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mardi 20 avril 2021

Saintes/Restauration de Saint-Eutrope : Lancement des travaux dans la crypte et le chevet roman

La basilique Saint-Eutrope est un monument emblématique de Saintes. Chef d’œuvre de l’art roman, sa crypte constitue l’un des lieux à découvrir dans la région. Endroit secret, énigmatique, il fascine par son impressionnante forêt de piliers romans, massifs et sculptés, qui entoure le tombeau du premier évangélisateur de la Saintonge. Chacun attendait avec impatience que soient annoncés les travaux qui permettront de protéger ce patrimoine remarquable et de le valoriser. Vœu exaucé : vendredi après-midi, le maire Bruno Drapron, entouré de Dominique Deren, adjointe chargée de la culture et de Joël Terrien, en charge des travaux et de l’aménagement urbain, ont présenté les programmes de restauration, répartis en deux phases de 2021 à 2023. Sont concernés le mur du chevet nord et son décor roman (près du clocher) ainsi que la crypte où une dalle de béton, installée voici plusieurs décennies, favorise et accentue l’humidité. Si les finances l'autorisent, une troisième tranche renouera avec les agencements architecturaux tels qu’ils avaient été conçus initialement.

Le tombeau de Saint-Eutrope dans la crypte (© Nicole Bertin)

Au fil du temps et de ses aléas, la basilique Saint-Eutrope, inscrite par l'Unesco au Patrimoine mondial de l’humanité (étape sur les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle) a subi des modifications, voire des amputations. Toutefois, elle a gardé, en partie intacte, sa crypte du XIe siècle qui renferme le cénotaphe de Saint-Eutrope, personnage éminent de la chrétienté. Le culte de ce martyr, qui fut le premier évêque de Saintes, est attesté depuis le VIème siècle (sous les Mérovingiens convertis au christianisme) par le chroniqueur Grégoire de Tours et par l'évêque de Poitiers Saint Venance Fortunat.

Malheureusement, les monuments s’abîment, comme l’a hélas montré un diagnostic réalisé en mars 2019. La pierre s’érode, les frises se détériorent et les mousses envahissent les interstices. Sans oublier les pigeons qui peuvent laisser des traces acides de leur passage. D’où une certaine urgence à intervenir. « Nous sommes à l’un des moments fondamentaux pour comprendre l’architecture romane dans la région Aquitaine et le diocèse de Saintes. La région possède moult témoignages romans, l’abbaye aux Dames de Saintes, l’église d’Aulnay ou bien l’hôpital des Pèlerins à Pons. Saint-Eutrope a été mutilée au cours des siècles. Aujourd’hui, dans la partie haute, le visiteur a face à lui un monument gothique, mais initialement, le site comprenait un vaste prieuré qui abritait les fameuses reliques de Saint-Eutrope » rappellent les historiens. 

Bruno Drapron, maire, Dominique Deren, adjointe chargée de la culture et Joël Terrien, en charge des travaux et de l’aménagement urbain, devant la partie romane qui va être restaurée

Heureuse nouvelle, une campagne de travaux va donc s’ouvrir à Saint-Eutrope en partenariat avec le Ministère de la Culture et la ville de Saintes, maître d’ouvrage. Le projet, intégré dans l’opération Cœur de Ville, est basé sur le développement d’un pôle culture et patrimoine sur les thèmes du gallo-romain et du roman. 

Les interventions se dérouleront en deux phases. La première concerne le côté nord de Saint-Eutrope et sa curieuse absidiole. Ces parties très anciennes sont victimes des eaux de ruissellement. « Nous allons les assainir grâce à une gouttière en cuivre car jusqu’à présent, elles n’avaient pas de protection. En bas, une sorte de caniveau sera installé afin que l’humidité ne s’introduise plus dans la crypte. Il s’agit d’aménager un dallage calcaire avec le fil d’eau aérien au pied du chevet vers le point de récolement Est pour préserver le sous-sol archéologique. Les façades seront entièrement restaurées. Les pierres endommagées seront remplacées par des neuves, une attention étant apportée à leur intégration grâce à des techniques de vieillissement artificiel, des badigeons de chaux teintés en particulier » explique Joël Terrien. Entre les mains des sculpteurs, le décor roman retrouvera sa délicatesse (on s’est aperçu que les dernières réparations, faites avec du ciment, n’étaient pas des plus judicieuses). Durant ces travaux, des fouilles préventives pourraient réserver des surprises ! 

Dans un second temps, le chantier se déroulera dans la crypte où des désordres hygrométriques majeurs ont favorisé la dégradation des chapiteaux et le développement des moisissures. Le sol sera décaissé et la dalle en béton enlevée. L’objectif est d’assainir cette crypte qui manque manifestement de « respiration ». 

Le programme collectif de recherche « l’église, le prieuré et le bourg de Saint-Eutrope de Saintes » s’inscrit par-delà ces interventions. En partenariat avec l’Université Montaigne de Bordeaux et piloté par Christian Gensbeitel, il a pour objectif d’enrichir la connaissance du site et de développer un pôle de rayonnement de l’art roman saintongeais doté d’outils innovants. Le programme Monasticon Aquitaniae, consacré à l’étude des monastères médiévaux, a permis la mise en place d’une précieuse banque de données. 

