Suzanne Rouyer-Guillet a vu le jour dans lac capitale charentaise, berceau de François 1er. C’était en 1901 : un nouveau siècle commençait, apportant avec lui les premières automobiles et la fée électricité.
Sa famille travaillait dans le cognac, mais la jeune fille ne se sentait guère attirée par le monde des affaires. Elle préférait la lecture, la peinture ou la musique.
Son destin changea lorsqu'elle fut chargée d'arbitrer le différend qui opposait son mari, Louis Rouyer-Guillet, à ses cousins anglais, Albert et William. Cette branche, en effet, s'était installée en Grande-Bretagne où elle commercialisait des eaux-de-vie.
Le second conflit mondial ne pouvait que bouleverser la physionomie des marchés. Dans la tourmente, les sociétés française et anglaise, qui avaient des intérêts communs, se perdirent de vue durant plusieurs années. Outre-Manche, les responsables avaient trouvé une filière ingénieuse pour atténuer la crise : ils utilisaient des cognacs charentais qu'ils mélangeaient à des alcools de Chypre ou d'Afrique du Sud. Le produit baptisé « brandy » remontait, disait-on, « le moral des troupes de sa Royale Majesté ». A la guerre comme à la guerre !
La situation se compliqua quand, une fois les hostilités terminées, ce débouché lucratif fut poursuivi au grand dam des « puristes charentais ». Pour eux, le noble fruit de la vigne que constitue le cognac était tout simplement dévalorisé ! Suivirent des péripéties judiciaires et un procès inévitable opposa les frères devenus ennemis. Les Français finirent par obtenir gain de cause devant le Tribunal et Rouyer-Guillet rentra dans son berceau d'origine, I’intégralité de son capital ayant été reconquis !
La belle maison, rue de la Roche à Saintes |
A la mort de son époux, elle fut nommée PDG - selon la formule consacrée - et son fils, Michel, devint directeur général, responsable de l'exportation. La tâche était d'autant plus complexe que la séparation d'avec la filière anglaise, bien implantée en Afrique du Sud, au Canada et dans tout l'Extrême-Orient, ne simplifia pas les choses. A cette époque, l'entreprise employait une soixantaine de personnes.
Dans les années 1960, période du bien-vivre, l’embellie du cognac généra développement et prospérité. Tout allait bien, pourquoi changer une formule qui gagne ? Pourtant, dans un monde en constante évolution, Michel Rouyer-Guillet estima, de par ses observations, que sa propre maison devait s'associer pour éviter un isolement qui deviendrait préjudiciable. Hennessy s’était uni à Moët, Bisquit à Ricard, Hine à Distiller's Compagny...
Suzanne Rouyer-Guillet restait insensible à ses arguments qui auraient dû attirer son attention. Sans doute pensait-elle que les lendemains seraient toujours aussi prometteurs.... « Ma mère avait une foi totale dans le cognac et désirait exploiter seule. J’étais en désaccord avec elle sur ce point. Elle me rétorquait qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Elle était parfois intraitable » soulignait Michel Rouyer-Guillet dans les années 90 (sans jamais perdre son sourire pour autant !).
Il avait vu juste et la crise de 1974 frappa durement : « Nous n'étions pas suffisamment représentatifs pour tenir le coup face à la concurrence ». Des difficultés s'abattirent sur le négoce et la région avec une baisse des ventes et la disparition d'un grand nombre de petites "structures". De plusieurs centaines en temps prospère, leur chiffre dégringola à une douzaine. L'heure était venue de tourner la page et d’imaginer l’avenir sous un angle novateur.
Un choix français
Le cognac connu de par le monde ! |
Ainsi, naquit Rouyer-Guillet SA, conduite par un homme dynamique, Michel Coste, qui travaillait précédemment pour Otard. Dans la corbeille de mariage, Rouyer-Guillet apporta ses connaissances en commercialisation des produits (I'exportation en particulier) ainsi que ses activités de distillation. Le capital fut multiplié par vingt et le chiffre d'affaires par dix. A une époque, la société Rouyer-Guillet, filiale de la CCGI, Compagnie Commerciale de Guyenne Internationale, occupait à Cognac la sixième place par son chiffre d'affaires et employait soixante-dix salariés.
