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dimanche 23 février 2014

Jonzac : à 87 ans, Yvette Garraud 
est la doyenne des commerçants !


À Jonzac, qui ne connaît pas la boutique Chantal spécialisée dans le prêt-à-porter ? Yvette Garraud, qui l’a créée dans les années cinquante, raconte ce qui fut pour elle « une belle aventure ». 

Avec son fils Jean-Luc, Yvette Garraud est à l’origine des nombreux défilés de mode organisés à la salle municipale, qui rencontraient un grand succès.
«Il ne faut jamais remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même » est l’adage préféré d’Yvette Garraud. Sa boutique de la rue Sadi Carnot, elle ne la quitte guère et malgré les aléas de la vie, elle a toujours été fidèle au poste. Bien sûr, il est devenu plus difficile pour elle de se déplacer, c’est pourquoi son fils, Jean-Luc, l’accompagne l’après-midi.
Ainsi, elle retrouve des clientes avec qui elle peut bavarder. Depuis plus d’un demi-siècle, elle en a tissé des liens ! Yvette Garraud a gardé ce regard clair et volontaire qui la caractérise et toujours marché droit, comme sa mère le lui avait appris. « À mon époque, il fallait avoir du maintien » plaisante-t-elle.

Née en 1926, Yvette a grandi dans le quartier de la gare où son père avait une entreprise de charpente menuiserie. « Il était l’héritier d’Eugène Landreau qui avait acheté le corps de bâtiments que nous occupons encore aujourd’hui ». Elle a un frère prénommé Jacques. « J’ai passé mon enfance à Jonzac. Dans les années 30, la ville n’était pas comme aujourd’hui. Tout le monde se connaissait. La vie était beaucoup plus simple ! Je me souviens que nous allions jouer au croquet au jardin public avec des camarades ».
La jeune fille fait des études de sténodactylographie. Diplôme en poche, elle entre au Crédit Lyonnais de La  Rochelle où elle fait ses premières armes. « Le matin, en me rendant à la banque, je passais devant une boutique qui s’appelait Le Gant Rouge. Elle était magnifique. Je me disais que j’aimerais en avoir une comme celle-ci. Peu à peu, l’idée a fait son chemin. Je me sentais capable de faire autre chose que de travailler dans un bureau ».

C’est à la mort de son père qu’Yvette prend sa décision : « je ne voulais pas laisser maman toute seule, c’est pourquoi j’ai choisi de revenir à Jonzac et d’y ouvrir un commerce ». Entre les deux, elle a trouvé l’amour de sa vie, André Garraud avec qui elle convole en justes noces. Il travaille chez Dunlop à La  Rochelle. « Je crois que j’ai fait des envieux, il ressemblait à Gary Grant. Je me souviens que Mme Radoux, l’épouse du tonnelier, me disait : comment avez-vous fait pour trouver un si beau garçon ? J’ai rencontré André dans la pension de famille où je m’étais installée. Pour un anniversaire, il était chargé de couper le gâteau et au moment de servir les parts, il avait oublié de se compter. J’y ai vu de sa part beaucoup de gentillesse et de bonté de cœur ». Le couple a deux garçons Philippe et Jean-Luc.

C’est un beau roman, c’est une belle histoire ! 

