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dimanche 9 octobre 2011

Le trésor mérovingien de Jonzac


En perspective, un futur musée où les exposer ?

Désormais, le passé de Jonzac possède un arbre généalogique quasiment complet, des Néandertaliens de chez Pinaud - gisement préhistorique situé sur la route de Champagnac - aux Mérovingiens en passant par les Gallo-Romains installés dans la villa située près des Antilles. S’y ajoutent les périodes plus récentes détaillées par nos historiens dans des ouvrages de qualité.
Jeudi dernier, Léopold Maurel, archéologue départemental, et Nicolas Portet, responsable du laboratoire LandArc à Fleurance, ont dressé le bilan de la fouille effectuée devant l’église de Jonzac en 2009. Clou de la soirée, la présentation des bijoux mérovingiens retrouvés dans la nécropole…


Au centre, l'archéologue Léopold Maurel

Je ne sais plus très bien à quelle période la mort m’a emportée. Dans les années 590, je crois. Il faisait froid dans ce pays qui deviendra plus tard la province de Saintonge. Un vent glacial semblable à celui dont Ausone s’est amèrement plaint dans ses écrits. Je n’ai pas résisté à la maladie. C’était peut-être aux ides de Mars, selon l’expression de mon aïeule, une matrone gallo-romaine. Elle vivait près de la rivière, en bas de cette sorte de promontoire, véritable terrasse de pierre que la nature a sculptée. Elle savait lire, écrire et adorait la poésie ! C’est en souvenir d’elle que ma mère m’a appelée Juvena, la jeunesse, celle qu’on voudrait éternelle.

Malheureusement, le destin en a décidé autrement. Dans la nécropole proche de l’église en bois construite sur la colline, un sarcophage, qu’un artisan de la contrée a taillé dans la pierre locale, m’est réservé. Ma mère m’a mis mes plus beaux habits cousus de fil d’or et paré d’une paire de boucles d’oreilles qu’elle aimait particulièrement. À mon cou, elle a posé cette croix d’or offerte le jour de mon baptême. Comme mon père, un Franc, je crois en un Dieu unique qui prône l’égalité des hommes et la survie de l’âme. Un jour, lui aussi me rejoindra. Comment le reconnaîtrez-vous ? Il aura à son doigt une bague en argent portant une inscription, en hommage au Christ.

À gauche, la croix d’or qui ornait le cou de la fillette de la tombe 29

Les gens pleurent autour de moi. Le couvercle se referme. Il fait noir et je vais rester prisonnière plus de 1 400 ans. Sur cette place, il en passera des gens, sans même savoir que je suis dessous ! Je ne vous dis pas adieu. Je sais que je reverrai mes descendants, des personnes bien différentes de moi dont j’ignorerai les coutumes et usages. Il y aura d‘abord une corporation appelée “archéologues“ qui me dégagera avec d’infinies précautions. Je ne ferai pas de bruit, mais vous entendrez parler de moi !…

Cette histoire, bien sûr, est une fiction à cette nuance près que la sépulture de cette petite fille (dont l’âge se situerait entre 5 et 9 ans) a été retrouvée devant l’église de Jonzac, dans l’ancien cimetière mérovingien, non loin de celle d’un homme converti au christianisme.
Le résultat des fouilles a été exposé jeudi soir devant un nombreux public réuni au cinéma Familia, dans le cadre de l’Université d’été.

Les Mérovingiens : Pas si obscurs qu’on le prétend 

Jusqu’à une époque récente, les Jonzacais ignoraient que les Mérovingiens avaient habité leur ville. Si les témoignages de l’époque médiévale y sont nombreux, subsistait un blanc entre la fin de l’occupation romaine (dont la villa des Antilles, fouillée par Karine Robin et son équipe, est un vestige) et le début du Moyen Âge. Une heureuse fortune l’a partiellement comblé.
Les fouilles menées voici deux ans devant l’église s’inscrivent dans une période de notre histoire dite “obscure“, des Ve au VIIe siècles.
L’apogée de Rome n’est plus qu’un souvenir et une nouvelle organisation a été mise en place. Jonzac (qui ne porte pas encore ce nom) est un lieu habité, fort de deux collines, Balaguier et Montguimar, qui correspondent à l’actuel château et à l’église.

