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mercredi 26 avril 2017

Concours de la nouvelle du Saint-Georges Club : Sabine Beaufils-Fievez reçoit le premier prix

Nouvelle de Sabine Beaufils-Fievez primée lors du concours organisée par le Saint-Georges Club dont le thème était "un festin épicé".


Deux mesures de Maca

Elle en avait eu l’idée en traversant un marché éphémère quelques jours plus tôt. C’était la bousculade des dernières courses avant la fin du marché, mais cela ne l’avait pas gênée et les boniments des commerçants non plus. C’est qu’elle était littéralement charmée par les effluves provenant du stand des épices. La poudre étiquetée « maca » l’intrigua. Quelle pouvait être son origine ? Maca / Macao ? L’Asie alors ! Ou maca / coca, l’Amérique du sud…
Le jeune vendeur n’en savait rien. Comme Marion ne bougeait pas et qu’elle était maintenant la seule personne devant son stand, il se décida à faire une recherche sur Internet puis lui montra le résultat en tendant vers elle son smartphone. C’était donc une épice d’origine inca, appréciée notamment en pâtisserie. Affaire conclue pour deux bonnes mesures de l’épice sud-américaine.
Autant elle était sûre d’elle dans son travail et quand il s’agissait de cuisiner, autant Marion était indécise et maladroite en matière de sentiment amoureux. Au lieu de chercher à séduire par sa féminité et son esprit, elle mettait toujours en avant ses talents culinaires. On constatait en général très vite qu’il ne s’agissait pas de vantardise. Mais cela débouchait sur quoi au juste ? Pas sur ce qu’elle recherchait. Elle avait plusieurs fois imaginé, alors qu’elle préparait des crêpes pour ses nièces, que les parfums de cannelle et de vanille qui saturaient alors sa petite cuisine s’enroulaient dans ses cheveux et allaient la rendre irrésistible quand elle sortirait de chez elle. Pourquoi tant de guimauve en fait ?

Elle se mit donc au travail un début d’après-midi. Invitée le soir-même chez des amis qui attendaient bien vingt personnes, elle s’était engagée à apporter du sucré, quand la plupart des convives avaient opté pour du salé ou des boissons. Elle déposa sur le plan de travail le sachet de maca et sortit sa recette habituelle de sablés. Elle la parcourut attentivement d’un œil critique et fit quelques aménagements au stylo. Ensuite ce fut le commencement d’une chorégraphie très précise et très sûre, chaque ingrédient apparaissant entre ses doigts au moment idoine pour être malaxé, remué avec douceur ou fouetté jusqu’à blanchiment selon le scénario établi. Avant de remplir les petits moules ronds soigneusement beurrés et farinés, elle goûta la préparation et rajouta deux gouttes supplémentaires d’huile essentielle d’orange douce. Dix minutes plus tard elle sortit la première fournée, les sablés étaient juste colorés, parfait ! Marion hésita à croquer un gâteau, et puis non, ce serait la surprise ce soir.

Soudain ce fut l’heure. Marion enfila les vêtements déjà préparés sur son lit, brossa ses cheveux et dessina ses lèvres au bâton de rouge. Elle saisit son parfum puis changea d’avis et courut à la cuisine. Elle rouvrit le sachet de maca et en prit une pincée qu’elle froissa entre sa nuque et le tissu de sa robe.
La soirée fut un peu ennuyeuse selon Marion : trop de bruit, trop de gens et surtout trop de couples déjà constitués. Les sons lui semblaient amplifiés, impossible de suivre vraiment une conversation, de faire connaissance. Au moment du dessert par contre, l’ambiance était plus intime, certains invités étant déjà partis. Les sablés furent très appréciés, chacun se resservit jusqu’à faire disparaître le dernier gâteau.

Ce qui se passa ensuite fut surprenant : soudain très détendus, les invités devenaient tactiles, entreprenants. Quelqu’un mit de la musique et c’était un tempo lent, propice à se rapprocher et s’isoler à deux. Marion se sentit à la fois apaisée et troublée, en tout cas sa timidité avait totalement disparu. Elle se réveilla quelques heures plus tard chez elle dans les bras d’un grand brun qui souriait dans son sommeil. Elle sortit du lit à regret pour préparer du café et fut tentée d’y glisser une pincée de maca, dont le sachet était resté dans la cuisine. Prise d’un doute elle fit une recherche approfondie sur Internet. Si le maca était connu depuis toujours pour sa saveur se prêtant à la pâtisserie, il l’était tout autant pour ses effets aphrodisiaques marqués. Marion épiça généreusement le café...

• L'auteure : une adolescence heureuse à Saintes

Sabine Beaufils-Fievez gagne sa vie comme comédienne et comme lectrice de scénarios, deux activités qu’elle n’aurait pas imaginées quand elle finissait ses études secondaires au lycée Bellevue de Saintes. Le cinéma était pourtant déjà sa passion, grâce à une fréquentation assidue du cinéma l’Olympia, du Gallia et du ciné-club du Rex. En parallèle avec un poste chez IBM, elle a écrit des critiques de cinéma, organisé des expositions thématiques sur François Truffaut. Et puis en 1992 c’est la reconversion : elle obtient une maîtrise en cinéma à la Sorbonne, écrit et expertise des scénarios de long métrage. Puis elle consacre deux essais à Truffaut aux éditions Séghier et Milan et devient peu à peu comédienne après des ateliers et des stages. Aujourd’hui l’envie d’écrire se fait plus forte et elle est en cours d’écriture d’un long métrage et d’une pièce de théâtre. Tenter le concours de la nouvelle du Saint Georges Club et en être lauréate est une très belle aventure qui la rapproche de son adolescence heureuse à Saintes.

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