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jeudi 27 décembre 2012

Peter Rebeiz :
« Dans le monde, je parle
de Saint-Seurin d’Uzet »


Bientôt, un musée du caviar

Dernièrement à Montpon, en Dordogne, l’association Patrimoine de Saint-Seurin d’Uzet en Charente-Maritime a scellé le "pacte" financier qui la lie à Caviar House & Prunier. 
Objectif : ouvrir un musée du caviar dans l’auberge où se dégustait autrefois « l’or noir »… 

Evelyne Delaunay a le sourire. Elle se bat depuis des années pour faire revivre à Saint-Seurin d’Uzet la mémoire du caviar. Il est encore si présent dans la région qu’il a donné son nom à une rue du village !
 Il y a quelques années, la maison Caviar House & Prunier a acquis les bâtiments de l’ancienne auberge de l’esturgeon. L’objectif était d’installer un laboratoire et une pisciculture dans les environs. L’idée a été abandonnée.
C’est alors que les investisseurs, dont le célèbre Pierre Bergé, ont lancé un défi à l’association Patrimoine de Saint-Seurin d’Uzet : « Proposez-nous un projet et nous vous soutiendrons ». Ainsi est née l’idée de créer une auberge-musée du caviar et de l’esturgeon avec dégustation et vente. 
« La volonté forte qui s’est exprimée parmi les habitants de voir revivre et se développer ce lieu et son histoire l’a emporté » explique Évelyne Delaunay.

Dans un premier temps, Caviar House & Prunier a mis l’immeuble à disposition pour y organiser des manifestations. Dernièrement, l’accord de mécénat entre la Holding et l’association a été officialisé, les documents devant être signés dans un proche avenir. Étaient présents Peter Rebeiz, président de Caviar House & Prunier (dont le siège est à Genève), et Jean Francis Bretelle, bras droit de Pierre Bergé.

Le Caviar House Prunier produit à Montpon en Dordogne
Jeune esturgeon (pisciculture de Montpon)
Esturgeons en bassins
Le musée verra le jour dans les années qui viennent, ce dont se réjouit Peter Rebiez : « La France ne doit pas oublier son passé. Elle a commencé à commercialiser le caviar avant les Iraniens ! Depuis plus de 30 ans, je fais des conférences sur le caviar et ce soir, je serai à Zurich. À chaque fois, je parle de Saint-Seurin d’Uzet ». Ajoutons que cette publicité est également faite dans les 40 points de vente que possède le groupe dans les aéroports. Eh oui, vous ne rêvez pas, c’est bien de notre petit port de Saintonge dont il s’agit !

Sacrée princesse ! 

Saint-Seurin d’Uzet mérite bien cette notoriété. Quand il ouvrira ses portes au public, le musée ne fera que remettre sur le devant de la scène une activité qui donna prospérité à la région durant une quarantaine d’années. « La France a une histoire forte en ce qui concerne le caviar. Nous devons tout faire pour la tirer de l’oubli et la valoriser » explique Peter Rebeiz qui connaît le sujet par cœur.


En France, le caviar devient célèbre au XVIIIe siècle, avec l’arrivée des immigrés russes. La haute société s’entiche de cette spécialité salée, dont le prix l’est tout autant. Il vient alors de la mer Caspienne. Peu à peu, l’Aquitaine se lance dans cette production originale.
Un siècle plus tard, le caviar de l’Estuaire de la Gironde, initié par Schwax, un marchand de Hambourg, revient sur le marché français sous étiquette russe. Il est préparé à Saint-Seurin par un certain Théophile Roux. Les mauvaises langues prétendent qu’il est de mauvaise qualité.
En 1902, la maison Toublanc, mareyeur à La  Rochelle, élabore une nouvelle formule. Malheureusement, la guerre arrive et les hommes partent sur un autre front…

René Val, la mémoire de Saint-Seurin d'Uzet
Après le premier conflit mondial, les marins ont oublié la valeur du caviar. Pragmatiques, ils pensent d’abord à vendre leurs poissons. En conséquence, les œufs d’esturgeon servent à nourrir les canards ! Une prise de conscience a lieu dans les années 1920. À ce sujet, René Val, la mémoire de Saint Seurin d‘Uzet, aime à raconter une histoire amusante. Un (beau) jour, une femme élégante se promène dans ce village de la côte royannaise. Elle s’approche d’un bassin où un vieux pêcheur est en train d’éventrer des esturgeons. Il jette les œufs à l’eau, comme des quantités négligeables. Surprise, la visiteuse s’exclame : « Mais c’est du caviar ! ». Il s’agit d’une Princesse Romanoff, mariée à M. Scott, scientifique et ancien garde à la Cour impériale, dit-on. Intéressé, ce dernier ne tarde pas à visiter la région.
Qui veut se lancer dans le commerce du caviar peut écouter ses conseils ! L’esturgeon revient sur le devant de la scène : « Scott était recommandé par la famille Prunier. En 1925, elle a fondé, à Paris, un restaurant qui est devenu le haut lieu de la dégustation du caviar et des produits de la mer. Dans la région, elle avait fait aménager huit postes de fabrication à Saint-Seurin, Callonges, Plagne, Cavernes, Cambes, Rions et Blaye ».


À Paris, Prunier distribue la marque “caviar de la Gironde“ proposée par René et Raymond Milh. La renommée est immédiate : Saint-Seurin devient le lieu à la mode et les restaurants des Belet et Saint-Blancard ne désemplissent pas.
Selon René Val, « Saint-Seurin était la capitale française du caviar » ! Cet essor économique, qui semble tomber du ciel ou plutôt de l’estuaire, fascine la population. René Val n’échappe à cet engouement. Lui, le fils du commerçant du coin, adore l’agitation qui donne à sa commune des airs “branchés“.


Dans les années 50, Saint-Seurin compte au moins quinze pêcheurs spécialisés dans l’esturgeon, sans oublier ceux des autres ports, Meschers, Mortagne, Vitrezay, Maubert, les Callonges. Nous sommes en plein âge d’or ! L’été, des célébrités, en vacances à Royan dont Jean Gabin, Gilbert Bécaud, Danièle Darrieux viennent y déguster du caviar. On parle aussi d’hommes politiques, Léon Blum et Édouard Daladier. L’époque est formidable. « Pendant la saison, le village était noir de monde » se souviennent les anciens.

Trop, c’est trop… 

 

Malheureusement, les hommes ne savent pas respecter les “quotas“. Bientôt, l’esturgeon se fait plus rare et, dans les années 1980, il a pratiquement disparu.
L’ère triomphante du caviar n’est plus qu’un souvenir. Certes, l’esturgeon a été pêché intensivement, mais s’y ajoutent d’autres raisons. Pour construire les immeubles près du port de Bordeaux, par exemple, on a pillé les gravières qui servaient à la reproduction du poisson.
Cette perspective, René Milh, qu’on surnommait le renard de l’estuaire, l’avait pressentie. René Val avait vingt ans quand il lui disait : « tu verras, dans cinquante ans, il n’y aura plus de pêche à l’esturgeon ». Il avait raison.

Après la Seconde Guerre mondiale, il s’est fait tout et n’importe quoi : « des gens inexpérimentés ramenaient des milliers de petits esturgeons d’un coup de filet. Ils auraient dû les rejeter à l’eau. Non professionnels, ils n’avaient que faire de la législation ». La pêche à l’esturgeon a finalement été interdite.

Aujourd’hui, l’esturgeon d’élevage (baeri) a remplacé son frère sauvage (acipenser sturio). Plusieurs sociétés en produisent dont Sturia qui possède une unité à Saint-Genis de Saintonge et Caviar House & Prunier qui a racheté à Montpon la société Epidor créée par M. et Mme Sabeau.
En France, ce couple a été le premier à tenter l’élevage de l’esturgeon en pisciculture. Le caviar est revenu mais de sauvage, il est obtenu à partir de poissons qui grandissent en bassins.

Raconter la formidable aventure du caviar en Saintonge est le but poursuivi par l’association d’Évelyne Delaunay. Les membres, dont Bernard Mounier (auteur d‘un excellent livre documenté sur le caviar de la Gironde) savent que la balle est dans leur camp. Un beau défi à relever !

Bernard Mounier, historien, Evelyne Delaunay, présidente de l'association Patrimoine Saint-Seurin d'Uzet, Jean-Francis Bretelle, M. Delaunay, Valérie Sabeau, Peter Rebeiz, président de Caviar House Prunier, et Laurent Sabeau

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