Grâce aux travaux de Léopold Maurel, archéologue départemental, les tombes, découvertes dans le cadre d’une réfection du site engagée par la municipalité, ont dévoilé des informations intéressantes. Autrement dit les squelettes et surtout le mobilier retrouvé à l’intérieur des tombes ont parlé. Cette sorte de police scientifique historique nous permet d’en savoir plus sur la communauté qui succéda aux habitants de la villa gallo-romaine. Le laboratoire LandArc, situé à Fleurance (Gers), a effectué un travail remarquable de décapage des objets mis au jour dans les sarcophages. Ainsi, sont apparus boucles de ceinture, céramiques, armes, épées, peignes en bois de cerf, couteaux, bijoux, pendentifs, bagues. Ils dénotent d’un véritable “made in Jonzac“ puisque le talent des artisans porte une empreinte spécifique à ce bassin de vie. Par le damasquiné révélé (introduction de petits filets d’or ou d’argent dans les motifs), Nicolas Portet n’hésite pas à parler « d’une école de Jonzac ».

Boucle d'oreille

Bijoux inanimés, avez-vous donc une âme ?

Sur les 205 sépultures dégagées, 149 ont été fouillées. Il s’agit d’un périmètre partiel puisque la nécropole s’étend sous les rues voisines et l’édifice religieux.
Les tombes mérovingiennes sont regroupées dans des enclos. Les défunts ont-ils été placés par familles, classes sociales, culturelles, ethniques ou religieuses ? On l’ignore. Certaines abritent plusieurs corps (jusqu’à quatre) et les âges des défunts varient (des nourrissons aux adultes). Les personnes, d’une taille respectable (moyenne de 1,60 pour les femmes et de 1,72 pour les hommes), souffrent généralement d’arthrose, ce qui démontre qu’elles travaillaient de force.
Les individus sont inhumés avec des objets de leur quotidien. La finesse des ornements atteste un savoir-faire et une maîtrise des métaux.

Boucle de ceinture

Pour Nicolas Portet, responsable du laboratoire LandArc, la renaissance des bijoux et prochainement des armes - dont les fameux scramasaxes (coutelets) - a été une aventure exaltante.
Les procédés de restauration sont délicats et obéissent à un protocole rigoureux. Quand l’objet revient à sa version originelle, l’émotion est au rendez-vous. La croix en or retrouvée dans la sépulture de la fillette (tombe 29) est tout à fait exceptionnelle : « en général, elles sont en argent. De telles découvertes se comptent sur les doigts de la main » souligne le conférencier. Et que dire des boucles d’oreilles qui semblent si “contemporaines“ ! La famille de l’enfant était vraisemblablement élevée dans la hiérarchie locale. Malheureusement, nous ne saurons jamais qui elle était puisque les tombes ne portent aucune inscription gravée.

Présentation d'une partie du "trésor de Jonzac" à l'occasion des journées du patrimoine

L’ensemble du mobilier sera recensé dans un catalogue et un livre, « récapitulatif de la fouille », devrait être publié l’an prochain, comme le souhaite Claude Belot.
Le sénateur maire de Jonzac ne cache pas sa joie : cette découverture mérovingienne est un atout supplémentaire dans la longue histoire de Jonzac et celle de la Haute Saintonge plus généralement.

Belle ornementation

La création d’un musée, où ces objets seront exposés, est dans l’air du temps. Pour l’instant, et avant qu’ils ne rejoignent Saintes où ils seront conservés en lieu sûr, le public a les admirés dans des vitrines.
Une idée a surgi. Pourquoi ne pas en faire des reproductions (comme pour les Musées Nationaux) ? Après tout, nous avons déjà la ligne de produits de beauté “Jonzac“, quelques parures seraient les bienvenues, d’autant que ces bijoux et accessoires ont un “design“ intemporel !

Félicitations à Léopold Maurel (qui fouille actuellement une villa gallo-romaine à Saint Saturnin du Bois) et à Nicolas Portet : leurs témoignages ont passionné l’auditoire !

Nicole Bertin

• Chronologie

Les chaînons manquants de l’histoire jonzacaise s’assemblent peu à peu. Au temps préhistoriques, nos ancêtres taillaient le silex grain de mil, fort renommé, dans un filon qui s’étendait de Champagnac à Clam. Tout ce beau monde se rejoignait du côté de chez Pinaud (à la sortie de Jonzac), où un chantier de fouilles est ouvert chaque été.
La villa gallo-romaine de Jonzac, sorte de grosse ferme, a vraisemblablement été construite aux premiers siècles de notre ère par un ancien militaire. L’ensemble de bâtiments, totalement à découvert, démontre que les occupants ne craignaient pas l’envahisseur.

