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mardi 23 juin 2015

L'homme de Neandertal, pas si moche
que ça ! Il a légué 2% de ses gênes
à l’homme moderne

• Les 10 ans du Paléosite de Saint-Césaire 

Bernard Vandermeersch, ancien directeur du laboratoire d’anthropologie à l’université de Bordeaux, a présidé les Entretiens de Saint-Césaire qui se sont tenus du 29 au 31 mai. Au programme des conférences du dimanche après-midi : « Les sépultures néandertaliennes et les caractéristiques de leurs squelettes » par Christine Verna, chargée de recherches au CNRS ; « Les Néandertaliens en Poitou-Charentes » par Bruno Maureille, directeur du Laboratoire PACEA Université Bordeaux 1 ; « La perception des hommes et femmes de Néandertal de 1975 à 2015 » par Claudine Cohen, historienne des Sciences à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales Paris ; « Le métissage entre Sapiens et Néandertal » par Jean-Jacques Hublin, professeur à l’Institut Max Planck de Leipzig, département d’anthropologie évolutionniste et professeur au Collège de France. 

Néandertal a longtemps souffert d’une image négative 

Néandertal en costume !
Quel que soit le scénario, l’image négative que nous avions de Néandertal, «  gros demeuré qui tire sa femme par les cheveux, sa massue dans l’autre main  » est à ranger définitivement. Dans sa vie quotidienne, Néandertal n’était pas aussi primaire que l’ont prétendu les livres d’histoire durant des décennies. Pour preuve, il employait de fines lames taillées et non plus de simples éclats. Il a été victime «  d’une sorte de racisme  » comme le fut l’homme de Pékin découvert en 1921 aux côtés d’une belle panoplie d’objets.
Intrigués, les érudits le jugèrent incapable d’une telle dextérité. Ils les attribuèrent à un être plus évolué qui, funeste destin, l’aurait mangé (l’anthropophagie était répandue)…

 La grande histoire de l’homme est peuplée d’incertitudes et d’une foule d’interrogations. Comment pourrait-il en être autrement ? Le temps, en effet, est une barrière bien plus insurmontable que la chaîne de l’Himalaya. La Terre s’est formée il y a 4,6  milliards d’années. Une broutille au regard de l’éternité, un gouffre pour nous ! Des premières cellules aux grands dinosaures, que de chemin parcouru que les scientifiques essaient de décrypter…

Durant une très longue période, les animaux (dont on peut voir des reproductions au Paléosite) n’eurent aucune idée de l’être humain. L’homme restait à inventer ! Son arrivée changea littéralement la distribution des rôles. Il devint l’élément dominant et, sur les 17 espèces d’hominidés qui peuplèrent la planète, «  Homo sapiens est celui qui s’est imposé et n’a jamais été évincé   » souligne Jean-Jacques Hublin.
 Autrefois, des générations d’écoliers apprenaient que l’homme descendait du singe, hérédité qui déclenchait des fous rires dans les salles de classe. Aujourd’hui, cette théorie est tombée aux oubliettes. La lignée humaine est “buissonnante“ avec des rameaux bien distincts, les pré humains et les singes ayant emprunté des voies parallèles.
Nos ancêtres, les australopithèques, ont pour berceau l’Afrique. On a longtemps pensé que c'était la Vallée du Rift dont la star est Lucy (3  millions d’années) avec ses 1,10  m et ses 25  kg. A cette vallée du Rif, on ajoute désormais l'Afrique du Nord où de nouvelles découvertes ont été faites.

Claudine Cohen a décrit avec beaucoup d’humour l’aspect des Néandertaliens : 1,60 m pour 72 kg en moyenne, orbites vastes et forte mâchoire qui lui permet d’accueillir des dents de sagesse sans problème. Front bombé, pas de menton, muscles des épaules costauds. A Saint-Césaire, nous aurions une version plus élégante, Pierrette étant plutôt gracile…

Les premières représentations de Neandertal ne sont guère flatteuses
Les choses s'arrangent un peu par la suite !
Tout de même, il n'est pas très à son avantage...
Là, c'est mieux !
Les idées reçues sont tombées les unes après les autres. Aux côtés des élégants Cro-Magnon, Neandertal n’était pas un arriéré, style «beauf» comme on l'a longtemps supposé. Pour Bernard Vandermeersch, les interprétations erronées dont il a été l’objet sont pardonnables : « il faut disposer de données précises et non réfutables pour exposer son raisonnement ».

• Quand le premier Neandertal fut trouvé en Allemagne en 1856, près de Düsseldorf, les autorités de l’époque étaient impressionnées par l’aspect du squelette : « comment interpréter ses différences avec l’homme moderne ? ». Plusieurs versions furent avancées : il s’agissait d’individus de tribus barbares, hostiles à l’Empire romain, ou bien de cosaques incorporés dans l’armée napoléonienne. Prisonnier de son secret, Neandertal devait bien rigoler !
On le présentait repoussant, à peine sorti de l’animalité. De nos jours, il est décrit sous un angle plus avantageux : « Neandertal était un homme dans le vrai sens du terme. Il n’y a aucune raison de le marginaliser ».

