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mercredi 20 septembre 2017

Joëlle Pinaud, infirmière libérale en milieu rural : 35000 km par an sur les routes de Charente

7 heures. Le jour se lève sur Saint-Fort sur le Né. Un matin de septembre auréolé d’une lisière de brume. Qu’il pleuve, qu’il neige ou que le soleil brille, Joëlle Pinaud est sur le pont : dans ses mains, elle tient la longue liste des patients qui l’attendent. 23 au total. Pour certains d’entre eux, cette infirmière libérale est entrée dans leur intimité depuis des années. Les visites sont importantes puisqu’elles permettent à ceux qui ne peuvent pas se déplacer de recevoir des soins à domicile.
Premières interventions, les prises de sang qui s’effectuent à jeun. La voiture rouge s’élance sur les routes de campagne. La conductrice les connaît comme sa poche, y compris les raccourcis qui apportent un gain de temps, toujours précieux : « pas besoin de GPS » plaisante-t-elle. Respecter les horaires est important !

Les premières prises de sang
Cognaçaise d’origine, elle aime ces paysages, dressés au cordeau, qui alignent les rangs de vigne à perte de vue. Lignes droites qu’adoucissent coteaux et vallées. Ici, règne la Grande Champagne où les parcelles se vendent des fortunes. En cette période automnale, les maisons où l’on accède par un grand porche connaissent une animation particulière : la vendange a commencé. Tandis que les machines s’activent, les bennes s’emplissent de ce raisin qui entrera, par le miracle d’une alchimie sans cesse renouvelée, dans la composition du cognac. Joëlle Pinaud apprécie cet environnement : « les vignes me manquent quand je quitte la région ! ».

C’est en janvier 1977 qu’elle s’est installée à son compte après avoir travaillé à l’hôpital de Cognac en médecine cardiaque. « Initialement, je voulais devenir assistance sociale, puis j’ai bifurqué vers la faculté de droit. Mais je n’étais pas faite pour cette filière. J’ai donc opté pour l’école d’infirmières de Cognac qui existait à ce moment-là ». Ce choix, elle ne le regrette pas. Il apporte beaucoup à cette professionnelle de la santé qui allie compétence, humanisme et facilité de contact, indispensable pour établir un lien de confiance.
Ne croyez pas que les choses aient été simples au départ :  « J’ai dû constituer ma propre clientèle et même si mon mari, Jean-Paul, était établi dans la région, c’était à moi de faire mes preuves. Je me souviens de mon premier appel. Il s’agissait de l‘ancien boulanger qui, souffrant d’une bronchite, avait besoin d’une piqûre ». Depuis, l’eau a coulé et le téléphone n’est pas avare en sonnerie. Et que dire du portable « qui a changé la vie » ! Joëlle Pinaud répond automatiquement : pas question de laisser un interlocuteur sans réponse. Comme de nombreuses infirmières libérales, elle a souvent oublié sa propre famille pour répondre aux attentes des malades.

« De nombreuses personnes âgées sont seules. L’infirmière est parfois la seule visite de leur journée »

En ce mardi matin, les premiers « rendez-vous » sont à peine sortis du lit. Petit déjeuner sur la table, odeur de café flottant dans la cuisine, sourire sur les lèvres quand Joëlle Pinaud arrive. Ces maisons lui sont familières !
Elle demande des nouvelles aux uns et aux autres ainsi que les ordonnances des praticiens qui lui donneront la marche à suivre. Examens sanguins, insuline, perfusions, poches de stomie, lavement, changement des pansements même si certains ont d’autres méthodes. Un homme a été blessé à la main par son chien et son sparadrap, appliqué par le médecin, l’agace : « rien ne vaut un bon coup de cognac pour cicatriser une plaie » lance-t-il. L’infirmière s’est habituée aux coutumes et usages du terroir : ici la liqueur des dieux a des applications diverses et variées !
La réalisation des piluliers est un moment de grande attention : pour la semaine, cachets et autres gélules sont placés selon les heures de la journée, matin, midi, soir et coucher. Quelques patients sont bien « lotis » par la quantité de médicaments prescrits quotidiennement. « Je dois être très vigilante. Toutefois, une fois que je suis partie, le patient peut faire ce qu’il veut. Je vérifie quand je reviens ».

