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mardi 5 juin 2018

Didier Catineau : « Le patrimoine de la ville de Saintes est pour moi un gigantesque livre de pierres ouvert sur notre histoire commune »

Le 22 juin à 18 h 30, salle Saintonge, l'historien Didier Catineau donnera une conférence dans le cadre des 2000 ans de l'arc de Germanicus. Elle sera consacrée à Victor Hugo et Prosper Mérimée qui ont sauvé ce témoignage de l'époque gallo-romaine d'une destruction annoncée. En effet, si de nos jours, la ville de Saintes est heureuse de posséder cette porte d'entrée antique, c'est grâce à l'action conjuguée des deux hommes, mobilisés pour sauver un patrimoine en danger. Une belle histoire, faite de courage, d'opiniâtreté et de sensibilité que détaillera Didier Catineau. Venez nombreux !

Démoli au XIXème siècle, ce pont antique accueillait l'arc de Germanicus, initialement situé près de la berge. Ce témoignage de l'époque romaine de Mediolanum a été sauvé in extremis par Victor Hugo et Prosper Mérimée
Il répond  nos questions : 

• Didier Catineau, le 22 juin, vous proposez une conférence sur Victor Hugo et Prosper Mérimée, "sauveurs" de l'arc de Germanicus. Quels sont les liens que ces deux éminents personnages ont avec la ville de Saintes ? 

Victor Hugo et Prosper Mérimée sont des amis de très longue date. Lorsque Victor Hugo crée le « Cénacle », cercle littéraire se réunissant toutes les semaines au domicile parisien de Victor Hugo, Prosper en est l’un des premiers membres assidus. Prosper Mérimée, né un an après Victor Hugo, entrera à l’Académie française en 1844 soit trois ans après son ami Victor. Ses œuvres les plus connues sont Mateo Falcone, la Vénus d’Ille, Colomba, Carmen…
Dès 1827, Prosper est à l’avant-garde d’un jeune bataillon romantique. On le retrouvera en 1830 lorsqu’il défendra avec d’autres amis la pièce de théâtre Hernani au Théâtre français et qui donna lieu à cette célèbre querelle entre classiques et romantiques. Victor Hugo, auteur de la pièce, était en passe d’être mis en grande difficulté par une critique féroce à son encontre. Le secours opportun de toute cette escouade de jeunes poètes et écrivains scella une amitié indéfectible.
Prosper Mérimée est nommé en 1834 inspecteur des monuments historiques de France et il va sillonner le pays dans des tournées d’inspection qui vont contribuer à répertorier tous les monuments qu’il faut sauver de la destruction. Il viendra à Saintes pour inscrire l’arc de Germanicus ainsi que l’amphithéâtre dans les priorités des lieux à sauver.
Concernant Victor Hugo, son lien avec Saintes n’est pas de prime abord évident. C’est seulement en 1843 qu’il va faire halte dans notre ville avant de repartir pour Rochefort. Il arrive d’un long séjour dans les Pyrénées et c’est sur le chemin du retour qu’il va s’arrêter chez nous.

Victor Hugo
• Le sauvetage de l'arc, gisant sur les bords de la Charente, semble avoir été compliqué... 

Le pont donnant accès à l’entrée de la ville étant en très mauvais état, il fut décidé de le détruire. L’arc de Germanicus, qui surplombait ce pont, fut donc démonté dans un premier temps et toutes ses pierres furent laissées en désordre sur la place Bassompierre. Un long processus de décisions différées, d’ordre et de contre-ordre, d’architecte absent, empoisonna la reconstruction de cet arc emblématique. Les commerçants pestaient car il n’y avait plus de pont entre les deux rives de la Charente, certains membres du conseil municipal penchaient pour des actions plutôt définitives pour se débarrasser de l’arc encombrant.
Prosper Mérimée vint à Saintes à de très nombreuses reprises pour empêcher l’irréparable dans une ambiance parfois délétère et proche du pugilat.

• Sans dévoiler votre conférence, avez-vous trouvé des anecdotes concernant cette affaire qui a divisé la population ? 

