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lundi 21 décembre 2015

Plus dur sera le réveil...

• Libre expression :


Ce peuple héritier des Jacqueries d’autrefois, des soulèvements sociaux, des barricades républicaines, ce peuple de la Bastille et de la Commune, du Front Populaire et de mai 68. Ce peuple qui autour du CNR, après les souffrances de l’occupation nazie, s’était réuni pour qu’existe et perdure une France plus fraternelle et plus solidaire. Ce peuple noyé dans une Europe hétéroclite sans âme autre que financière, qui le méprise et complote en secret. Ce peuple perdu dans la confusion et les trahisons politiques de roués comédiens repus et indifférents, ce peuple là semble plongé dans une étrange torpeur. Pourtant, on le pille et on le berne.
Dormons, braves gens ! Dormons sereinement, profondément. Et surtout sans rêves inutiles. Soyons confiants. Car on pense et agit pour nous. On nous prépare un monde nouveau. Un monde moderne,  rentable, dynamique, libre. Libre de la liberté du plus rusé, du plus madré, du plus vorace. Un monde simplifié, apaisé par l’euphorique perspective de la  Nouvelle Vérité Révélée. Celle  du Profit sans fin, sans frein. Sans autre alternative. De gré ou de force. Car dans ce monde, l’argent corrupteur a toujours raison, partout, de tout et de tous. -

Quand allons-nous nous réveiller ? Quand le Grand Frère, avec ses caméras, ses puces et ses drones nous aura tous épiés, analysés, fichés ? Quand il sera devenu très dangereux d’objecter, de dire, d’écrire ce qui déplaît aux Princes, maîtres et complices du pouvoir et de l’argent absolus ? Quand le mensonge manipulateur et la fable simpliste des assoiffés de pouvoir auront supplanté à jamais la vérité émancipatrice ? Quand Humanisme, Liberté, Egalité, Fraternité, Solidarité seront relégués quelque part dans les pages poussiéreuses d’un dictionnaire des mots oubliés ? Quant la justice sera encore plus inéquitable ? Quand nos moyens de vivre auront tous émigré vers les pays des nouveaux serfs rentables ?  Quand le faible et le pauvre ne seront plus soignés ? Quand la rue sera devenue le foyer familial ? Quand la Marchandise nous aura finalement tous consommés ? Quant nos intelligences auront achevé d’être avilies par la médiocrité ? Quand l’Université, devenue sa chose, devra flatter le marché universel triomphant, et n’œuvrer que par et pour lui ? Quand la démocratie, déjà affaiblie et caricaturale, aura définitivement capitulé face à la République du Veau d’or ? Quand la longue marche de l’humanité vers les sommets de la création n’aura finalement abouti que sur l’apothéose dérisoire de la finance et du consommable ? Quand le riche ouvrage des penseurs humanistes et des philosophes éclairés qui se sont succédé tout au long de cette aventure venue de la nuit des temps, n’aura finalement abouti qu’à une grotesque et rapide déchéance de l’intelligence ? Quand enfin ce que des générations successives d’hommes et de femmes de courage, de progrès et d’honneur nous ont légué, sera totalement dilapidé pour cause et sous prétexte de « Réforme » et de « Modernisme » ?

Voyez cette bûche qui se consume inexorablement. Bientôt, il n’en restera que la cendre froide des regrets inutiles. Bientôt, dans la nature épuisée par l’infatigable profit, l’océan sera immense étendue  sans vie, l’arbre squelette sans fruit ni feuillage, et la fleur sans abeille. Alors…  que faire ? Se résigner, étouffer définitivement nos derniers cris de révolte ? Jeter l’éponge du sursaut salutaire ? Laisser dépérir ce que l’Humain a de plus noble en lui ? Nous nous endormîmes libres un peu, dignes encore, peut-être. Riches toujours de l’espérance d’un bonheur légitime. Notre réveil sera-t-il un cauchemar ? Nous  réveillerons-nous nus, soumis, lisses, décervelés, déshérités, dépouillés, prisonniers de nos lâches renoncements ? Plus dur sera le réveil !

Jean-Paul Négrel

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