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samedi 24 mai 2008

Témoignage Mai 68 : Francette Joanne, historienne : "Des pavés et des pierres"

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Oserai-je écrire que Mai 68 fut pour moi une période de recherche et de calme ?
J’étais enseignante célibataire au collège de Chatelaillon et notre établissement fut fermé comme partout ailleurs. Élèves et professeurs se croisaient parfois sur la plage, les uns et les autres profitant du soleil. À La Rochelle, l’agitation des esprits et des idées embrasait les rues et les quais. L’effigie de Pompidou, pendue au clocheton de la gare SNCF, indiquait que la haine n’est jamais lointaine.
Fuyant les manifs de La Rochelle, même celles à vélo, (j’ai toujours eu la hantise de la foule), avec quelques amis, armés de pioches, de pelles, de pinceaux, de brosses à dents et d’un “transistor“ comme on disait alors, nous nous retrouvions souvent l’après-midi, dans les bois du Châtelet, sur la commune de Saint-Agnant où les archéologues de la société de Rochefort avaient ouvert un chantier. Il s’agissait d’un temple gallo-romain dont ne restaient que les infrastructures très endommagées par les racines des arbres : des pierres, des pierres sur plus d’un hectare, des bases de murs recouvertes d’un lierre épais. Et entre les murs, au niveau du sol, sous la terre, de belles mosaïques que nous nous occupions à dégager, puis à faire les relevés.
Nous évoluions au milieu de vestiges d’une civilisation disparue. La puissance de la nature avait ébranlé, puis absorbé progressivement des constructions devenues inutiles. La vie continuait et les oiseaux chantaient dans les branches, affairés qu’ils étaient à construire leurs nids ou nourrir leurs petits, troublés par le bruit nasillard du transistor que nous allumions presque toutes les heures pour savoir ce qui se passait à Paris. À Paris qui gouvernait alors la France, à Paris où d’assemblées générales en amphi, on cherchait dans l’inconscience la France de demain.
Nous, nous recherchions la France d’avant-hier et cette recherche oblige toujours à des réflexions sur le temps et à un recul devant l’immédiateté des choses.
Depuis les IIème et IIIème siècles, que de crises, que de morts, que de vies. Le raffinement des mosaïques se rapprochait du confort matériel que dénonçaient avec violence les manifestants du quartier latin. Les pierres du temple servirent de carrières aux paysans d’alentour pour construire leurs pauvres maisons tandis que les pavés des rues parisiennes servaient à construire les murs/barricades de ceux qui rêvaient un monde nouveau et dont on ne voyait que l’insubordination. Nos copains agités clamaient et réclamaient contre le dieu de la consommation et du confort “bourgeois“, et nous, nous n’entendions que le silence d’un empire détruit…

Photo 1 : Des pavés et des voitures (photo transmise par Thierry Lacourly).

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