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mardi 23 juin 2015

La longue histoire de l’humanité :
L’ancêtre commun aurait sept, huit,
voire neuf millions d’années...

Les dix ans du Paléosite de Saint-Césaire

Retour sur la conférence de Pascal Picq, attaché à la chaire de Paléoanthropologie et Préhistoire du professeur Yves Coppens, avant de devenir responsable de l'unité de paléoanthropologie et d'anatomie fonctionnelle (UPAF) appartenant à cette chaire. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages. 

Pascal Picq (Moscou 2010)
Les origines de l’homme sont peuplées d’incertitudes. Comment pourrait-il en être autrement ? L’immensité du temps et le manque d’éléments déterminants ne facilitent guère la compréhension. La Terre s’est formée voici 4,5 milliards d’années : une broutille au regard de l’éternité, un gouffre pour nous ! 

Les chercheurs avancent pas à pas et la façon dont est enseignée la préhistoire évolue. Finie cette époque joyeuse où les écoliers riaient de leur ancêtre, le grand singe poilu. Désormais, ils savent que l’arbre de vie possède plusieurs rameaux, les hommes ayant suivi leur propre destinée. Des premières cellules aux dinosaures, de Toumaï à l’homo sapiens, que de chemin parcouru ! 

Au Paléosite de Saint-Césaire, le paléontologue Pascal Picq est venu parler de cette aventure humaine peu banale. Contrairement aux sauriens qui disparurent de la terre en laissant pour seuls témoignages d’immenses squelettes, les hommes ont marqué leur passage. Pouvant communiquer et échanger, leurs descendants s’interrogent forcément sur la précarité de leur existence et surtout sur leur présence. La fameuse trilogie « qui sommes-nous ? D’où venons-nous et où allons nous ? » est la porte ouverte sur de nombreuses interprétations.

Avec ou sans Dieu(x) ?

Depuis la plus haute antiquité, les philosophes s’interrogent sur l’homme et sa nature divine. Personne ne détenant la vérité, les échanges furent parfois cocasses. Ainsi celui qui opposa deux Grecs célèbres, Platon et Diogène. Platon ayant soutenu que l’homme était un bipède sans poil, Diogène revint avec un poulet déplumé qu’il lâcha dans l’assemblée en s’exclamant « voilà l’homme de Platon » ! Aujourd’hui, et malgré les progrès accomplis, les thèses continuent à s’opposer : les uns estiment que « tout ce qui fait l’homme se retrouve dans les formes vivantes de la nature » tandis les autres - les courants religieux en particulier - pensent « qu’il est fait d‘une essence le distinguant des autres formes de vie ». 

Durant des siècles, il fut généralement admis que l’homme avait été façonné par une main céleste. Voilà qui le plaçait au rang des prétendants à l’immortalité, version qui flattait son égocentrisme naturel. En ce domaine, il régnait d’ailleurs une certaine injustice car tous n’étaient pas traités sur un pied d’égalité. En 1542, par exemple, l’Eglise se demanda le plus sérieusement du monde si les Indigènes qui vivaient aux Amériques avaient une âme. Bartolomé de las Casas démontra que c'était bien le cas…
Pendant ce temps-là, certains érudits savaient que le ciel abritait autre chose que des divinités ou un Etre suprême. En tentant de démontrer que la Terre était ronde et tournait autour du soleil, Copernic et Galilée rencontrèrent de vives déconvenues. Les autorités ecclésiastiques - toujours elles - admettaient mal que les hommes puissent vivre la tête en bas et que la Terre ne soit pas le centre de l‘univers ! 
Il y eut aussi Vanini. Au XVIe siècle, sa vie fut brisée par l’Inquisition qui le condamna au bûcher. Pour quelle raison ? Parce que cet Italien brillant, qui vécut à Paris, pensait que l’homme était né de la matière : « la génération spontanée contre la nature divine ! Même si l’étymologie d’Adam signifie « ce qui vient de la terre ou du limon », la Bible suppose une intervention céleste. Il peut être gênant d’admettre que si les animaux sortent du limon, il en est de même pour l’homme par la logique des ressemblances anatomiques et comportementales entre l’homme et les animaux. « Quant à la quadrupédie originelle opposée à la bipédie qui assure à l’homme sa domination sur les animaux, c’est une grande thèse défendue par les libertins et farouchement combattue par l’orthodoxie religieuse et les philosophes » explique Pascal Picq dans son livre « La nouvelle histoire de l’homme ». 
Vanini, qui s’appuyait pourtant sur des textes anciens, suscita de fortes réactions. Il sentait le soufre et fut voué aux gémonies : « comparer l’homme aux animaux reste le plus sûr moyen d’être frappé de l’accusation diabolique d’anthropomorphisme »...

