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dimanche 2 février 2014

Voyage dans le lointain passé de la région : Il y a 75  millions d’années, 
100 à 150  mètres d’eau recouvraient les Charentes !


Des huîtres de Meschers aux dinosaures de Cherves, un patrimoine paléontogique inestimable et en partie unique au monde se trouve sous nos yeux. 

Ce livre est paru aux éditions du Croît Vif
 De nos jours, on ne parle que de réchauffement climatique et de la perspective peu réjouissante d’une montée des eaux qui donnerait aux côtes charentaises des allures vénitiennes. Ce ne serait qu’un retour aux sources : la région a déjà connu une telle situation en un temps reculé. Elle baigna longtemps sous les eaux ! Tous deux originaires de Charente-Maritime, les universitaires Romain Vullo et Didier Néraudeau (membre de l’Académie de Saintonge) viennent de publier un travail très intéressant sur la faune et la flore que l’on trouvait dans nos départements à une époque où l’homme restait à inventer. Les huîtres et autres coquillages fossiles, que le promeneur ramasse sur les falaises de Meschers ou tout simplement dans les champs, ne sont que les témoins - ou plutôt les empreintes - d’un monde bien vivant qui peuplait alors la Terre. «  Il s’agit d’un patrimoine paléontogique inestimable et en partie unique au monde  » souligne Didier Néraudeau. Dans la région, des dinosaures, des crocodiles, des poissons cuirassés (à écailles dures) évoluaient dans un delta qui a précédé l’actuelle carrière de Cherves, en Charente. Nous ne sommes pas en pleine science-fiction : toutes ces ’’bestioles’’ existaient au Jurassique (ère qui a inspiré le film de Spielberg, Jurassic Park) ! Ce fabuleux héritage valait bien un livre que présente Didier Néraudeau.

Le chercheur Didier Néraudeau
Didier Néraudeau, comment est née l’idée de ce livre ‘‘Fossiles de la préhistoire charentaise’’, travail minutieux que vous avez effectué avec Romain Vullo et le dessinateur Mazan ? 

Les Charentes représentent l’une des régions de France les plus riches en fossiles. Cette richesse est d’abord quantitative car les fossiles y sont extrêmement abondants, que ce soit dans les carrières, dans les champs ou dans les falaises littorales. Mais c’est aussi une richesse remarquable sur le plan qualitatif car, d’une part, les deux départements charentais présentent des couches géologiques, donc des fossiles d’époques très variées et, d’autre part, certaines espèces fossiles charentaises constituent des jalons fondamentaux pour la connaissance de l’histoire de la vie et de la biodiversité (ex : origine des fourmis, des mammifères marsupiaux, des plantes à fleurs ; plus grand dinosaure connu, etc). Cette double richesse avait motivé Alcide d’Orbigny, rochelais d’adoption, pour réaliser au milieu du XIXe siècle l’ouvrage de référence mondiale qu’est « la Paléontologie Française », ‘‘son grand œuvre’’ qui présente en plusieurs milliers de pages et de nombreux volumes les espèces fossiles du sous-sol français, avec une contribution importante du patrimoine paléontologique charentais. Comme aucun ouvrage synthétique n’avait été publié depuis d’Orbigny, je me suis dit qu’il était temps de faire un petit guide, certes plus modeste que l’œuvre d’Orbigny, mais ayant pour vocation de faire découvrir au grand public ce patrimoine inestimable, généralement boudé par les collectivités territoriales et par conséquent ni mis en valeur, ni protégé des intempéries, de la végétation et des constructions. Je savais que cela représentait un travail considérable, notamment pour réunir le panel le plus large possible des espèces fossiles des Charentes. N’ayant pas tout dans ma propre collection, j’ai fait appel à Romain Vullo, paléontologue universitaire d’origine charentaise comme moi, pour ajouter sa collection à la mienne et m’aider dans les déterminations et les illustrations photographiques. Enfin, je suis un grand lecteur de bandes dessinées et j’apprécie énormément ce neuvième art. J’avais envie que le guide associe aux photographies de fossiles des reconstitutions dessinées d’espèces disparues. Ma rencontre avec Mazan, dessinateur bien connu des bédéphiles, s’est faite en août 2010 sur le chantier de fouilles du site à dinosaures d’Angeac, en Charente. Nous nous sommes rapidement rendu compte que son goût pour la paléontologie n’avait d’égal que mon goût pour la bande dessinée. Nos passions croisées ont été réunies dans un même projet, celui de faire un guide illustré des animaux préhistoriques (au sens large) de notre région.