 En 1954, le rêve d’Yvette se réalise. Rue Sadi Carnot, rive gauche, elle reprend une boutique qui porte le nom de Chantal : « la personne qui la tenait vendait de la laine, de la mercerie. J’ai conservé le carnet des stocks ! ». Évidemment, le local a besoin d’être « rafraîchi ».
M.  Barbin vient y donner un coup de peinture tandis que sa famille s‘occupe des sols. « J’ai commencé au bas de l’échelle ». La jeune femme sait ce qu’elle veut : son magasin sera élégant et proposera du prêt-à-porter de qualité. « En ville, il y avait de nombreuses enseignes de vêtements, Grelety, Hillarion, Chevalier. Je devais donc créer mon propre style pour séduire la clientèle ». 
Yvette rencontre rapidement le succès : « j’ai appris à faire des beaux paquets avec du papier de soie, à personnaliser la boutique. Je voulais que la vitrine soit jolie, qu’elle fasse envie, qu’on y trouve des harmonies de couleurs. Quelquefois, j’empruntais les chapeaux de maman qui était coquette pour les mettre en valeur. J’avais trouvé un slogan " Chantal tente, séduit, ravit ". Autour de moi, il y avait des gens qui me critiquaient. Ils ne comprenaient pas pourquoi j’avais quitté un emploi sûr pour me lancer dans le commerce. Certains se demandaient où j’avais appris mon métier. En fait, je crois que c’est inné ».

Le premier magasin, rue Sadi Carnot à Jonzac, ouvert en 1954
Peu à peu, la notoriété de Chantal se répand loin à la ronde et l’on vient des villes voisines (dont Jarnac et Cognac) pour s’habiller chez Chantal dont la propriétaire prodigue des conseils et accessoirise les tenues. De grandes marques viennent enrichir les collections comme Christian Dior, Nina Ricci ou Sous le signe de Paris. « J’ai eu la chance, grâce à mes relations, de rencontrer des femmes étonnantes comme l’épouse d’un ambassadeur mexicain. Que ces personnes, qui avaient le choix, viennent s’habiller à Jonzac était un vrai plaisir ».
Yvette ne pouvait pas s’arrêter en si bon chemin et très vite, elle organisa des défilés de mode dans la salle municipale. « J’étais dynamique, j’allais de l’avant. Voir ces mannequins défiler à l’occasion d’un grand dîner était agréable et convivial. La salle était pleine ».

 A Jonzac, il fut une époque où les défilés de mode se succédaient dans une salle des fêtes archi-comble. Certains étaient même sponsorisés par la marque de cigarettes Seita. Impossible de nos jours ! 

Souvenirs, souvenirs !
Défilé dans la salle des fêtes de Jonzac
Dans les années 70, la boutique, devenue trop exiguë, change de côté et s’installe rive droite de la rue Sadi Carnot, dans un espace plus vaste. Le fils d’Yvette, Jean-Luc, qui ne manque pas d’imagination, s’associe à la Semaine nationale de la mode. Un rendez-vous annuel s’instaure auquel les boutiques de Jonzac sont associées. Toutes rivalisent pour faire de cette manifestation un immense succès. Yvette se souvient avec nostalgie de ces moments grouillant d’animation. Les essayages, le stress de l’avant-défilé, quel chapeau porter, quelle ceinture mettre… Certes, la préparation était prenante, mais toujours pleine de gaieté ! Le temps a passé et les goûts ont changé. « Les personnes qui ouvrent des boutiques doivent davantage se battre, ne pas s’endormir sur leurs lauriers, être réactives. Le monde, avec ses mauvaises nouvelles quotidiennes, essaie de briser les rêves. À nous de les réinventer ». 

Dès qu’elle le peut, Yvette est présente dans son magasin aux côtés d’Annick, vendeuse et de Michèle, couturière. Elle est comme un bastion, heureuse d’avoir concrétisé ses projets et tissé des liens solides avec ses clientes, dont certaines sont devenues des amies : « Je crois que ma force, je l’ai tirée en écoutant les autres » dit-elle.
Malgré cette réussite professionnelle, la vie a été dure pour Yvette qui a perdu successivement son mari, son fils aîné Philippe et l’un de ses petits-fils, Christophe. La maladie ne l’a pas épargnée non plus. « C’est la foi qui m’a sauvée. Un jour, je sais que je reverrai mes chers disparus ». À 87 ans, elle est incontestablement la doyenne des commerçants jonzacais. Respect !

Défilé Chantal Boutique dans le cadre de la Semaine de la Mode (années 80)

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