 • Pour Bruno Maureille, du laboratoire d’anthropologie de l’Université de Bordeaux, la population néandertalienne était peu fournie

Quelques centaines d’individus ont été répertoriés : « un long travail est à accomplir pour savoir comment s’est déroulée la cohabitation avec Cro-Magnon et, surtout, pourquoi Neandertal a disparu ».
 Eric Trinkauss estime que la cohabitation avec les hommes modernes était difficile : « on remarque souvent des blessures aux membres supérieurs, épaules, bras, mains. Le risque de traumatismes était élevé. Beaucoup avaient des handicaps, ce qui en dit long sur la dureté des temps. Comme nous trouvons peu de blessures aux jambes, nous supposons que l’individu, incapable de se déplacer, était laissé sur place par son groupe ».

Néanmoins, certains recevaient une assistance. D'où l'évidence d'un sentiment de groupe et de solidarité. Pierrette elle-même fut soignée, après un coup violent porté à la tête. Ceux qui succombaient pouvaient être enterrés ou mangés. Tout ce beau monde était anthropophage (certaines peuplades le sont encore en Afrique. Rappelez-vous les fameux frigos de Bokassa !).
 Malgré tout, la présence de sépultures, où étaient enterrés hommes, femmes et enfants, démontre sensibilité et conscience. Pour Neandertal, le mort n’était pas un objet. Il le traitait avec un minimum de respect. Son comportement se donc rapproche de celui de l’homme moderne.

•  Pierrette ou Pierrot ? 

Clin d'œil aux chercheurs de Pierrette
À Saint-Césaire, une controverse s’est produite quant aux ossements mis à jour : s’agissait-il d’un homme ou d’une femme ? Dans un premier temps, Pierrette fit l’unanimité, puis certains scientifiques prétendirent qu’il s’agissait un homme baptisé “Pierrot“. Face à une déception grandissante, de la part des féministes en particulier, on s’accorda sur un point : la question n’ayant pas une importance capitale, Pierrette l’emporta ! D’où la réflexion d’Yves Coppens : «  le sujet est aussi ambigu que le sexe à attribuer à Saint-Césaire  ». Il est vrai que l’on dit plus facilement Sainte-Césaire que Saint-Césaire. Pourtant, il n’y a pas de doute à ce sujet : Césaire était évêque d’Arles au VIe siècle, époque des sépultures trouvées devant l’église de Jonzac. Il eut même une grande influence dans l’église franque…
Quant à Pierrette, seul son bassin serait révélateur. Or, il n’a pas été retrouvé mais les os, graciles, pencheraient plutôt pour une dame… Il s'agirait peut-être d'une sépulture, son corps ayant été trouvé en connexion (position du foetus).


 • Existe-t-il d'autres gisements d'hommes de Néandertal dans la région de Saint-Césaire : il n'est pas interdit de le penser. « Il y a des possibilités » déclare Bernard Vandermeersch. Initialement, la Roche à Pierrot devait être un bel abri sous roche.

 • Quand la science vient aider les paléontologues au sujet de la découverte de Dmanisi en Georgie : Il y a 1,8 millions d’années, une seule espèce humaine ? 

Ces dernières années, un rebondissement est intervenu avec la découverte de squelettes en Georgie à Dmanisi. D'après les chercheurs, les fossiles ne traduiraient pas l'existence de plusieurs espèces différentes vivant dans des habitats propres, mais des variants d'une seule lignée qui aurait émergé en Afrique. « Ce que nous pouvons déduire de notre étude à Dmanisi, c'est qu'il y a 1,8 millions d'années, il y avait une autre espèce humaine unique et globale à l'instar d'Homo sapiens aujourd'hui. Nous parlons seulement de la période datant d'il y a 1,8 à 2 millions d'années » confie le professeur Zollikofer à LiveScience.
Il pourrait s’agir de l’Homo Erectus. Il serait apparu il y a deux millions d'années en Afrique avant de se propager en Eurasie, en passant par la Géorgie, la Chine et Java, où les traces les plus anciennes retrouvées remontent à 1,2 million d'années.

• Bruno Maureille cite le livre écrit par Marcellin Boule au début du XXe siècle qui fut longtemps une référence sur l'homme de Néandertal. Actuellement, deux pays offrent de nombreux gisements en ossements néandertaliens, la France (dont l'Aquitaine et le Poitou-Charentes) et l'Italie. 25 squelettes complets ont été retrouvés. Les ossements de Saint-Césaire sont les plus révélateurs quant à la cohabitation de Néandertal avec les hommes modernes.

Rencontre entre les Néandertaliens et les hommes modernes
•  Y-a-t-il eu métissage entre Néandertal et l’homme moderne ? 

