Pages

jeudi 8 décembre 2016

« Ministre de l’Intérieur ? Une fonction délicate, passionnante et épuisante » : Philippe Marchand à cœur ouvert !

Retiré de la scène publique (enfin presque), Philippe Marchand n’est pas avare d’anecdotes sur le temps d'avant, quand il était ministre de François Mitterrand ou député de l’honorable circonscription Saintes/Jonzac. Le temps a passé, les souvenirs restent : c’est heureux pour le public qui l’a écouté avec intérêt lors d’une conférence donnée à Saintes à l’initiative de la Société des Membres de la Légion d’honneur. 

Photo souvenir avec Jacques Rapp, ancien conseiller général de Saint-Genis lors d’un salon 
(© Nicole Bertin)
Philippe Marchand est bien connu en Saintonge dont il a été le député durant quatre mandats. Chacun faisait alors ses premières armes, lui au Parlement, nous autres jeunes journalistes affûtant nos plumes pour rapporter les faits marquants de l’actualité. Avec le recul, il est amusant de constater combien les joutes entre la gauche et la droite nous mobilisaient, cherchant les bons mots à rapporter aux lecteurs. Il est également amusant de constater combien ces mêmes joutes sont devenues lassantes, de nombreux électeurs se détournant de la politique ou plus exactement de ses représentants.

Accueilli par Alain Philippe, président de la société des membres de la Légion d’honneur et le bureau du comité Saintes/Jonzac, Philippe Marchand n’a pas changé. Longue silhouette et regard qui scrute l’horizon, comme le font les montagnards quand ils cherchent un point sur les cimes. Les chaises ont été prises d’assaut et pour cause, le sujet est tentant : le ministère de l’Intérieur vu de l’intérieur.
Tel un acteur sur les planches, Philippe Marchand connait son texte. Les tribunes, il en a l’habitude. Combien de discours a -t-il prononcés quand il inaugurait dans le Sud Saintonge, la région de son vieux camarade Henri Vion, maire de Clam ! Des salles des fêtes, des foires grasses, des manifestations, des rubans tricolores et même des face-à-face dont l'un, organisé par FR3, l’opposait à Claude Belot à la mairie de Jonzac ! Cette photo est intéressante : Claude Belot, son éternelle cigarette aux lèvres, regarde Philippe Marchand qui bouquine, décontracté, se faisant maquiller. Et nous d’immortaliser la scène comme le faisait Velasquez à la Cour d'Espagne (sauf que nous n'avons pas le talent du peintre). Souvenirs, souvenirs !

Débat entre Claude Belot et Philippe Marchand animé par Jean Hay à la mairie de Jonzac 
(© Nicole Bertin)
Une longue chaîne

Alain Philippe : « Philippe Marchand a eu un parcours impressionnant, mais il est resté 
un homme simple, fidèle en amitié ».
Philippe Marchand est le maillon d’une chaîne de 300 ministres de l’Intérieur depuis 1790, époque de la Monarchie constitutionnelle. Il rappelle sa fierté d'avoir occupé « cette fonction délicate, passionnante et épuisante durant deux ans ». Fin janvier 1991, il a succédé à Pierre Joxe devenu ministre de la Défense du gouvernement de Michel Rocard. C'était la grande époque de François Mitterrand dont il avait la confiance, « un homme d'état comme le furent Charles de Gaulle, Valéry Giscard d'Estaing et Georges Pompidou ». Tant pis pour les suivants, ils ne sont pas cités !
Philippe Marchand énumère des ministres de l’Intérieur qui l'ont marqué. Parmi eux, Raymond Marcellin, très bon technicien, debout dès quatre heures du matin avec une sieste l'après-midi (son garde du corps étant chargé de surveiller les pigeons afin de ne pas le réveiller), Pierre Joxe, Charles Pasqua, Jacques Chirac qui resta trois mois en 1974… juste le temps de débloquer des fonds pour la rocade de Cahors ! Sur ces 300, plusieurs sont originaires de la région dont Jules Dufaure, natif de Grézac, grand avocat qui plaidait sans notes (XIXe), Emile Combes qu'on ne présente plus et François Mitterrand pour qui cette période ne fut pas la plus passionnante (1954).

Le ministère de l’Intérieur est une énorme machine qui comprend entre 16 et 18 directions (parmi elles, la direction générale de la police nationale, la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises, la Sécurité Intérieure, la Gendarmerie Nationale, le secrétariat général - Haut fonctionnaire de défense, la Direction Générale des Étrangers en France, la Direction générale des collectivités locales, la Délégation à la Sécurité et à la Circulation Routières).
Quand il occupait cette fonction, Philippe Marchand avait pour directeur de cabinet Bernard Grasset qui devint plus tard député-maire de Rochefort. Le Ministère de l'Intérieur, c'est aussi le renseignement (bien utile pour la sécurité des citoyens)  : « avoir supprimé les RG est une erreur, ils doivent être de proximité ». Ce ministère chapeaute 143000 fonctionnaires et 95000 militaires.

