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lundi 5 décembre 2016

Lazare Ponticelli : Derrière le légionnaire, un homme d'exception au destin fait d’humilité et de détermination

Libre opinion de Serban Iclanzan et Robert Vicente (extrait de la revue ASAF, Association de soutien à l'Armée française)

Dernier légionnaire de la Grande Guerre, Lazare Ponticelli fut aussi le dernier poilu à nous avoir quittés, à l’âge de 110 ans. C’était le 12 mars 2008. Aujourd’hui et avec beaucoup de respect, il revient à un légionnaire devenu chef d’entreprise de parler de cet autre légionnaire fondateur d’entreprise, lui aussi. Comme la majorité de ceux qui rejoignent la Légion étrangère, Lazare est venu avant tout pour ce qu’il appelait « le paradis » : la France. Il venait d’Italie, d’un horizon de misère où l’espérance était synonyme de fuite.

Son histoire est l’histoire d’un jeune homme par deux fois oublié et abandonné. La première fois, abandonné par les siens partis à la recherche d’une solution pour un meilleur avenir. Sans ses parents et sa fratrie, c’est un petit berger de 10 ans ne parlant pas un mot de français qui entreprend un long voyage à Paris. La faim et la misère seront du voyage  aussi, comme une fatalité. Cependant le jeune homme arrive avec un trésor fantastique transmis par son père : l’honnêteté et le travail. Ceux qui croisent son chemin lui reconnaîtront ces qualités, lui accorderont leur confiance et il commencera par s’en sortir.

C’est avec un certain Pierre Pécuri qu’il fondera une petite entreprise. Mais la guerre et l’économie de subsistance qui se met en place rendent vains tous leurs efforts. Pour ne pas mourir de faim, Lazare s’engage dans la Légion. Pierre Pécuri partira sur le front lui aussi. Avant de se séparer, les deux jeunes gens partagent leur fortune qui se résumait à deux louis d’or. Lazare lui dira : « Tu vois, Pierre, celui-là mourra avec moi. Et si on en revient, on les aura pour racheter du matériel et recommencer notre travail ».  La vraie religion de Lazare Ponticelli sera pour toujours le travail.

Après avoir servi au front, il sera abandonné une deuxième fois, cette fois-ci par la France et la Légion qui n’ont pas d’autre choix que de respecter les accords avec l’Italie qui prévoient que lui soient livrés tous les ressortissants italiens susceptibles de combattre dans l’armée de leur pays d’origine. C’est dans le froid des montagnes qu’il servira l’Italie face à l’Autriche. Il y découvrira la fraternité des combattants par-delà les tranchées, et la misère qui le poursuit encore et qui s’accommode si bien de cette guerre. Cependant, le jeune survivant reviendra fort d’un trésor fantastique : l’honneur et la sagesse.

Deux fronts, deux pays. Deux ennemis. La même guerre, la même souffrance. L’enfant venant d’un triste néant et qui croyait en sa chance, découvre les abîmes de l’humanité et revient encore plus déterminé et assoiffé de vie. Lazare Ponticelli et deux de ses frères, Bonfils et Céleste – ce dernier lui aussi légionnaire – fonderont l’entreprise Ponticelli Frères, entreprise de construction de cheminées d’usine devenue au fil des années un fleuron industriel. C’est Lazare qui fera tout pour qu’ils se retrouvent unis autour de ce projet. « Union – Travail – Sagesse », voici la devise de Ponticelli Frères et elle enferme en elle ce dont il a toujours rêvé, ce qu’il a toujours cherché, mais aussi ce qu’il a trouvé dans ce parcours de survivant.

A l’approche du 11 novembre, Robert Vicente, mon aîné et mon camarade ancien légionnaire, m’a demandé de préparer quelques lignes pour « Ponticelli… un des nôtres ». Il avait pris soin de me glisser les mémoires de Lazare que j’ai découvertes et qui m’ont profondément bouleversé. Derrière le légionnaire, j’ai découvert un destin fait d’humilité et de détermination, un homme d’exception. Derrière Lazare Ponticelli, j’ai revu nos camarades de la Légion, leurs histoires de vie, leurs destins et toujours cet honneur, cette fidélité, cette recherche du travail bien fait. Et enfin - comme une évidence - ce respectueux dévouement à la France et cet autre dévouement sincère à ses camarades, cette humanité qui n’est jamais aussi sublime que lorsqu’elle côtoie les souffrances et la mort.

Que Lazare ait pu refuser pendant longtemps les obsèques nationales est un fait bien connu.  Ce qui compte, c’est ce qui justifiait ce refus : « Ce n’est pas juste d’attendre le dernier poilu. C’est un affront à tous les autres, morts sans avoir eu les honneurs qu’ils méritaient. On n’a rien fait pour eux. Ils se sont battus comme moi. Ils avaient droit à un geste de leur vivant… Même un petit geste aurait suffi ».

Lazare Ponticelli est de la trempe de celui qui n’abandonne jamais les siens, car il connaît le prix et la souffrance de tous les abandons. Avec ses frères, il a bâti une entreprise prospère qui fait vivre aujourd’hui des milliers de gens.  Du petit berger au « dernier poilu », la vie de Lazare n’a jamais été l’acceptation de la fatalité, mais une succession permanente de décisions courageuses, au nom de ses valeurs et de ses rêves.  Son entreprise et ses rêves ne sont pas à vendre et il a prévu que l’assentiment de tous ses petits-enfants soit nécessaire à une telle opération. Car la valeur de son entreprise est réelle, mais aussi et fortement symbolique. Elle vaut le louis d’or d’une promesse. Mais quand on a été un jour légionnaire on connaît et on comprend la valeur de la parole donnée et de la promesse…

L’image que je retiens de cet homme et celle de celui qui, accompagné à la frontière par deux gendarmes qui devaient s’assurer de son transfert à l’armée italienne, décide de s’y rendre dans sa tenue de légionnaire au service de la France. A ce moment, Lazare n’avait plus rien en sus de son louis d’or dans la poche si ce n’est la conviction qu’il possédait un destin et que celui-ci le liait à jamais à la France. Cet homme a donné à la France plus qu’elle ne lui a jamais donné et pourtant il a vécu toujours avec le sentiment de lui être redevable. Servir et ne pas se servir, des mots que nous entendons tous et depuis toujours à la Légion…

Ces lignes se veulent un hommage à Lazare, à nos camarades de tous temps, aux « engagés gamelle » ayant donné de leur santé, leurs rêves et leur jeunesse, à tous ceux qui par peur d’abandon ou pour ne pas abandonner ont servi et serviront avec « honneur et fidélité » dans les rangs de la Légion étrangère. On y rentre tous un louis d’or dans la poche : celui de nos rêves et celui d’une promesse.

Merci Lazare d’avoir tenu la tienne. Repose en paix aux  paradis… en France.

Serban ICLANZAN et Robert VICENTE
Tout simplement légionnaires





• Serban Iclanzan est un ancien légionnaire de la dernière décennie, juriste de formation, devenu chef d’entreprise et élu conseiller départemental en Haute-Garonne ; 

• Robert Vicente est un ancien légionnaire d’il y a trois décennies, président de l’Association de défense du patrimoine et de l’âme toulousaine, particulièrement actif dans les œuvres sociales et le soutien à nos armées et nos blessés.

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