Nous avons 2% de gênes néandertaliens en nous. En 2006, le Neanderthal genome project, programme de séquençage de l'ADN nucléaire de l'homme de Néandertal a été lancé par le Max Planck Institut en collaboration avec la société 454 Life Sciences fabriquant des séquenceurs de gènes à haut débit. L'objectif était de connaître l'étendue du lien de parenté avec l'homme moderne et d'évaluer l'interfécondité de l'homme de Néandertal et l'homme moderne.
Les résultats, publiés en 2010, portant sur l'analyse de 4 milliards de paires de bases d'ADN nucléaire issus d'ossements fossiles de trois Néandertaliens, montrent que ceux-ci partagent plus de caractéristiques génétiques avec les Homo sapiens modernes eurasiatiques qu'avec ceux d'Afrique sub-saharienne.
« Les auteurs envisagent l’hypothèse selon laquelle les Néandertaliens auraient contribué à hauteur de 1 à 4 % au génome des populations d'humains modernes non africaines. Cette hypothèse est la façon la plus simple d’expliquer leurs données. Cependant d’autres scénarios sont possibles ; en particulier, on peut faire l’hypothèse que, par suite de l’existence d’une structuration des populations au sein du continent africain, la population ancestrale des non-Africains était plus proche des Néandertaliens que ne l’était la population ancestrale des Africains contemporains. On peut encore supposer qu’après la divergence des Néandertaliens, une homogénéisation incomplète s’est réalisée entre les ancêtres des Africains et ceux des non-Africains, ce qui permettrait d’expliquer les observations réalisées ». En 2012, Anders Eriksson et Andrea Manica ont remis en question l'hypothèse privilégiée d'une hybridation. En se basant sur des modélisations mathématiques, ils proposent d'interpréter les gènes communs observés lors du séquençage comme l'héritage d'un ancêtre commun aux deux groupes.
 Peu après, une nouvelle étude a confirmé - selon ses auteurs - l'hypothèse d'un croisement récent entre les deux groupes, survenu selon eux il y a 37 à 86 000 ans « quand les humains modernes, porteurs des technologies du Paléolithique supérieur, ont rencontré les Néandertaliens alors qu'ils quittaient l'Afrique ».

•  Pierrette vivait dans un monde de brutes 

La petite Pierrette est morte dans ses jeunes années des suites vraisemblables d’un accident. Afin de protéger la fragile partie du crâne de Pierrette, des images en trois dimensions ont été faites permettant de reconstituer le crâne en résine dans son intégralité. On s’aperçoit qu’elle a reçu un violent coup à la tête, les os ayant eu le temps de se ressouder.
Mais a-t-elle survécu à ce traumatisme ?

La partie du crâne de Pierrette mis au jour par l'équipe de fouilles
• Néandertal était prévoyant et constituaient des réserves de silex !

Les Néandertaliens constituaient des réserves de silex et n’hésitaient pas à parcourir de 60 à 80 km pour s’approvisionner : « ils étaient très mobiles. Quand ils savaient manquer de matière première dans un endroit pour chasser, ils la transportaient avec eux ». Le silex grain de mil semble avoir été le "nec plus ultra" de l'époque ! Des gisements se trouvaient en Haute Saintonge.

• Pierrette était-elle coquette ? 

La parure semble peu présente, excepté dans la région de Saint-Cesaire et en Bourgogne où l’on a repéré des colliers ornés de dents. Quant à leur manière de communiquer entre eux, on suppose qu’ils utilisaient des sons caractérisant telle ou telle action...

 • Ces animaux disparus 

Ces animaux, qui ont vécu sur la Terre, n’existent plus. Grâce au savoir faire et au superbe talent de Manu Janssens, responsable de la société Othis située dans la région d’Agen, ils reprennent vie. Ainsi, dans le hall du Paléosite, vous êtes face à des tigres aux dents de sabre, un grand cerf des tourbières, le megaloceros, dont la ramure mesurait 3,50 mètres d’une extrémité à l’autre, un rhinocéros laineux et un mammouth de Sibérie (entre autres). Si vous êtes intéressés par ces animaux disparus, à voir également au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse un calamar géant de 25 mètres. De quoi alimenter les rêves de Jules Verne !

Mammouths (ayant servi au tournage de Ao)
Rhinocéros laineux
Huttes néandertaliennes (décors AO)

• Photos d'archives (collection Nicole Bertin)

René Boucher, ancien maire de Saint-Césaire et propriétaire de la carrière où a été trouvée Pierette, aux côtés d'Anna Baker, professeur aux Etats-Unis, qui a conduit plusieurs chantiers de fouilles

Les élus visitent le Paléosite


• Pourquoi la découverte de Saint Césaire est-elle devenue célèbre rapidement ? Tout simplement parce que les travaux scientifiques ont été publiés en anglais ! D’ailleurs Pierrette a été présentée lors d’une exposition aux États-Unis. 

Une façon comme une autre de répondre aux théories créationnistes !

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