La renaissance d’une maison, longtemps inoccupée, est un signe prometteur. Tant pour la valorisation du patrimoine que pour la vie d’un quartier. Dans l'une d'elle, rue Saint-Gervais à Jonzac, des travaux sont en cours. Philippe, qui connaît bien cette vaste demeure du XVIIIe siècle pour l’avoir habitée, est revenu sur les lieux de son enfance, à la rencontre du nouveau propriétaire. Il évoque ses souvenirs quand Jonzac était grouillant de commerces et que la vie des jeunes n’était pas articulée autour de la télé et des jeux vidéo…
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La maison dans les années 1950. Construite au XVIIIe siècle, elle repose sur des structures plus anciennes (© archives familiales) |
Non loin de l’église, la rue Saint-Gervais se situe dans l'un des quartiers historiques de la cité. L’artère est étroite et de chaque côté, les maisons se succèdent, blotties les unes contre les autres. Les styles des façades sont variés, certaines habitations étant plus anciennes que leurs voisines. Ainsi, l’une d'elles en particulier, s’étalant sur deux numéros, a longtemps été vide de tout occupant. Fenêtres béantes et murs figés, comme plongée dans une sorte de léthargie. Nombreux se demandaient si elle sortirait un jour de son sommeil, regrettant qu’un aussi beau témoignage des siècles passés puisse tomber en désuétude. Bonne nouvelle, depuis quelques mois, la maison fait l’objet de travaux. Le renouveau est annoncé. Un ex-Jonzacais, Philippe, l’a bien connue quand elle appartenait à sa grand-mère.
- Et si nous allions lui rendre visite ? Philippe n’hésite pas une seule seconde. « Bien sûr » répond-il avec enthousiasme. Pas question pour lui de ressasser une quelconque nostalgie. Le passé, le présent se succèdent pour former un avenir que chacun écrit à sa manière. Parce que rien n’est inscrit dans le marbre. Le nouveau propriétaire a eu un coup de cœur pour cette habitation spacieuse. Le chantier est d’ampleur car les agencements antérieurs ont été modifiés. Il reste par-ci par-là un bout de tapisserie qui atteste d'une époque révolue et surtout les caves taillées dans le roc conservent leur ambiance mystérieuse. Certes, il y a du travail, mais quand l’ensemble sera achevé, quel plaisir d’habiter et de profiter de la belle terrasse à l’abri des regards, en plein Jonzac. C’est là que réside le charme de ces maisons dont la partie arrière, intime, ferait presque oublier qu’on se trouve en centre ville !
En fermant les yeux, Philippe revoit le temps d’avant
- Alors, c’était comment ? « Mon grand-père a hérité de la maison en 1920, à son retour de la guerre 14-18. Auparavant, elle appartenait à Léopold Geneuil, médecin, et sa soeur Marie-Lydie, épouse de Pierre Sorin, mon arrière-grand-père, huissier escompteur à Archiac. Mon grand-père Gilbert Sorin était notaire, puis il a pris le poste de greffier en chef du Tribunal de Jonzac après le premier conflit mondial. Il avait l’habitude de rejoindre son cercle d’amis au Coq d’or où le premier étage leur était réservé » explique Philippe qui se souvient surtout de sa grand-mère surnommée "Boguitte" (Marguerite).
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La famille devant l'épicerie Buch (années 40 © archives familiales) |
« Nous passions chez elle toutes nos vacances, Pâques, Noël, les mois d’été avec ma mère, mon frère et mes deux sœurs. En 1940, quand ma mère me portait, elle a rejoint sa famille à Jonzac, c’est pourquoi j’ai vu le jour à la clinique de Caudéran en Gironde, comme beaucoup d’autres enfants de cette génération. Nous étions nombreux pendant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père, sa sœur, ma grand-mère, ma mère, sa sœur, cinq enfants et une employée de maison. Cette situation ne posait aucun problème car le jardin était immense. Il allait jusqu’à la rue Paul Bert et englobait le parking actuel. On y produisait des légumes en grande quantité ; nous avions des volailles, un cochon, des fours à pain, un lavoir, une buanderie pour la lessive. On a du mal à imaginer cette sorte de ferme en plein Jonzac, c’était pourtant le cas ! Bref, nous avions tout, sauf du sucre ! Je m’y sentais chez moi. C’était grand. Il y avait aussi les dépendances et d’immenses greniers dans lesquels étaient stockés divers objets abandonnés. On y faisait de sacrées découvertes et on s’y cachait quand nos parents nous recherchaient parce que nous avions fait des bêtises ! Par ailleurs, ma grand-mère a accueilli des institutrices venant de l’Est de la France durant la guerre. Elles nous ont appris à lire et à écrire, à mon cousin et à moi. Nous avions trois ans et cela nous a posé des problèmes par la suite parce que nous étions décalés par rapport à nos camarades. Pendant un an, elle a logé un officier allemand qui exigeait de manger six œufs au plat tous les matins ! ».
Des enfants au paradis
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Quelle belle voiture ! (© archives familiales) |
- Une question vient à l'esprit : Enfant, cette maison et ses dépendances devaient être un formidable terrain de jeu, d’autant que s’y ajoutaient des cavités médiévales propices à éveiller votre curiosité ?
