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jeudi 26 décembre 2019

Rétrospective 2019 : en mars, quand un chef Papou rencontre Françoise Souan, la cheffe du salon du livre de Thénac


Sauver les forêts primaires de la déforestation

Vendredi à Thénac. Salle municipale pleine à craquer pour le salon du livre organisé par Françoise Souan et son équipe. Ce soir, elle accueille Mundiya Kepanga, chef de la tribu des Hulis en Papouasie Nouvelle-Guinée. Il est venu porter la parole des arbres de sa terre natale, victimes de la déforestation. 


Quel est le point commun entre un chef de tribu de Papouasie Nouvelle-Guinée et des Européens ? L’un pourrait vivre tranquillement dans son environnement et les autres faire des marches pour le climat en s’inquiétant des bouleversements. Il est pourtant un sujet qui les réunit, celui de l’avenir de l’humanité que Mundiya Kepanga résume par une phrase lourde de sens : « la disparition des forêts primaires entraînera celle de hommes ». En effet, les forêts d’Amazonie, du Congo et de la Papouasie Nouvelle-Guinée contribuent grandement à l’oxygène que nous respirons…
Accueilli par François Souan, « la cheffe du salon du livre de Thénac », Mundiya Kepanga s’installe sur l’estrade aux côtés de son ami et traducteur, Marc Dozier. Devant lui, une salle archicomble intriguée par cet homme qu’ils ne croiseront pas tous les jours. « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis » a écrit Antoine de Saint-Exupéry.


Pour une fois, « les Blancs ne sont pas pressés » : ils sont venus partager son histoire et écouter son témoignage. Coiffé d’une parure traditionnelle réalisée à partir de plumes d’oiseaux, peau de kangourou et végétaux, il est le représentant d’une culture bien éloignée de la nôtre. Celle où les hommes vivent en symbiose avec la nature. Ils la respectent et considèrent les vieux arbres, qui peuplent cet univers d’une éternelle beauté, comme des entités vivantes, grandissant avec eux, éléments de la Terre-Mère.
Alors que nous taillons les arbres parfois jusqu’aux moignons, ils les laissent s’élever vers le ciel. La nature offre à ces peuples la nourriture et les matériaux nécessaires à la construction des huttes. La forêt primaire n’est pas seulement leur berceau, elle est une cathédrale où vivent des espèces qu’on ne trouve nulle part ailleurs.  Signe qui ne trompe pas, c’est là qu’évoluent les fameux oiseaux de paradis !
 
Pour des raisons mercantiles, ces sanctuaires sont l’objet de cupidités. Des vagues de déforestation ont lieu que Mundika Kepanga dénonce haut et fort. Les troncs sont débités et deviennent meubles et lames de parquet. Quittant son village, il a pris son bâton de pèlerin pour alerter les Occidentaux de ce pillage…

« On ne donne pas d’ordre au climat, ni à la nature »

C’est à l’occasion de la COP21 qu’il est venu à Paris pour la première fois. Il faisait partie de la délégation des chefs de Papouasie Nouvelle-Guinée invités à s’exprimer. Lutter contre le réchauffement climatique était bien sûr l’objectif ! Mundiya Kepanga, qui vit dans la région de Tari, ne pense pas comme pas les Occidentaux. Il est réaliste sur la situation et sait bien que le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté à la frontière française.
Certes, les hommes peuvent changer certaines habitudes, mais ils n’ont aucune influence sur le déroulement des événements : « On ne donne pas d’ordre au climat, ni à la nature. Dans mon village, on sait qu’on ne peut pas arrêter le cours du soleil ! Nous ne savons ni lire, ni écrire et la tradition se transmet oralement. Depuis le tout début, nous prenons soin des arbres qui sont les frères des hommes. Le jour où les arbres ne seront plus là, l’humanité disparaîtra avec eux ». Une belle sagesse loin de nos actualités !


Le film réalisé sur cette déforestation en Papouasie Nouvelle-Guinée est révélateur et surtout il montre à quel point les autochtones se font manipuler. Les sociétés créent des emplois et s’engagent à doter les régions déboisées de routes en bon état et d’hôpitaux. Or, on trouve le plus souvent des pistes rudimentaires et des dispensaires peu fournis. Pendant ce temps-là, le massacre végétal se poursuit, ce commerce enrichissant les investisseurs asiatiques en particulier. Pour en retrouver de cette taille, il faudra moult générations.
« Dans ma tribu, on ne sait pas faire de films » avoue Mundiya, c’est pourquoi l’aide de Marc Dozier a été précieuse : « Je n’avais pas l’intention de participer à la COP 22. Nous avons alors choisi de montrer ce qui se passait sur le terrain ». Pour en faire la promotion, il n’hésite pas se déplacer ! Le message du film étant la préservation de l’environnement, il s’est rendu en Europe à plusieurs occasions (conférences, écoles). Ambassadeur d’un peuple qui tire la sonnette d’alarme, il a rencontré plusieurs personnalités dont des responsables de l’Unesco et Gérard Larcher, président du Sénat. Conscient de la transmission, il a confié sa plus belle coiffe papou au musée du quai Branrly à Paris en 2016. Par ailleurs, il a participé à plusieurs livres et documentaires.