Suzanne Rouyer Guillet suivit cette évolution et s'adapta. Elle admit son erreur de jugement et comprit que cette « alliance » était propice à un regain d'énergie. Elle conserva son siège de PDG et les années passèrent en toute sérénité. Sa maison gardait, intacte, la possibilité de récolter, selon une tradition vieille de 300 ans !
Parallèlement, la maison mère, dont Michel Rouyer Guillet assurait la direction, devint la SARG Société Anonyme Rouyer-Guillet, chargée de la gestion des propriétés viticoles dont elle assurait les plantations, le suivi des vignes, les vendanges ainsi que le vieillissement des cognacs. La distillation était faite par la SA Rouyer-Guillet. Cette collaboration dénotait les bonnes relations qui existaient entre les deux unités. Loin d'être concurrentes, elles se voulaient « complémentaires ».
En 1996, Michel Rouyer Guillet se vit dans l’obligation de vider les chais saintais pour des raisons de sécurité. Les stocks furent alors transférés dans la propriété de la Grange, sur la commune de Richemont. Deux ans plus tard, la SARG racheta à Michel Coste la marque Rouyer-Guillet. La CCG Internationale en resta le distributeur exclusif.
Malheureusement, en décembre 99, Michel Rouyer Guillet trouva brutalement la mort.
Elle savait faire face aux situations...
Suzanne Rouyer Guillet s'est éteinte au début de l'été 1990, après avoir vécu une existence bien remplie. Née à l'aube du XXe siècle, elle a connu les débuts de la construction européenne. Quelle exaltante aventure que d'avoir traversé des périodes si riches en progrès et en découvertes !
Ce n'était pas facile, pour une femme, que d'évoluer dans le monde très « masculin » du cognac ! Elle y est parvenue avant que ses jeunes "sœurs" ne brandissent le drapeau de la parité et de l’émancipation !
Au XIXe siècle, le vignoble Rouyer-Guillet s'étendait sur 300 hectares. Elle s'employa, après la guerre, à sa reconstruction. Suzanne Rouyer Guillet aimait la campagne et n'hésitait pas à faire le tour de ses vignobles. « Pour elle, les bonnes récoltes étaient un encouragement extraordinaire » se souviennent des proches, « les épreuves l’avaient aguerrie. Elle avait le sens de l’équilibre et savait faire face aux situations. Son mari lui faisait entièrement confiance ». Elle possédait un réel don de dégustateur et la « liqueur divine » lui inspirait de délicats poèmes.
Femme d'affaires, élégante, elle alliait le charme à l’esprit. Elle était également attachée aux disciplines sportives, selon une tradition bien familiale. Son aïeul avait fondé la « Santone » qui regroupait gymnastique, escrime. Dès 1957, elle reprit le flambeau, s'investissant dans cette association dont elle assurait le secrétariat et I'encadrement des fêtes annuelles. En toutes occasions, elle apportait un soutien généreux et bénévole. De même, elle était attirée par le golf. En 1953, en partenariat avec des passionnés cognaçais, un parcours d'une trentaine d'hectares fut réalisé sur l'une de ses propriétés (le bail avait une durée de 30 ans). A cette échéance, de club « assez fermé », le terrain devint golf municipal, afin que de nombreux amateurs puissent en profiter et s’initier. D'abord en location, les parcelles furent achetées par la mairie de Saintes. Le parcours passa de 9 à 18 trous. Une opportunité pour la région.
« Chez la femme, rien n'est impossible » écrivait Nietzsche. Durant sa vie, Suzanne Rouyer-Guillet a démontré que si la raison faisait l’homme, la volonté guidait la femme…
Nicole Bertin
• A Saintes, les chais Rouyer-Guillet, situés quai de l’Yser, ont été transformés en appartements en 2001. Rachetés en 2005 à la coopérative Syntéane par la Semis (Société d’économie mixte de la ville de Saintes), les chais Martineau sont devenus un village d’entreprises. Une maison de cognac créée en 1999 y a pignon sur rue. Elle est dirigée depuis 2004 par Guilhem Grosperrin.
Une publicité de 1957 qui fait sourire aujourd'hui ! |
Quel parcours ! :)
RépondreSupprimerQuel parcours ! :)
RépondreSupprimerportrait de ma grande tante bien fait oui l histoire de ce cognac appartient a la famille comme une grande histoire qui est vivante en nos esprit toujours aujourd’hui ’ robert paul joumier
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