Le trajet se poursuit entre Angeac, Verrières, Salle d’Angles, Saint-Martial sur le Né, Saint-Palais, Segonzac et Saint-Fort. Après un arrêt à la pharmacie de Saint-Fort où sont laissées les prises de sang, la matinée se déroule selon un programme bien rôdé. Surprise par son arrivée, Marcelle est très heureuse de revoir Joëlle Pinaud : « ça fait au moins trois mois qu’on ne s’est pas vues ». La joie est réelle ! Son infirmière, elle l’aime et elle le dit !

Marcelle, tout sourire !
Chez Nicole, l’ancienne factrice originaire de Chadenac passionnée par le patois, c’est l’heure de la pause café. Une conversation s’engage devant la mamie qui, une fois ses soins prodigués, lit les dernières nouvelles de La Charente Libre. Voilà qu’un camion de bouteilles de gaz a explosé sur la RN 10. Il s’en passe des événements et encore le tremblement de terre au Mexique était-il à venir…

Courte pause avant de reprendre la route !
La dernière étape se trouve chez la doyenne, âgée de 96 ans. Charmante, elle a travaillé chez un grand couturier à Paris, Jacques Fath, et autres marques avant de revenir dans son berceau natal Cierzac. Un vrai plaisir que de bavarder avec celle qu’on appelait « la femme aux chapeaux » selon ses propres confidences. Elle en aurait 17…
Il est 12 h 30. Joëlle Pinaud rentre à la maison où l’attend son époux, spécialiste moto renommé (sans oublier les machines à vapeur). Maintenant retraité, c’est lui qui fait la cuisine quand sa femme travaille. La journée de cette dernière n’est pas terminée. Dans l’après-midi, elle aura à faire les transmissions à sa collègue Sylvie di Leonardo. Et en soirée, elle repartira. Attentive, elle prépare tout. Vieille habitude.

« Nous voulons seulement une revalorisation de nos compétences et des qualifications »

A cette question : « le métier a-t-il changé depuis vos débuts ? », elle acquiesce. En 1977, les cas de cancers, par exemple, étaient peu nombreux. Ils explosent aujourd’hui.
Autrefois, on appelait les infirmières « les piqueuses » car elles étaient connues pour faire les piqûres. Avec la désertification médicale, les infirmières libérales sont appelées à pratiquer de plus en plus d’actes. Au volet professionnel, s’ajoutent la proximité et la prise en compte de la dimension humaine : rapporter leurs médicaments aux personnes dépendantes, leur rendre de petits services : « De nombreuses personnes âgées sont seules. C’est une réalité. L’infirmière est parfois la seule visite qu’elles ont dans la journée ». 

Dans quelques mois, Joëlle Pinaud prendra sa retraite. Si son métier la passionne, elle estime que la jeune génération n’est pas dans une situation idéale. Dans un article paru dans la presse spécialisée, Elodie Robert, 28 ans, fait part de son malaise : « je suis écœurée du mépris et du manque de considération à l’égard des infirmières libérales. Je suis inquiète pour ma spécialisation qui tend à disparaître au profit des HAD - hospitalisations à domicile - et des SSIAD - services et soins infirmiers à domicile - qui racolent nos patients à grands coups de publicité et de contacts téléphoniques. Savez-vous que les infirmières à domicile coûtent moins cher et que les patients sont mieux remboursés ? J’exerce en milieu rural, les médecins disparaissent et les hôpitaux sont parfois bien éloignés. Nous avons choisi ce métier parce que nous l’aimons. Nous voulons seulement une revalorisation de nos compétences et des qualifications ».
Sentiment que partage Joëlle Pinaud. Point positif pour les malades dans le contexte médical actuel : les infirmières sont bien présentes sur les territoires d’Archiac, Segonzac, Gimeux et Saint-Fort sur le Né…

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