Les anecdotes sont foison comme lorsque Prosper est aux prises, dans sa chambre d’hôtel, avec les commerçants mécontents venus en délégation vociférante, à la grande joie de Viollet-le-Duc qui assiste hilare à la scène dans la chambre contigüe. On peut signaler aussi l’énorme retard pris dans la nouvelle édification de l’arc pour cause d’absences répétitives et de longues durées de l’architecte en chef préférant la vie parisienne et ses charmes à la vie saintaise.
On nomma alors Victor Fontorbe architecte municipal. Il suivit les efforts de reconstruction de l’arc, mais on le retrouvera également pour superviser et suivre la construction de notre palais de justice et de notre haras.

  
• Puisque nous parlons de sauvetage, le loto du patrimoine, qui pourrait concerner la maison Loti à Rochefort, est contesté par des associations antiracistes au prétexte que Loti n'aurait pas toujours été politiquement correct ? Votre avis à ce sujet ? 

Didier Catineau
J’ai un avis très critique et non complaisant. Je trouve étrange que toutes ces associations persistent à s’emparer du cas Loti comme fer de lance de leurs combats, cherchant avec constance à se victimiser. Il y a une vingtaine d’années, ils avaient déjà accusé Loti d’être raciste au vu d’une description d’un vieil homme à Jérusalem, accroupi dans la poussière et pourvu d’un nez crochu et de mains aux doigts repliés comme des serres.
A l’époque, un ensemble de personnes dont j’ai fait partie ont réaffirmé un ensemble d’évidences qui font de Loti un écrivain et non un farouche raciste. Il faut resituer cette description dans le contexte général du XIXème siècle, en pleine affaire Dreyfus que Loti d’ailleurs a défendu.
Pour continuer à salir notre Saintongeais, ces mêmes associations reprennent les armes pour réaffirmer des arguments à l’identique. Si c’est pour faire parler d’elles, c’est réussi. La maison Loti est célèbre dans le monde entier et le plafond démonté, puis remonté d’une mosquée syrienne, objet des enveloppes financières à venir grâce au loto du patrimoine, devraient échapper à ces vaines accusations. D’ailleurs, vous avez publié très récemment dans vos « Nouvelles de Saintonge » un article expliquant par le détail cette affaire qui ressort plutôt d’une prise de position non justifiée et qui éclaire un peu plus le propos. Ce n’est pas parce que je vais écrire que le travail rend libre (arbeit macht frei) que je suis un fasciste nazi. Question de contexte.

• Aujourd'hui, on parle beaucoup de patrimoine. En tant que citoyen, qu'attendez-vous de la ville de Saintes, qui possède de fort beaux témoignages, dans ce domaine particulier ? 

Le patrimoine de la ville de Saintes est pour moi un gigantesque livre de pierres ouvert sur notre histoire commune. L’histoire des siècles parle ainsi à des générations de Saintongeais qui se succèdent et qui doivent protéger avec ardeur ces témoins de notre passé. Cela semble une déclaration très académique, mais pourtant indispensable pour mieux comprendre l’origine de ces atteintes régulières au patrimoine alors que notre rôle à tous est de le préserver, de le sauvegarder.
Je n’accepte pas le projet de gradins dans l’amphithéâtre permettant à 5000 spectateurs d’assister à des concerts d’opéra. Je n’accepte pas qu’on permette à un tel monument de continuer à se dégrader sans envisager de consolider et de sauvegarder ses pierres antiques. Je n’accepte pas qu’on porte atteinte au patrimoine végétal du vallon des arènes. Je n’accepte pas que l’on brade l’ancien hôpital de la ville à des promoteurs immobiliers alors que notre richesse historique a tant besoin d’un musée qui attire tous les amoureux du monde romain et qui permettrait d’affirmer un peu plus notre indispensable présence dans ce monde de la connaissance.
Victor Hugo et Prosper Mérimée ont sans doute été avec d’autres des précurseurs en la matière et aussi des visionnaires. Je vous rappelle que si vous pouvez admirer encore la cathédrale Notre-Dame de Paris, c’est grâce au succès du livre de Victor Hugo qui a soulevé des interrogations et empêché l’irréparable. Les arènes de Lutèce, contemporaines de notre amphithéâtre, ont été sauvées de la destruction par l’engagement direct et énergique de Victor Hugo. Les exemples abondent. Nous devons voir plus loin que le bénéfice immédiat ou à court terme lorsque nous attentons à l’intégrité d’un patrimoine. Cela s’apprécie à très long terme. C’est la condition indispensable pour nous arracher à l’obscur et aller vers la lumière de l’intelligence.


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