« Je n’avais peut-être pas assez d’autorité »…

Comment devenir Ministre de l'Intérieur ? Pour entrer en lice, il faut être élu local, avoir l'expérience du Parlement et les bonnes grâces du Président… sans se faire pressant ! A ce poste, Philippe Marchand estime qu'il n'a pas été assez sévère, contrairement à Joxe ou Pasqua : « je n'avais peut-être pas assez d'autorité ». Ministre, il ne s'est jamais détaché de sa circonscription (gardant une permanence à Saintes). Sur le terrain, il a passé la main à son suppléant, Pierre-Jean Daviaud, qui le représentait à l'Assemblée Nationale.
Confidences. Il est ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur - du 17 juillet 1990 au 29 janvier 1991 - quand il reçoit un coup de fil de Mitterrand qui lui demande de venir à 9 h 45. Il rentre dans le bureau, apprend que Joxe occupera la Défense (nous sommes en pleine guerre du Golfe) et qu'il va hériter de l'Intérieur, place Beauvau.
Son statut change, on ne le salue plus de la même façon et ses poches se remplissent des billets de ses collègues qui lui demandent d'intervenir sur des dossiers.
Nouveauté pour lui, il peut désigner les préfets, Mitterrand étant pour l'équilibre politique « à droite, il en faut » ! Il revoit la nomination de Claude Guéant dans le département des Alpes. « Il a été convoqué par un barbu socialiste à 8 h 15 du matin. Ancien conseiller technique au cabinet de Christian Bonnet, il était secrétaire général de la préfecture des Hauts de Seine. Je lui ai dit qu'il n'était pas à sa place, il est devenu tout rouge » explique Philippe Marchand qui avoue « avoir été pas mal déçu par la suite » (sans doute veut-il parler de l'époque Sarkozy).
Parmi ses satisfactions, il a vu arriver des femmes en préfectorale ainsi qu'Edith Cresson au poste de Premier Ministre (notons au passage que François Hollande n'a pas été aussi complaisant avec Marisol Touraine ou Najat Vallaud-Belkacen).

Une nombreuse assistance réunie au Camélia. Dans les rangs, Bernadette Schmitt, 
l'ancien directeur de l'hôpital de Saintes, etc
La journée d'un Ministre de l'Intérieur commence de bon matin avec l'analyse des événements de la nuit. La question est de savoir diriger cette information vers Matignon ou l'Elysée : « c'est une question de doigté ». S'ajoutent la lecture de la presse, les passages à la radio et les télés. Il garde un bon souvenir de Catherine Ney, Jean-Pierre Elkabbach, Alain Duhamel, Anne Sinclair et son émission 7/7 (sa robe avait fait sensation auprès des téléspectateurs saintongeais), contrairement à Guillaume Durand qui lui avait reproché d’avoir expulsé des Maliens par avion (« je n’allais pas les renvoyer dans leur pays en vélo »).
La vie du ministre est conditionnée par l'actualité, interventions sur le terrain, gestion des manifestations (grèves, mouvements sociaux, agricoles, embrasement des cités, Corse), déplacements à l'étranger (Philippe Marchand a contribué à l'arrestation d'un leader de l'ETA, ce qui lui a valu de recevoir la Grand-Croix d'Isabelle la Catholique). Il raconte quelques anecdotes comme la création de la fondation Brigitte Bardot (l'actrice a donné la Madrague en garantie) ou le survol en hélicoptère de Paris par Nicolas Hulot, opération théoriquement interdite.
Pendant la guerre du Golfe, il n'y a pas eu d'attentats en France, « la DGSE et la DST ont fait un travail remarquable » souligne le conférencier qui craignait également des affrontements comme ceux qui avaient entraîné le mort de Malik Oussekine tué par la police en 1986 (manifestation contre la loi Devaquet).
Comment ne pas mentionner la grève des infirmières de 1991, entraînant une polémique entre le ministère de la Santé et le ministère de l'Intérieur après les incidents du 17 octobre ? Les malheureuses avaient été refoulées par les canons à eau et les grenades lacrymogènes des forces de police, faisant deux blessées. Une affaire que Philippe Marchand trouve « lamentable » et dont il se serait bien passé. Apparemment, on aurait cherché à lui faire endosser la responsabilité de ce triste épisode…

Philippe Marchand et le journaliste Patrick Guilloton qui vient de consacrer 
un ouvrage à Ségolène Royal
A l'entendre, l'écriture de ses mémoires s'impose ! Aujourd'hui, Philippe Marchand vit à Saintes, une ville qu'il connaît bien, mais dont le paysage politique a changé. Michel Baron et Xavier de Roux ont tiré leur révérence, on ne voit plus guère Alain Bougeret, Catherine Quéré ne se représente pas à la députation et les tentatives d'Isabelle Pichard de reprendre le pouvoir municipal ont été vaines face à l'équipe de Jean-Philippe Machon. On le verrait bien en sage occuper un poste au conseil municipal, mais en a-t-il réellement envie ? Voilà bien la question !

