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jeudi 27 décembre 2012

Les confidences de Rosen :
«  J’ai élevé mes enfants
en travaillant avec mon corps  »


Invitée de l’émission de Mireille Dumas sur le thème 
« faut-il interdire la prostitution ? », Rosen Hicher a apporté son témoignage. Si le sujet fait débat, légiférer sur le plus vieux métier du monde est compliqué. Et pour cause, 
les opinions des hommes et des femmes divergent 
franchement sur le sujet…


En publiant un livre sur « une prostitution choisie et non subie », Rosen Hicher, qui réside à Saintes en Charente-Maritime, a rompu la loi du silence. Son ouvrage, basé sur la franchise, explique comment une femme en arrive à vendre ses charmes pour subsister. Mais il va plus loin : l’auteur y lance un appel à toutes celles qui se retrouvent démunies sur le trottoir, sous la coupe des souteneurs qui se moquent bien de leur santé et de leurs sentiments.
Après avoir été favorable à la création de maisons contrôlées qui établiraient une charte de bonne tenue et assureraient le suivi médical de ses « occupantes », Rosen ne voit qu’une issue pour briser l’hypocrisie ambiante : que les clients soient pénalisés financièrement…

« Le Mouvement du Nid (1) m’a proposé de participer à l’émission de Mireille Dumas. Nathalie Bordes-Prévost, aujourd’hui dans le Lot, a exercé à Saintes durant un certain temps. Je la connais » confie Rosen. Contrairement à Nathalie qui souhaite ouvrir des maisons de sexe gérées par les prostituées elles-mêmes (dont une en Charente-Maritime ?), elle a changé d’opinion.
« Aujourd’hui, des milliers de filles, de par le monde, vivent dans la peur. Aux macs, s‘ajoute le simple petit copain qui demande un jour à sa compagne de se vendre pour de l’argent. Elle accepte généralement parce qu’elle ne peut pas faire autrement. Dans d’autres cas, l’acte est purement alimentaire, comme ces étudiantes qui se prostituent pour payer leurs études. C’est bien là le problème. Ce n’est pas possible de voir toutes ces jeunes filles se laisser tripoter par des hommes. Elles se sentent sales, forcément ».


Au fil du temps, Rosen est devenue une vraie militante parce qu’elle sait de quoi elle parle : « la prostitution résulte d’un enchaînement de situations. La jeunesse, la vulnérabilité, la faiblesse, le cynisme des hommes qui vous considèrent comme de la chair fraîche. Quand je fais le bilan de ma vie, je m’aperçois que je n’existais pas quand j’étais prostituée. J’ai tourné la page depuis deux ans et maintenant, je peux me regarder en face ».
Verbaliser le client, comme c’est le cas en Suède, lui semble être une piste à explorer. Seul hic, une telle sanction, qui pourrait aller de deux mois de prison à une amende de 3 000 euros, peut-elle être votée par deux hémicycles à majorité masculine ?

Rosen persiste et signe : « Grâce à internet, tout le monde peut trouver chaussure à son pied. Qu’on ne dise pas qu’il faut des filles de joie pour déniaiser les timides ! Vendre son corps est dans la majorité des cas une contrainte. On peut ne peut pas en sortir indemne ».

L’histoire de Rosen

C’est en avril 1946 que la loi Marthe Richard, conseillère municipale de Paris au passé sulfureux, est votée par le Gouvernement provisoire. Les maisons closes et de tolérance ferment, mais la prostitution ne s’arrête pas pour autant.
Rosen Hicher se souvient de ses débuts. En mars 1988, alors qu’elle travaille dans l’électronique, elle apprend qu’elle est licenciée. « Je me suis retrouvée avec mon mari, au chômage également, et mes trois enfants. Nous n’avions pas assez d’argent pour vivre et je ne suis pas du genre à mendier auprès des associations caritatives » dit-elle. Désemparée, elle regarde les petites annonces et décroche une place dans un bar à hôtesses. Les consignes de son futur « job » sont simples : inciter les hommes à « commander » et aller plus loin si affinités.

Rosen explique son choix : « j’avais trente ans. Je savais ce que je faisais. C’était purement alimentaire ». Les clients sont issus de tous les milieux, des fortunés qui pensent qu’ils peuvent tout acheter, à l’ouvrier modeste : « Le monde est vraiment dominé par le sexe et l’argent ».
Les années passent. Elle ouvre un salon de massage « pour avoir une vie stable et finir le soir à une certaine heure ». Mais les choses tournent mal : « Dans un deux pièces, vous êtes seule, à la merci de n’importe quel détraqué. J’ai été agressée et braquée. J’ai même été violée. Cela peut paraître drôle de la part d’une prostituée, mais c’est la même chose que pour une femme normale. On a peur du sida aussi. Il m’a sauté dessus. Il recherchait la violence avant tout ».

Rosen s’installe bientôt à Saintes où elle continue ses « activités » : « Mes enfants étaient au courant. Je ne leur ai jamais rien cachés ». Sa clientèle est plutôt composée de VRP et de personnes isolées. S’y ajoutent des cas moins classiques : « Certains voulaient être battus et payaient cher pour recevoir des coups ; d’autres se travestissaient et demandaient à être caressés comme des femmes ». Nous vous passons les détails !
« J’ai élevé mes enfants en travaillant avec mon corps » avoue-t-elle sans chercher à travestir la vérité.

Atteinte d’une maladie orpheline qui attaque les cartilages, la polychondrite chronique atrophiante, elle a décroché depuis deux ans et écrit un livre sur la prostitution. « Il faut se battre pour éviter à de nombreuses filles, venues  de l’étranger, mais aussi à de petites Françaises, collégiennes, lycéennes ou fugueuses, de se livrer à la prostitution sauvage et de croiser sur leur route la mafia du sexe. Souvent malades du sida, droguées, malmenées, elles ne sont qu’un pion sur un échiquier beaucoup plus vaste. Comment est blanchi l’argent de la prostitution et où va-t-il ? La question mérite d’être posée ».

Jusqu’à 3 000 euros d’amende ?

En décembre 2011, les députés ont adopté une proposition de résolution qui réaffirmait la position abolitionniste de la France, premier pas vers une possible pénalisation des clients. La mission d’information présentait toute une série de mesures dont un délit général de recours à la prostitution. Un travail de sensibilisation auprès des clients aurait été réalisé.
Le nouveau Gouvernement semble aller dans ce sens, François Hollande ayant déclaré : « le fait qu’un client ait le droit de disposer librement du corps d’une autre personne parce qu’il a payé est une atteinte aux droits humains ».

Le sujet est compliqué car il se heurte à la morale judéo-chrétienne qui l’entoure d’une fumée opaque. Fermant volontairement les yeux sur la souffrance des « péripatéticiennes », la société ne risque-t-elle pas de repousser le débat parce qu’il est dérangeant d’entrer dans les arcanes de l’âme humaine ? Pourtant, la prostitution, telle que nous la connaissons, s’organise dans de nombreux cas autour d’un vaste trafic humain proche de celui que les hommes et les femmes épris de liberté ont longtemps combattu, l’esclavage.

• Mouvement du Nid :
Créée dans les années 30 par le Père André-Marie Talvas, cette association milite pour une société sans prostitution. Elle est favorable à la pénalisation des clients.

• Rosen Hicher a écrit un premier livre « je suis une femme courageuse » suivi de « Rosen, une prostituée témoigne » aux éditions Bordessoules.

• 20 000 prostituées en France : Actuellement environ 20 000 personnes exercent en France le plus vieux métier du monde dont environ 85 % de femmes. En 1990, environ 20 % des femmes se prostituant dans l’espace public étaient de nationalité étrangère. Elles sont aujourd’hui près de 90 % venues notamment de Roumanie, Bulgarie, Nigeria et de Chine.

Parmi les invités de Mireille Dumas, Rosen la saintaise et Nathalie, qui se prostitue dans un village du Lot après avoir vécu à Saintes également. Elle témoigne à visage découvert parce qu’elle assume totalement son activité et milite pour créer des maisons du sexe, des lieux gérés directement par les prostituées, à la différence des maisons closes.

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