« Oui, l’aventure était partout ! Dans le jardin, dans les caves, dans nos cabanes. Pas question de s’ennuyer ! L’animation était grande, dans la rue aussi. Dans le secteur, il y avait de nombreux commerces, l’épicerie Busch, Mme Goélan qui vendait des partitions de musique remplacée par la suite par un tailleur dont l’épouse reprisait les bas avec une machine électrique. Je pense à l’horloger, M. Jousseaume, et à sa fille qui avait été Miss Jonzac ! Plus loin, à la fabrique de gâteaux dont l’odeur nous chatouillait délicieusement les narines. On comptait aussi un bourrelier, le bureau de tabac de la famille Soulignac et le sabotier, M. Forgeron, qui travaillait sur la terre battue. Il était très gentil avec les enfants et nous donnait ses clous tordus. Redressés, ils nous servaient à construire nos cabanes. Nous étions ravis ! Dans les alentours, il y avait des Italiens réfugiés qui avaient fui le régime de Mussolini. C’était des gens très courageux. Dans l'angle, se trouvait un magasin de chapeaux. Non loin, habitait Mme Guittard, une "légende" à Jonzac, qui était brocanteuse. Son mari avait un vaste terrain où il stockait des quantités incroyables de métaux de récupération, des épaves. Vers la place du Champ de Foire, se trouvait la boulangerie Moreau qui faisait un pain extraordinaire. Tous les dimanches, après la messe, on allait y acheter des choux à la crème. Un vrai régal ! Nous étions des enfants au paradis, à l’imagination débordante. Je vivais avec ma "tribu", mes cousins, mes amis Gautret, Bouron et Niaussat dont les parents avaient une pharmacie. L'une de nos grandes occupations était la pêche des vairons dans la Seugne où ils étaient très nombreux dans les années 50. On en ramenait des centaines, surtout à l’écluse et du lavoir près du Pont de pierre. Les fritures de vairons étaient un délice. On lisait beaucoup, les grands nous racontaient des histoires. Nous étions occupés en permanence. Les jours de pluie, nous jouions aux dames, aux échecs. Mon oncle Charles Sorin, avocat pendant un temps dans un bureau loué par ma grand-mère, nous aidait à confectionner des cabanes extraordinaires. Certaines d’entre elles étaient situées dans les arbres, l’une d’elle avait même un fauteuil à l’intérieur. Nous allions chercher le lait pour ma sœur qui venait de naître dans une maison de l’actuelle rue Victor Hugo. A l’époque, nous avons appris à nager à la piscine de Réaux qui disposait de deux bassins, un petit et un grand. On s’y rendait à pied ou en vélo en s’arrêtant dans les vignes pour y manger des pêches. Pas d’inquiétude du côté des parents, la circulation était rare. Pour preuve, quand j’ai eu une bicyclette pour mon BEPC, j’ai sillonné la Charente-Maritime dans tous les sens pour visiter des cousins. Depuis Jonzac, j’allais très souvent à St-Fort sur Gironde voir mon parrain Pierre-Henri Simon. Il savait parler et écouter les enfants, comme l’oncle Charles Sorin. C’était agréable pur nous ! ».
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La maison possède des caves médiévales, comme c'est souvent le cas à Jonzac |
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Le quartier de l'église abrite une partie de l'histoire de Jonzac. En 2009, sur le parvis, de nombreux sarcophages ont été mis au jour datant de différentes époques (mérovingienne, Haut Moyen Âge). Des versions racontent que Charlemagne serait venu à Jonzac lors de ses campagnes d’Aquitaine contre les Sarrazins : « ses hommes auraient tué de nombreux Sarrazins à Montguimar qui s’appelle aujourd’hui Jonzac, mais ils furent massacrés à Balaguier qui est de l’autre côté » écrivent des chroniqueurs (© N. Bertin) |
Le temps d’avant revient, comme une présence invisible. Si envoûtant, si puissant. Lorsqu’on est un jeune enfant, on ignore ce qu’est la guerre et ce qu’elle représente. Surgissent en mémoire des bribes liées aux moments les plus marquants.
« Quand Jonzac a été libérée, ma mère avait mis un drapeau bleu blanc rouge à la fenêtre. Elle écoutait Radio Londres et bien sûr, la crainte de la famille était que des patrouilles allemandes viennent à passer. Un jour avec ma mère, ma tante et mon cousin Bernard, nous étions partis déjeuner chez un oncle. Un soldat allemand nous a croisés sur le trottoir. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai l’ai apostrophé. Ma tante m’a giflé et je réalise que j’ai peut-être été le plus jeune résistant de Jonzac ! ». |
La cour, espace de jeu pour les enfants avec les dépendances, le jardin et les cabanes ! |
« Les années se sont écoulées et chacun a suivi son chemin. La grand-mère Marguerite, devenue veuve en 1944, a toujours vécu rue Saint-Gervais. Elle s’est éteinte à l’âge de 95 ans dans la résidence pour personnes âgées située à proximité. La maison a alors été mise en vente et elle a connu plusieurs propriétaires. Aujourd’hui, l’heure de sa renaissance a sonné. C’est une joie de la voir revivre et d’imaginer la nouvelle génération s’amuser en ces lieux comme les joyeux enfants qui l’ont précédée voici quelques décennies ! » conclut Philippe...
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« Personnellement, je pense souvent à la Seugne. La Seugne : ainsi coule doucement le sang de Jonzac et de mes souvenirs » |
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