• Portrait : Agé de 77 ans, Philippe Marchand est né à Angoulême. Avocat de profession, il est élu conseiller général du canton de Saintes-Nord de 1976 à 2001, devient président du conseil général de la Charente-Maritime de 1982 à 1985, député de Charente-Maritime (élu à quatre reprises du 19 mars 1978 au 28 janvier 1991) ; vice-président de l'Assemblée nationale (en 1985). Il a aussi été conseiller régional de Poitou-Charentes. Membre du Parti socialiste, il est ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur du 17 juillet 1990 au 29 janvier 1991 avant d'être ministre de l'Intérieur du 29 janvier 1991 au 2 avril 1992. Il a quitté le parti socialiste en février 2006 à la suite des propos de Georges Frêche contre les harkis.
Philippe Marchand est conseiller d’état honoraire et il préside une section de la Cour nationale du droit d’asile.

• Des liasses de billets transportées dans un cabas !

Le ministre de l’Intérieur étant doté de fonds secrets (non imposables), le ministre pouvait alors récompenser ses collaborateurs et aider sa région. Ainsi, la construction de l'hôpital de Saintes, le pont Briand, l’achat du musée Dupuy Mestreau. « J'ai aussi aidé Jean-Louis Léonard à Châtelaillon en octroyant 25000 euros à sa commune ». Apparemment, Jospin aurait mis fin à l'opacité ambiante (l'argent arrivait de la Banque de France transporté dans un cabas par une personne de confiance).

• Les petits avantages du poste : du personnel de maison, un sommelier, une voiture de fonction avec chauffeur, des gardes du corps, une facilité de circulation (les feux étaient toujours au vert !), un large carnet d'adresses. Le ministre de l'Intérieur est aussi ministre des cultes, ce qui l'amène à rencontrer prêtres, rabbins, pasteurs et imams. Et d’être bien placé à l’église quand il assiste aux offices…

 • Les huissiers partent toujours à reculons car ils ne doivent jamais tourner le dos au Président ou aux ministres : héritage de l'Ancien Régime ?

• Fureur de Mitterrand au sujet d’une grande manifestation paysanne dans le Sud-Ouest
 A-t-on des noms et y a-t-il eu des gardes à vue ? Non, les gendarmes connaissent généralement bien les manifestants du monde paysan et se montrent tolérants à leur égard. Ultimatum de Mitterrand : « je veux des responsables ». Le préfet de secteur est chargé de localiser les coupables. Dès le lendemain, des agriculteurs sont interrogés. Le Président est content.

• Philippe Marchand est à l'origine de la loi sur l'intercommunalité qui est pour lui « une satisfaction obtenue sans le 49-3 ».

• Rocard, Mitterrand, deux personnalités fortes qui s'opposaient : « ils avaient tort tous les deux ».

• Confidence de Philippe Marchand sur sa première entrée au Gouvernement : « Le président Mitterrand avait choisi de me nommer ministre délégué à l’Intérieur. Il m’avait convoqué et m’avait annoncé sa décision. Je lui avais rétorqué que c’était au Premier Ministre de faire la proposition. Il m’avait alors répondu d’aller chez Michel Rocard. Lequel a essayé de me dissuader, voulant me confier la direction du groupe socialiste que j’ai déclinée ». Il entre donc au gouvernement. L'épouse de Philippe Marchand se trouvant au Chili, il ne peut lui annoncer la bonne nouvelle en direct !

• Rue des Saussaies, c’est là que se trouvaient les anciens bureaux de la Gestapo : « sous une table, figure encore une croix gammée » ! Difficile de ne pas penser au résistant Pierre Brosselette qui s’est suicidé pour ne pas parler sous la torture…

Philippe Marchand lors des vœux de l'hôpital de Saintes aux côtés de Françoise Mesnard, 
maire de Saint-Jean d'Angély
• La durée moyenne d’un ministre de l’Intérieur est de deux ans. Certains ont fait plus court : Chirac trois mois et Maurice Faure quatre jours.

• Philippe Marchand n’est pas près d’oublier le DC 10 abattu par Kadhafi au Niger en 1989. Un matin, les services lui ont apporté sur son bureau un gros morceau de l’appareil. Il était un peu surpris…

• Dernière info : C’est Bruno le Roux (François Rebsamen, maire de Dijon, ayant refusé) qui devient ministre de l’Intérieur de François Hollande. Valls est désormais en campagne et Cazeneuve, Premier Ministre, sur des charbons ardents. Ayant quitté le PS, Philippe Marchand se dit « croyant mais non pratiquant » !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire