir les lieux. Certains bâtiments sont alors démolis et deviennent des carrières qui servent à la construction des maisons alentours. En 1907, l’église est classée au titre des Monuments Historiques.
En 1912, l’abbaye est rachetée par le docteur Martz, qui transforme les lieux en cure de santé et fait réaliser quelques travaux. Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux enfants sont recueillis par la sœur du nouveau propriétaire de l’abbaye, Mademoiselle Cornardeau. Après la guerre, la vie quotidienne reprend et l’abbaye devient une laiterie (camembert « Le Vieux Porche ») puis une entreprise agricole.
De 1963 à 1983, l’église abbatiale est restaurée sous l’impulsion d’André Malraux. En 1987, le diocèse de La Rochelle et de Saintes, qui possède les lieux, installe la communauté du Chemin Neuf sur le site, redonnant à l’abbaye sa vocation de lieu de vie et de spiritualité
• Travaux au XXème siècle (P. Lebarbier, Économe diocésain)
• C'est en 1963 qu'André Malraux décida la restauration de l'abbaye.
• Les travaux, commencés en 1964, se sont terminés en 1983 par la consécration de l'autel principal.
• A l'intérieur de l'édifice, les ouvriers ont commencé par le transfert du grand rétable et de l'autel. Au lieu de détruire ces deux chefs-d'œuvre, ils ont préféré reconstruire le rétable dans le transept nord et placer l'autel ancien dans la chapelle de la sainte Vierge.
• Du fait de ce transfert, les ouvriers ont retrouvé le grand vitrail central qui avait été obstrué par le rétable. Désormais, ce grand vitrail donne toute sa lumière.
• Le chœur de l'église abbatiale a retrouvé aussi toutes ses dimensions et le maître autel est du meilleur effet.
• En 1986, les bâtiments abbatiaux ont été mis en vente par suite du décès de l'ancien propriétaire, Yves Cornardeau. L'Association diocésaine de La Rochelle et Saintes s'est portée acquéreur de la propriété et, grâce à la compréhension des héritiers de M. Cornardeau, elle a pu signer l'acte d'achat le 23 septembre 1986. C'est donc l'Évéché de La Rochelle qui est désormais propriétaire des bâtiments et des 26 hectares qui entourent l'immeuble.
• Ce lieu a été confié à une communauté du Chemin Neuf qui, par la prière et iverses activités, redonne une âme à ces pierres vénérables.
Marcel Delafosse : « La Saintonge, si riche en abbayes autrefois, a perdu presque tous ses bâtiments conventuels »
« Monsieur le Chanoine Tonnellier a certes raison quand il qualifie de « puissamment évocateur » l'ensemble architectural qu'il nous présente avec son talent habituel. Il peut y faire défiler devant nous des personnages importants de l'histoire saintongeaise depuis Guillaume, le dernier comte-duc poitevin, fondateur de l'abbaye dans la vieille forêt gauloise de Baconne jusqu'à Raymond de Montaigne et Fortin de la Hoguette en passant par Alphonse de Poitiers et Soubise.
Il peut y placer des événements caractéristiques comme les luttes franco-anglaises, les raids protestants sur les monastères, l'écroule- ment des règles et les querelles des moines suivies du redressement catholique qui aboutit à la ferme attitude des Chanceladais devant la Révolution. Six siècles se déroulent tantôt au rythme lent des grandes mutations sociales, tantôt pleins de scènes violentes. Dirons-nous que Sablonceaux est aussi représentatif de l'art saintongeais ? À première vue, non, si nous le bornions à la richesse décorative de l'abside de Rioux ou de la façade de l'Abbaye-aux-Dames. Mais la Saintonge offre plus de variétés qu'on ne le croit quelquefois. Ici, a régné l'esprit de Saint Bernard qui n'était guère amateur d'art figuratif. Le chanoine Tonnelier, connu pour ses prouesses de déchiffrement iconographique et épigraphique, de Saint-Emilion en Gironde à Domme en Dordogne, Gisors et autres lieux, se trouve cette fois devant un austère bâtiment, de belles formes mais où le décor sculpté manque. Suivons notre guide car il sait aussi montrer comment on apprécie la pureté du tracé d'une coupole, comment on critique l'élévation d'un clocher ou un portail classique. Ce qui subsiste de l'église et des bâtiments claustraux reste remarquable et d'autant plus précieux que la Saintonge, si riche en abbayes autrefois, a perdu presque tous ses bâtiments conventuels. Par une transformation dont nous avons d'autres exemples, Sablonceaux devint à la Révolution une exploitation agricole. Il faut bien reconnaître qu'au XIXe et début du XXe siècle, les propriétaires privés furent encore moins respectueux des édifices anciens que l'armée ou l'administration pénitentiaire. Par une évolution presque inespérée, notre époque si critiquable à tant d'égards montre parfois ici et là plus de respect et plus de goût. Déjà l'église de Sablonceaux est en meilleur état et je ne partage pas le regret de certains pour une patine que j'appelais moisissure. Souhaitons aux défenseurs de l'abbaye tout entière une patience à la hauteur de la tâche. La bonne étude que voici est un premier effort indispensable pour la défense et l'illustration de Sablonceaux ».
• Qui était le chanoine Paul Tonnellier ?
(Natif de Châtellerault en1886 - décédé à Voiville en 1977). Ordonné prêtre le 29 juin 1911, il devient vicaire à Pons, puis à Marans avant d'être nommé à Tonnay-Charente (1919), curé à Paillé (1921) et enfin à Saint-André-de-Lidon (1926). Le chanoine Tonnellier reste l'une des grandes figures de l'érudition saintongeaise, tant en histoire qu'en archéologie. Sa série de monographies sur les églises de la région demeure une référence. Aulnay, Saint-Symphorien-de-Broue, Saint-André-de-Lidon et Thaims, Esnandes, Fenioux, Moëze, L'Abbaye aux Dames de Saintes, Saint-Eutrope de Saintes, Corme-Royal, Pont-l'Abbé, Mornac, Vaux, Talmont, Sablonceaux, Notre-Dame-de-Recouvrance des cordeliers de Pons sont les principaux titres publiés par le chanoine Tonnellier (entre 1954 et 1965, toutes brochures éditées par Delavaud à Saintes). Au total, plus de cinquante titres composent sa bibliographie (qu'on trouve dans son ouvrage posthume publié par Francette Joanne, Au pays de Saintonge, Bordessoules, 1988). Le grand talent du chanoine Tonnellier réside dans sa façon de mêler sources historiques et observation archéologique pour déchiffrer un monument. En parallèle à son insatiable curiosité à propos des églises de Saintonge, il participe au premier rang de la vie culturelle locale. Membre influent de toutes les sociétés savantes de Charente-Maritime, il en devient un publicateur assidu. Il est également l'initiateur, dès 1956, puis le fondateur et le premier directeur de l'Académie de Saintonge. C'est en effet lui qui réunit les dix premiers membres de cette compagnie et lui donne vie. Il a été membre de l'Académie de sa fondation à son décès.
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