Espérons que ces travaux apporteront aux historiens des réponses à leurs questions et permettront à la crypte Saint-Eutrope de traverser les siècles à venir. Pour l'heure, la municipalité souhaite associer les habitants à cette belle aventure. Si la situation sanitaire le permet, ils pourront suivre une fois par mois l'avancée du chantier de restauration en présence des artisans. « Nous voulons associer les Saintais par des visites, des explications, des expositions photographiques en partenariat avec le Service d’art et d’histoire et la société archéologique » souligne le maire Bruno Drapron. Les deux tranches devraient être achevées en 2023.

Bruno Drapron, Dominique Deren et Joël Terrien devant le baptistère de la crypte

• Coût des travaux de restauration : environ 3 millions d‘euros. Acteurs du chantier : Compagnons de Saint-Jacques ; Sculptures : atelier Enache ; Charpente Gauthier ; Vitrail Dupuy ; archéologie du bâti INRAP ; maîtrise d’ouvrage : Ville de Saintes ; maîtrise d’œuvre : Sunmetron. 

Une page d’histoire :

Sur ce tableau, on aperçoit à droite la nef rasée au XIXème siècle pour des raisons de sécurité

C’est en 1081 que Guillaume VIII, duc d’Aquitaine, demande à l’Abbaye de Cluny d’entreprendre la construction de Saint-Eutrope. Le chantier commence par une église basse située sous le chœur de l'église haute, celui-ci se prolongeant à l'ouest par une nef de la même longueur. En 1096, à l’occasion de son voyage en France, le pape Urbain II, qui prêcha la première croisade, vient en personne consacrer l’édifice aux côtés de l'évêque Ramnulphe.

Un prieuré est établi à proximité. Des moines prennent en charge la célébration des offices et la gestion du pèlerinage. Au XIIe siècle, l'église apparaît comme une importante halte jacquaire sur la « Via Turonensis », voie la plus occidentale conduisant à Saint-Jacques-de-Compostelle. « Sur le chemin de Saint-Jacques, à Saintes, les pèlerins rendent visite au corps du bienheureux Eutrope, évêque et martyr » indique Aimery Picaud (moine poitevin de Parthenay-le-Vieux ayant vécu au XIIᵉ siècle) dans son guide du pèlerin de Saint-Jacques.

Au XVème siècle, l’édifice s'embellit avec la construction de la partie gothique. Louis XI finance la surélévation du clocher. Commencé en 1478, il est achevé en 1496. Quand vous regarderez cette construction, ayez donc une pensée pour ce Roi, adversaire de Charles le Téméraire !

Au XVIème siècle, la crypte est comblée partiellement. Par la suite, la Révolution chamboule le clergé, les Clunisiens quittent les lieux et l’ensemble est vendu comme bien national. C’est au XIXe siècle que les érudits réagissent et obtiennent le déblaiement de la crypte et le classement de l'ensemble aux Monuments Historiques. Miracle pour Saint-Eutrope, son tombeau réapparaît et l’Eglise donne un nouveau souffle à son culte. 

Malheureusement, le temps poursuit son œuvre. L’ensemble de l’édifice souffre et la nef (qui se trouvait sur le parvis actuel où sont stationnés les véhicules) s’affaisse. En 1803, l’Etat décide de raser cette partie pour des raisons de sécurité. Les paroissiens craignent de la voir s'écrouler. Personne ne voulant débourser les 1500 francs nécessaires aux travaux de restauration, le préfet Guillemard ordonne l'amputation du membre malade, purement et simplement. Cette démolition fait le bonheur de certains habitants qui récupèrent des matériaux… et le désespoir des défenseurs du patrimoine. Un nouveau portail est dessiné par un architecte, mais il faut bien avouer que Saint-Eutrope est à jamais estropiée. Mutilée, elle reflète les contradictions des hommes, oscillant entre création et destruction…

Malgré de nouveaux problèmes au XXe siècle (incendie, décapage des murs), l’édifice est entretenu et la crypte, ouverte au public, est l’objet de toutes les attentions. Avec ses énormes piliers ornés de chapiteaux (aucun motif n’est identique), ses voûtements audacieux, son architecture particulière digne de Games of Thrones et surtout la sépulture du célèbre Eutropius, cet endroit ne laisse pas insensible ! Détail qui a son importance, l’intérieur n’a jamais subi de grandes transformations depuis ses origines (à part l’entrée, les accès intérieurs et autres détails que révèlent les chercheurs).