La période qui suit est opaque en raison des Barbares qui déferlent sur le territoire. « Le fait essentiel de cette période, qui s’étend du VIe au VIIIe siècles, est la fusion progressive de ces populations sur laquelle s’impose l’influence de l’église » soulignent les historiens. Les tombes découvertes à Jonzac correspondent à l’époque mérovingienne, à partir du Ve siècle. À cette période, la villa gallo-romaine est abandonnée. Pour se protéger, les habitants se sont vraisemblablement installés plus haut, dans le périmètre actuel du bourg de Jonzac, en bordure de Seugne.

Il ne reste aucun vestige de leurs maisons qui n’étaient pas en pierre, contrairement à celles des riches Gallo-Romains. Les grands domaines agricoles devaient se trouver à l’extérieur, vers la Grand Vau, Ozillac, etc.

• Avant Anthème,
quel saint vénérait-on à Jonzac ?


L’église de Jonzac était-elle renommée au point d’y attirer les fidèles en ce début de christianisation ? Mystère. On parlerait alors d’inhumation “ad sanctos“, acte qui consistait à se faire enterrer auprès de saints afin de bénéficier de leurs immenses bienfaits. Si c’était le cas à Jonzac, de quel saint s’agirait-il ? Pour en savoir plus, il faudrait fouiller davantage. Or, ce n’est guère possible en raison des maisons et de l’église elle-même (sur quelles bases repose cet édifice religieux ? Voilà une question intéressante ! Il n’est pas exclu qu’une construction païenne l’ait précédé)…

• La légende de Saint-Anthème

Devant l’église, cohabitent deux époques : des sarcophages mérovingiens d’une part et des tombes du Bas Moyen Âge d’autre part, identifiables par leur emplacement creusé pour la tête. La nécropole ne semble pas avoir été utilisée entre le VIIIe et les XIe, XIIe siècles.
Il est à noter que les habitants de l’époque médiévale ont respecté leurs ancêtres puisque leurs sarcophages n’ont pas été bousculés.

Selon les spécialistes, les squelettes retrouvés dans les sarcophages jonzacais laissent apparaître de l'arthrose. Nos Mérovingiens ne ménageaient pas leurs efforts...

C’est au Moyen Âge que serait apparue la légende de Saint-Anthème, évêque proche de Charlemagne. Il serait enterré à Jonzac dans le roc, près de l‘autel (VIIIe/IXe siècles). Cette histoire, bien que rapportée par le Pseudo Turpin, reste à prouver. Par ailleurs, l’Église n’était pas très regardante quant à l’authenticité de ses nombreuses reliques, l’essentiel étant la dévotion des fidèles…
L’hommage à Saint-Gervais et Saint-Protais, protecteurs actuels de l’église de Jonzac, est venu plus tard.

• De Clovis à Dagobert !

Durant des lustres, dans les manuels scolaires, nos ancêtres ont été injustement présentés à des générations d’élèves qui les imaginaient plus facilement en hommes des bois qu’en habiles orfèvres.
Fort heureusement, les résultats des fouilles menées sur le territoire ont peu à peu conduit les historiens à revenir sur les jugements hâtifs de leurs prédécesseurs.

Les Gaulois, par exemple, n’étaient pas ces “gros lourdeaux“ aux cabanes misérables trônant au milieu des cochons. Ils disposaient même d’une technologie avancée.
Il en est de même pour les Mérovingiens, issus du roi Mérovée, grand-père de Clovis. Rendu célèbre par le vase de Soissons, son baptême dans la religion catholique fut célébré le 25 décembre 498 à Reims par l’évêque Rémi.
Après la chute de l’empire romain d’Occident, victime des Barbares, Clovis, chef d’une tribu de Francs, s’imposa et conquit la Gaule presque entière. Stratège avisé, il obtint de l’Empereur d’Orient le titre de Consul qui le fit accepter de la population gallo-romaine, inquiète à juste titre de son sort.

Malheureusement, et alors qu’il s’illustra dans les combats, sa postérité connut une destinée peu glorieuse. Parmi les Rois “fainéants“, se trouve ce cher Dagobert que les écoliers connaissent pour avoir mis sa culotte à l’envers. On s’éloigne des exploits héroïques !

Le laboratoire LandArc a été chargé du nettoyage des bijoux et des armes.

• Vêtements : L’analyse des brins de lin, de laine, et de fils d’or est en cours d’étude. Les conclusions devraient parvenir prochainement.


• Les sarcophages, disposés selon un agencement réfléchi, ont été taillés dans le calcaire des carrières d’Avy et Jonzac, d’après les observations de Jacques Gaillard. Trois d’entre eux ont été exposés dans l’église pour les Journées du Patrimoine.
• L’agencement de la nécropole est intéressant : les superpositions de sépultures à flanc de colline, littéralement calées contre des constructions, soulève des interrogations.

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