Le calcaire du Crétacé apparaît dans de nombreuses constructions, dont l'arc romain de Germanicus à Saintes (dessin de  Mazan)
• Remontons le temps. La trace de fossiles marins démontre que l’eau était présente dans la région. Jonzac, Montendre et Saintes étaient-elles recouvertes par l’étendue liquide en des époques reculées ? 

L’histoire géologique des Charentes, comme celle de bien d’autres régions, n’est qu’une succession de périodes où la mer a recouvert une partie des terres antérieurement émergées (phases de transgression marines) et de périodes où la mer s’est retirée, mettant à nu ce qu’elle avait précédemment recouvert (phases de régression marine). Par conséquent, à de multiples reprises, la mer a recouvert le Centre-Ouest de la France et notamment les Charentes, plus de 100 ou 150 m de tranche d’eau ayant parfois recouvert la frange occidentale, notamment vers la fin du Crétacé. C’est ainsi que s’est déposée la craie blanche des falaises de Meschers, Talmont ou Mortagne, alors que ce n’était qu’une boue marine déposée à plusieurs kilomètres de la côte de l’époque, fortement décalée vers l’Est et le Poitou. Inversement, la mer s’est parfois retirée plus à l’ouest que le littoral actuel, et des zones de delta, de marécages, voire de mangroves s’étendaient alors à l’emplacement actuel de la mer côtière.

Sorte de coquille Saint-Jacques fossile (Neitheia sexcostata ; collection Néraudeau) du Crétacé supérieur des falaises de Barzan (17), largeur 57 mm.  
•  Quelles étaient les espèces les plus répandues ? 

Il n’y a pas de réponse unique à cette question, car cela dépend des époques. Pour simplifier, on peut opposer les écosystèmes forestiers de l’ère secondaire (Jurassique, Crétacé), riches en dinosaures de toutes sortes (herbivores géants sauropodes, grands herbivores « à bec de canard », carnivores théropodes de tailles variées, avec ou sans plumes) et les forêts des ères tertiaires et quaternaires, dépourvues de dinosaures (hormis les oiseaux !). À l’intérieur de l’ère secondaire, on peut également opposer le Jurassique, aux forêts de conifères et de fougères, et le Crétacé, période d’apparition et de diversification des premières plantes à fleurs. Quant aux milieux marins, ceux de l’ère secondaire étaient parsemés d’ammonites (cousins des calmars, à coquille spiralée) et de rudistes (bivalves géants de forme cylindroconique), tandis que ceux des ères tertiaire et quaternaire en sont dépourvus.

• On trouve aussi des plantes. Certaines d’entre elles existent-elles encore aujourd’hui ? 

Là encore, les points communs entre la flore fossile et la flore actuelle diffèrent selon les époques géologiques. À partir du milieu du Crétacé, beaucoup d’arbres modernes sont déjà apparus, notamment les lauriers, les eucalyptus, les platanes et bien d’autres arbres à fleurs. Hérités d’époques plus anciennes, on trouve dans nos paysages actuels des Araucarias, qui étaient abondants dès le Jurassique, et des Ginkgos, présents dès la fin de l’ère primaire.

•  Il est difficile de ne pas parler des dinosaures. Qui étaient ces monstres qui nous ont précédés, dont vous avez démontré dans vos travaux que certains avaient un duvet ? 


Dinosaures vivant en Charentes (dessin de Mazan)
Les dinosaures étaient d’une grande diversité, tant par la taille des espèces (de celle d’un moineau à celle d’une semi-remorque) que par leurs morphologies (bipèdes ou quadrupèdes ; à bec ou à dents ; à ‘‘pseudo-carapaces’’ ; à cornes ou à épines). Ils constituaient un groupe à part de reptiles, apparus en même temps que les mammifères il y a environ 250  millions d’années, bien avant les serpents ou les lézards modernes que nous connaissons aujourd’hui. Sans entrer dans les détails, leur crâne présentait des orifices naturels (en avant des orbites) qui les rendent bien différents de tous les autres reptiles (crocodiles, lézards, serpents, tortues) et donc faciles à identifier à partir de squelettes fossiles. Même si la majorité d’entre eux étaient à sang-froid, notamment les formes géantes herbivores, il est probable que les formes carnivores étaient, pour certaines d’entre elles, à sang chaud. Ces dernières étaient à l’origine munies de duvet, constituant un isolant thermique équivalent des poils chez les mammifères. Ce duvet s’est par la suite différencié en plumes, un groupe de dinosaures devenant ainsi progressivement celui des oiseaux. 

•  Il y a aussi l’ambre et des insectes pris au piège pour des siècles de la résine. Qu’apportent ces découvertes à la connaissance scientifique ? 