« L’administration du Premier Empire, en décidant la destruction de la nef pour des raisons de sécurité, a privé les nouvelles générations d'une réelle splendeur » 

Que sait-on aujourd’hui de cette face cachée ? « L’ancienne nef, qui occupait la place du parking actuel devant la façade, avait un sol plus bas que le niveau actuel. Les sources qui sont restées décrivent un intérieur fort peu banal. Une fois entré dans l'édifice, on descendait par un escalier à cinq marches pour accéder au premier niveau de la nef. De là, de nouvelles marches permettaient de rejoindre une sorte de palier, en fait le centre de la nef elle-même. Ce palier était entouré de colonnes. À partir de ce palier, de nouvelles marches conduisaient à la crypte, elle-même située sous la nef actuelle. De la nef, d'autres marches se dirigeaient vers le chœur. On peut ainsi imaginer que, depuis l'entrée de la nef, on pouvait apercevoir en même temps deux officiants : celui de la crypte et celui du chœur dans l'église haute. L'administration du Premier Empire, en décidant la destruction de la nef pour des raisons de sécurité, a privé les nouvelles générations d'une réelle splendeur en même temps que d'un édifice à caractère unique et sûrement très pittoresque » déplorent les spécialistes.

« Par le diagnostic des chercheurs, sera établi le fonctionnement de l’église romane. Comment se répartissait l’espace entre les pèlerins et les Bénédictins ? Comment les moines géraient-ils leur établissement ? Qu’y-a-t-il sous le parking ? » s’interroge Christian Gensteibel (Université Bordeaux Montaigne).

L’église Saint-Eutrope avait donc deux niveaux : une église basse pour les pèlerins, une église haute pour les moines, les deux prolongées vers l'Ouest par une seule et vaste nef aujourd’hui disparue. Sur cette reconstitution, on aperçoit sous le parvis actuel (parking) un espace qui laisse supposer l’ancienne entrée à la crypte (plan Archéotransfert et Patrimoine in Seguito Montpellier).

Plan de masse de Saint-Eutrope (plan Archéotransfert et Patrimoine in Seguito Montpellier)


Les deux niveaux de l'église Saint-Eutrope étaient prolongés vers l'Ouest par une seule et vaste nef aujourd’hui disparue. Sur cette reconstitution en 3D, on aperçoit sous le parvis actuel (parking) un espace qui laisse supposer l’ancienne entrée à la crypte (plan Archéotransfert et Patrimoine in Seguito Montpellier).

Grâce aux reconstitutions, on peut se faire une idée assez précise. « Il s’agissait d’un projet monumental, d’une ambition considérable pour l’époque ». Notons au passage, prouesse des bâtisseurs, que toute la partie haute repose sur la crypte, autrement dit sur l’église basse !

• Au temps de sa splendeur romane, le prieuré Saint-Eutrope accueillait une vingtaine de moines. Il s‘agissait de l’un des plus importants prieurés de l’abbaye de Cluny.

• Pour atteindre le sommet du clocher de Saint-Eutrope, 250 marches sont à gravir pour apprécier la vue, avec une pensée émue pour Louis XI qui contribua à sa surélévation (fin du XVe siècle). Le premier élément qui retient l'attention est la flèche qui culmine à belle hauteur. Avec ses crochets typiques du gothique flamboyant, elle dresse sa solennité quand d'autres clochers sont seulement "calottés" (cathédrale Saint-Pierre). 

Le clocher illuminé lors des journées du patrimoine

• Grégoire de Tours au sujet de Saint Eutrope 

« Eutrope, martyr de la ville de Saintes, fut envoyé, rapporte-t-on, en Gaule par le bienheureux évêque Clément, qui le consacra par la grâce de l’ordination pontificale. Après avoir rempli sa mission [d’évêque] et prêché aux incroyants, il vit s’élever contre lui les païens, à qui l’auteur de la chute ne voulut pas permettre de croire ; il fut frappé à la tête et repose dans la victoire. Mais, en raison de la persécution qui régnait, il ne fut pas enseveli dignement, et les chrétiens ne purent pas lui rendre les honneurs qui convenaient. On oublia alors complètement qu’il avait été martyrisé. Voici comment cela fut révélé. Bien longtemps après, une basilique fut construite en son honneur, et dès qu’elle fut achevée, Palladius, qui était l’évêque du lieu, convoqua les abbés et fit transporter les cendres dans le lieu qui leur avait été préparé. Quand cela fut fait, deux des abbés ayant soulevé le couvercle, examinèrent le corps saint et découvrirent une cicatrice à la tête, à l’endroit où le tranchant de la hache avait frappé. Mais pour que ceci n’eût pas été vu en vain, il s’y joignit bientôt un enseignement céleste : la nuit suivante, alors que les membres du clergé dormaient tranquillement, il [Eutrope] apparut à deux d’entre eux et leur dit : c’est par la cicatrice que vous avez vue sur ma tête qu’a été consommé mon martyr. Ainsi, les peuples reconnurent par là qu’il était martyr ; car on ne possédait pas l’histoire de sa passion ».

Le 25 mai 2021 : Saint-Eutrope au fil du chantier à 15h30. RDV sur le parvis de Saint-Eutrope. Une fois par mois, suivez la restauration de Saint-Eutrope avec ses artisans. Organisé par le Service Ville d’art et d’histoire. Sur réservation à partir du 26 avril : 05 46 92 34 26 - mail : e.gervais@ville- saintes.fr 

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