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jeudi 17 mai 2018

Fêtes romaines de Saintes : le grand personnage à mettre en valeur est Julius Rufus, mécène de l’arc de Germanicus !

Jean-Philippe Baigl, archéologue à l’INRAP, est intervenu lors de la réunion de présentation des 2000 ans de l’arc de Germanicus lundi dernier. Si l’aspect festif ne suscite de sa part aucun commentaire, la partie pédagogique et historique du projet attire son attention. Il explique pourquoi...

Jean-Philippe Baigl et Jean-Philippe Machon, maire de Saintes
• Jean-Philippe Baigl, votre intervention lors de la réunion organisée par la mairie a suscité des réactions. Quelle est votre position ?

Je me suis rendu à cette réunion à titre informatif. Archéologue, je suis en relation avec différents partenaires de la ville, Muriel Perrin, Bertrand Maratier par exemple, avec qui je travaille sur des projets de médiation culturelle. Mes relations avec les mairies successives ont toujours été correctes ainsi que mes contacts avec les adjointes à la culture, Simone Terville, Sylvie Barre ou encore l'élue Fanny Hervé. Je défends l’archéologie, je ne fais pas de politique !
Lundi soir, j’ai dit ce que j’avais à dire. J’ai pris connaissance du projet et le programme « événementiel » ne suscite de ma part aucun commentaire. Par contre, sur la partie pédagogique et l’apport culturel des 2000 ans de l’arc, je peux émettre un avis. Dire que l’arc a été construit en 14 mois, de 18 à 19 après J.C., n’est pas vérifié. Il s’agit d’une fourchette chronologique car rien n’est précis ! Il en est de même pour l’amphithéâtre qui a été édifié sous l’empereur Claude qui a régné de 41 et 54. A quelle date exacte a-t-il ouvert ? Nul ne le sait.
Pour en revenir à l’arc, prétendre que les travaux ont duré 14 mois ne repose sur aucune vérité historique. Quant à la venue de l’Empereur pour l’inaugurer, c’est encore plus incertain. Par contre, celui l’avait financé à l’époque devait être présent, il s’agit de Julius Rufus.
Au sujet de l’affiche des festivités, que veut dire Civitas Santonum ? A l’époque, il s’agit de la région où vivent les Santons et non pas de la ville de Saintes. Et que penser de Saintes Santonum ? Pourquoi ne pas avoir mis « les fêtes gallo-romaines de Saintes » tout simplement ?…

La Gaule romaine
 • Vous semblez regretter que les archéologues saintais ne soient pas associés au projet ?

Comme je l’ai dit, ce qui touche à l’événementiel ne me concerne pas. C’est aux citoyens d'apprécier si les 500.000 euros investis dans ces fêtes sont justifiés ou pas. Par contre, je suis surpris que la ville en ait confié la caution scientifique à Alain Genot qui travaille pour le musée d’Arles.
Qui sommes-nous, les archéologues ? On nous sollicite pour obtenir des renseignements et nous ignorons ce qu’il adviendra de ces informations. Tout est une question de confiance.
Personnellement, je participe à de nombreux colloques en France et à l’étranger et je dirige un PC de 40 personnes. Il n’en reste pas moins que j’ai des racines : je suis né à Saintes, j’y suis allé à l’école et je vis dans les environs.
Ce qui me met en colère, c’est qu’on utilise seulement les archéologues comme caution. Ils ne peuvent pas se cantonner à cela ! C’est dégradant pour l’archéologie. Dans ce projet, elle est bafouée…
Les responsables annoncent que ces fêtes sont ouvertes à tout le monde. Manifestement, elles ne le sont pas à toutes les opinions et je ne comprends pas pourquoi.

Echanges avec Dominique Deram. Jean-Philippe Baigl est en contact avec Muriel Perrin dans le cadre d’un projet sur l’édification de l’arc (modes antiques de construction, outils utilisés, matériaux en présence de Thierry Grégor, tailleur de pierre).
• Pour vous, le grand personnage de Mediolanum à saluer est C. Julius Rufus ?

Quels sont les événements qui marchent aujourd’hui ? Ceux qui s’appuient sur du concret et de l’originalité. Ainsi l’Hermione qui possède une base historique et géographique à Rochefort ou encore le château-fort de Guédelon qui utilise les techniques de construction du Moyen-Âge. Les sites artificiels n'attirent pas le public car ils ne se trouvent pas au bon endroit. Ils n’ont pas d’ancrage. A Saintes, il faut travailler sur ce qui est typique, sans prendre exemple sur Arles, Lyon ou encore le Fâ. Il aurait été judicieux de s’appuyer sur ce qui est spécifique, c’est à dire la romanisation des Gaulois qui allaient devenir peu à peu des citoyens romains. Qu’ont apporté les Romains aux Santons ? Comment leur transformation s’est-elle opérée ?
Les cours de fac mentionnent ce qui est gravé sur l’arc. Vous avez l’exemple d’une famille gauloise qui est devenue romaine : "Julius Rufus, fils de Caius Julius Otuaneunus, petit-fils de Caius Gedemo, arrière petit-fils de Epotsoviridius, prêtre de Rome et d'Auguste à l'autel qui se trouve au Confluent, préfet des ouvriers, a fait don de cet arc". L’arrière grand-père de Julius Rufus n’est pas citoyen romain. Celui qui le devient est son grand-père qui a reçu la citoyenneté romaine, vraisemblablement de César lui-même. Nous avons des traces de ces transitions.
Quand Julius Rufus naît, il est complètement romain ! Grâce à Christian Goudineau - qui nous a quittés la semaine dernière - nous savons que son grand-père avait l’autorisation de frapper monnaie. Ce qui montre sa position.
Rufus est l’un des personnages les plus importants de la Gaule durant cette période. Il réalise non seulement l’arc dit de Germanicus, au bout de la voie d’Agrippa, mais il fait construire l’amphithéâtre de Lyon. C’est comme si quelqu’un disait aujourd’hui : « moi, j’offre le stade de France ! ».
Que sait-on grâce aux inscriptions gravées sur l’arc ? Durant un an, Rufus a été prêtre de l’autel situé à Lyon, dédié au culte de la famille impériale. Il a également vécu à Mediolanum. Au musée lapidaire de Saintes, se trouvait une inscription sur un mausolée en mémoire de C. Julius Victor, prêtre à Lyon également, qui devait être son cousin germain.
Nous sommes face à des dynasties, issues de la même lignée, qui avaient un pouvoir énorme en Gaule. C’est bien plus important qu’on ne le pense. Saintes a une formidable potentiel. Un colloque sur l’urbanisme, la romanisation pourrait être envisagé. Nous avons également des éléments sur le port antique de Saintes. Il en sera question à Nantes prochainement dans le cadre des ports romains en Gaule. Grâce à nos recherches, nous savons aussi quelle était la nourriture des habitants de Mediolanum. Toutes ces informations réunies devraient intéresser les habitants.

D'origine gauloise, la famille de Julius Rufus s'est "romanisée" au fil des générations, en prenant les usages et coutumes
• Jean-Philippe Bailg dément avoir refusé de donner des informations visant à faciliter la reconstitution en 3D du pont antique de Saintes : « Je ne ferai aucun commentaire sur le sujet. J’attends d’avoir des précisions de la mairie ».

• En 2016, s’est tenue une table ronde sur la restitution des villes romaines d’Aquitaine, sujet pour lequel on dispose d’un fonds.

• Jean-Philippe Blaig évoque les premières fêtes romaines de Saintes organisées par Cécile Trébuchet et Dominique Deram, lequel travaillait déjà pour la mairie.

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