Courtilière fossile (Marchandia magnifica ; collection Néraudeau-Perrichot) de l’ambre crétacé d’Archingeay-Les Nouillers ; longueur : 7 mm
Depuis la (re) découverte d’ambre insectifère en Charentes par notre équipe à la fin des années 1990, nous avons à ce jour repéré près de 2000 inclusions d’insectes et d’arachnides dans l’ambre charentais. Chaque insecte, chaque araignée, chaque acarien découvert est une nouvelle espèce qui, non seulement nous donne une idée plus exhaustive des écosystèmes forestiers crétacés (l’ambre charentais date d’environ 100 millions d’années), mais rend possible la reconstitution de la chaîne du vivant. Elle établit notamment les relations entre ces insectes et les premières fleurs, apparues à la même époque, ou bien entre ces insectes et leurs parasites (nématodes, acariens) eux aussi préservés dans l’ambre, ou bien entre insectivores et insectes… Parallèlement, certaines découvertes permettent de mieux situer dans le temps et de mieux comprendre l’origine de groupes d’insectes aujourd’hui très répandus, notamment des formes sociales comme les blattes, les fourmis ou les termites, dont des ancêtres ont été trouvés dans l’ambre charentais.

•  Surprise, nous avions également des coraux. Cela veut-il dire que le climat y était plus chaud que de nos jours ? 

À certaines époques, le climat fut beaucoup plus chaud qu’aujourd’hui. Ce fut notamment le cas à la fin du Jurassique (période propice aux récifs coralliens), puis surtout au début et au milieu du Crétacé supérieur, il y a environ 95 millions d’années, puis il y a 75 millions d’années. On estime, via la mesure du rapport des isotopes de l’oxygène présents dans les coquilles de mollusques de l’époque, que la température moyenne mondiale des océans était alors de 5 °C supérieure à celle d’aujourd’hui. Les glaces polaires étaient alors fondues et 100 à 150 m d’eau recouvraient l’Ouest des Charentes.
Il y a 75 millions d'années, les Charentes étaient sous l'eau ! (dessin de Mazan)
• Bien sûr, toutes ces créatures vivaient sans la présence de l’homme ? 

Les plus anciens ancêtres de l’homme, appelés pré-humains et australopithèques, sont apparus en Afrique respectivement il y a 7 et 3,5 millions d’années à la fin de l’ère tertiaire. L’arrivée des hommes primitifs les plus anciens en Europe (Homo erectus au sens large) s’est faite il y a environ 1,8 million d’années et leur installation en France est encore plus récente, il y a environ 1 million d’années, à l’ère quaternaire. Donc, la totalité des fossiles représentés dans notre livre est antérieure à l’existence de l’homme.


Dent de requin fossile (Cretolamna sp.; collection R. Vullo) du Crétacé supérieur des falaises de Barzan, hauteur de la dent : 23 mm. 
•  On s’aperçoit que le réchauffement climatique dont on parle aujourd’hui n’est pas une affaire nouvelle. Quelle est votre position sur le sujet ? 

Comme je l’expliquais précédemment, la Terre a connu de nombreuses variations du niveau des océans. À quelques exceptions près, ces variations du niveau marin étaient consécutives et associées à des variations climatiques majeures, alternativement vers une tendance froide (eau congelée aux pôles, donc baisse du biveau des océans) et vers une tendance chaude (eau fondue et hausse du niveau des océans). Ces variations répondent à différents types de cycles qui modifient régulièrement la position de la Terre sur son axe ou la position de la Terre sur son orbite ou autour du Soleil (que les puristes me pardonnent ce raccourci simpliste !). Ces différents types de modifications interviennent selon des cycles de plusieurs milliers, dizaines de milliers ou millions d’années, selon les cas. Lors de certains cycles, des climats extrêmes ont entraîné de nombreuses extinctions d’espèces (phases appelées « crises biologiques »). Ces phénomènes sont connus et bien repérés dans le temps car la fréquence des différents types de cycles est identifiée. Or, le réchauffement actuel n’est pas calé sur l’une de ces phases naturelles de réchauffement et il échappe aux cycles précités. En revanche, il s’est développé en même temps que l’industrialisation, la déforestation et la pollution croissante amorcée au XXe siècle. Donc, il est clair que les activités humaines ont « court-circuité » le cycle naturel des variations climatiques terrestres. Seul l’homme pourra ainsi défaire, peut-être, ce qu’il a fait. Mais il faudra beaucoup de temps, de prise de conscience et de bonne volonté. Les paléontologues du futur s’amuseront à décrypter tout cela à partir de nos squelettes fossiles…

Propos recueillis par Nicole Bertin 

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