Les êtres humains étant persuadés de leur supériorité, on comprend qu’une remise en cause de leur « paternité originelle » les ait toujours perturbés, voire irrités. Toutefois, la science a provoqué un bouleversement des mentalités, la connaissance s’étant longtemps effacée sur de nombreux points devant les mythes religieux et les hypothèses.
Il fallut attendre le XIXe siècle pour que les choses bougent enfin. Après une croisière autour du monde, le naturaliste britannique Darwin élabore la doctrine évolutionniste et publie en 1859 un ouvrage qui fit référence « de l’origine des espèces par voie de sélection naturelle ». 
L’évolution est en marche d’autant que viennent d’être trouvés, près de Düsseldorf, les premiers ossements de l’homme de Neandertal. Depuis, on sait que le cousin de notre Pierrette saintongeaise a peuplé l’Europe et le Proche-Orient entre 120.000 et 35.000 ans avant J.C. Il fut contemporain des Cro Magnon, alors qu’on croyait son espèce éteinte depuis des lustres. 
Au moment de sa découverte en Allemagne, les chercheurs élaborèrent d’autres versions. Comment cette chose-là serait-elle un homme ? Les milieux scientifiques s’agitèrent…
En 1861, Darwin choque certains membres de l’Académie Royale. La reine Victoria, peu enthousiaste que ses ancêtres puissent avoir marché à quatre pattes, demande à ce que « l’on prie afin que cela ne se sache pas ». Le ciel ne l’entend guère et des sociétés d’anthropologie, soucieuses de défendre la connaissance, voient le jour.

Comparaison entre l'homme moderne et Lucy découverte par l'équipe d'Yves Coppens
Cherchez l’ancêtre !

La théorie de l’évolution admise, la quête du premier ancêtre commence. Des découvertes ont lieu en Europe et dans le monde entier (Java, etc). Oui mais... où se situe le commencement ? 
Visionnaire, Darwin avait suggéré l’Afrique. Il faudra un siècle pour que cette localisation soit validée. Effectivement, les australopithèques se plaisaient sur le continent noir. Ils se surnomment Lucy - cette petite Ethiopienne de 3 millions d’années mise au jour en 1974 par l’équipe d’Yves Coppens à l’époque de "la ruée vers l’os" ! - Abel ou Errorin, âgé quant à lui de six millions d’années. Au Tchad, Toumaï, serait vieux de sept millions d’années (Michel Brunet, de l’Université de Poitiers, lui a consacré un ouvrage). S’y ajoute Samburupithecus qui aurait vécu il y a environ 9,5 à 10 millions d'années. Il a été découvert sur le site des Samburu Hills au Kenya. Les fossiles qui ont permis de décrire l'espèce consistent en un fragment de maxillaire gauche portant l'alvéole de la canine, deux prémolaires et trois molaires.
Ces créatures marchent et grimpent à la fois, à condition que leur "linea sapera" (muscle du fessier) leur offre cette particularité. 
Depuis ces observations, il a été admis, dans les premiers temps, que les pré-humains et les singes appartenaient à deux lignées distinctes qui se rassemblent en un vaste bouquet. Si ces pré-humains ont été localisés aussi bien en Afrique de l’Est que de l’Ouest (ils ne vivaient donc pas uniquement dans la savane), il reste encore des zones floues. 

Yves Coppens (ici en dédicace) est à l'origine de la découverte de Lucy
Le fameux ancêtre commun pourrait donc être apparu il y a environ neuf millions d’années. Avait-il un caractère propre si l’on tient compte de l’évolution des espèces ? On l’ignore. 
Pascal Picq, conjuguant esprit curieux et rigueur scientifique, pose les vraies questions et les jalons d’un nouvel humanisme : « le tournant du monde qui se façonne sous nos yeux impose une meilleure compréhension de nos origines que les philosophies religieuses ou athées ne suffisent pas à expliquer » remarque-t-il. La science bouscule les idées reçues et conduit l’homme "pensant" à une plus grande humilité. Ce pur esprit - du moins le croit-il - doit bien admettre que la nature qui l’accueille en son sein est aussi son berceau. 
Grâce à l’excellent travail des chercheurs, nos lointains aïeux occuperont longtemps la scène de l’actualité ! Pour preuve, les films de reconstitution (Odyssée de l’espèce, Toumaï, Ao le néandertalien, etc) remportent un large succès. 
A la question « qu'est-ce que l'humain ? », Pascal Picq estime que : « l’humain est bien une invention des hommes, qui repose sur notre héritage évolutif partagé, mais n'est pas une évidence pour autant. Homo sapiens n'est pas humain de fait. Il a inventé l'humain et il lui reste à devenir humain, ce qui sera fait lorsqu'il regardera le monde qui l'entoure avec humanité ».

Le professeur Yves Coppens à Saint-Césaire où il a donné de nombreuses conférences et attiré les foules  !


Reportage/photos archives Nicole Bertin

• Yves Coppens est professeur honoraire au Collège de France. Il est présent dans de nombreuses instances nationales et internationales, gérant les disciplines de sa compétence. Il a dirigé en outre un laboratoire associé au CNRS, le Centre de Recherches Anthropologiques et deux collections d'ouvrages du CNRS, les Cahiers de paléoanthropologie et les Travaux de paléoanthropologie est-africaine. Yves Coppens est membre de nombreuses académies. En octobre 2014, il a été nommé membre ordinaire de l’Académie pontificale des sciences par le Pape François. 

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