Les questions de la salle

L’échange a été fourni et souvent amusant, les façons de penser étant bien différentes.
- Comment devient-on chef ? « Je suis un petit chef ! Les chefs sont choisis en fonction de ce qu’ils apportent et des conseils qu’ils prodiguent à la communauté. Lorsqu’il y a des conflits par exemple, les chefs se rassemblent pour trouver des solutions ».
- D’où viennent les sociétés qui participent à la déforestation ? « Pour nous, il y a les Blancs et les Noirs. Les Indonésiens et les Chinois sont impliqués. Les arbres de la forêt primaire sont des monuments et c’est pourquoi nous les respectons. On dit que les personnes qui plantent des arbres vivent plus longtemps que les autres ».
- Est-il plus simple de parler à un arbre qu’à un humain ? « Je ne sais pas. Pour nous, les arbres ont précédé l’apparition des hommes, sauf deux espèces dont les branches cassent plus facilement ! Nous vivons sur la même planète et personnellement, je parle à mon arbre de naissance. On peut se dire des choses ». Cette intimité n’empêche pas ce chef papou d’aller à la rencontre du public et de le taquiner, ce qu’il a fait à Thénac.
- Qu’avez-vous éprouvé en arrivant en France ? « En 2003, j’étais impressionné, la tour Eiffel, les voitures, les gens qui marchent à toute vitesse. Maintenant, je me suis habitué et puis j’ai assisté à un spectacle au Moulin Rouge. Je suis même devenu ami avec des danseuses du Lido que j’ai invitées dans mon village. L'objectif était de participer ensemble au plus grand festival tribal du pays, le Hagen Show ».
- L’influence des hommes blancs est-elle positive ou négative ? « Les Blancs apportent un savoir-faire, des infrastructures utiles comme les écoles, les hôpitaux ainsi que des médicaments qui s’ajoutent à notre pharmacopée. Toutefois, comme je le disais, les sociétés ne respectent pas forcément leurs engagements envers les populations. De plus, il y a de la corruption »
- Quels sont les rapports des tribus avec le Gouvernement ? « Officiellement, il nous soutient. Officieusement, je ne sais pas ».
-  Les choses ont-elles changé depuis la diffusion du film ? « Apparemment oui puisque le Gouvernement s’est rendu compte de l’impact de la déforestation et de nombreuses concessions n’ont pas été renouvelées ».

Marc Dozier et Mundiya
Mundiya est un messager envoyé par les dieux pour défendre les grandes et magnifiques forêts de Papouasie Nouvelle-Guinée. D’ailleurs, il a deux petites ailes sur sa coiffe ! Après Thénac où il a remporté un énorme succès, il se rendait à Grenoble. Si vous avez envie de le rencontrer au milieu des siens, sachez que sa tribu propose une chambre d’hôtes…

• Elever des papillons : une façon de vivre autrement avec des fermes à papillons (magnifiques en Papouasie Nouvelle-Guinée). Cette opportunité peut permettre de gagner leur vie aux habitants sans avoir à sacrifier les arbres…

• L’appel de Mundiya aux aînés : « Vous pouvez raconter le monde d’hier et d’aujourd’hui aux jeunes générations, partager le fruit de vos expériences »

• Les femmes dans la tribu des Hulis : Large sujet que celui de la position des femmes dans la société, Mundiya ayant été intrigué par Françoise Souan, la femme cheffe du salon du livre de Thénac ! Evidemment, les femmes papous n’ont pas connu le MLF. Ainsi va la tradition. Certains spectateurs ont été surpris de ne pas apercevoir de femmes dans son film. Mundiya s’est expliqué : « j’ignorais qu’elles étaient aussi importantes chez vous ! » plaisante-t-il. Et d’ajouter : « Dans ma tribu, elles ne vont pas en forêt parce que c’est dangereux et elles n’ont pas accès à la maison des hommes, là où ils se réunissent ». Les papous sont d’ailleurs polygames « et cela ne crée pas de problèmes ». La situation évolue, mais pourquoi vouloir tout uniformiser en s’inspirant des coutumes occidentales ?


• Chef papou originaire de la tribu des Hulis en Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mundiya Kepanga est un enfant de la forêt, né sur le tapis de feuilles d’un ficus séculaire.

• Ardent défenseur de l’environnement, Mundiya Kepanga a été invité au Sénat. On l’a également vu aux côtés de l’acteur et activiste Robert Redford.

• Déforester sur de grandes surfaces peut faire disparaître des espèces propres aux zones concernées. Replanter des arbres ne fera pas revenir ces espèces disparues.

Des arbres très anciens victimes de la déforestation.

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