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samedi 20 décembre 2014

Que pensez-vous que les femmes
apportent à la politique ? Corinne Imbert,
Isabelle Pichard Chauché, Melissa Trouvé
et Fabienne Dugas Raveneau
à cœur ouvert

En mars 2015, les conseils territoriaux (qui vont remplacer les conseils généraux) compteront pour la première fois autant d'hommes que de femmes dans leurs hémicycles : le paysage politique français est en pleine mutation. 
Appliquée en mars 2001, la parité a changé une situation très "masculine", mais certains hommes ne cachent pas qu'ils éprouvent peu d'enthousiasme face à cette loi. Désormais, il faudra donc compter sur une large représentation féminine et des élues qui ont déjà montré, dans le passé, de convaincants engagements au service de leurs citoyens. 
« Que pensez-vous que les femmes apportent à la politique ? » Nous avons posé cette question unique à Corinne Imbert, première femme sénatrice de Charente-Maritime, Isabelle Pichard Chauché, conseillère générale de Saintes, Melissa Trouvé, conseillère municipale de Saintes et Fabienne Dugas Raveneau, conseillère municipale de Pons. Nous leur avons demandé également de joindre deux photos ou documents qui leur tiennent à cœur. Voici leurs réponses. 

 • Corinne Imbert, sénatrice, 
conseillère générale de Matha (majorité départementale) 

 « Titulaires du droit de vote en France depuis seulement 1944, les femmes sont actuellement encore trop peu engagées et impliquées en politique. Certaines figures de droite comme de gauche incarnent la frange féminine de la classe politique mais les critères objectifs sont là : il y a toujours trois fois plus d’hommes que de femmes chez les parlementaires notamment.
Le gouvernement est cependant paritaire, mais cela relève t’il du symbole ou d’un quelconque réel intérêt ? La question de la parité est bien sous-jacente à ce phénomène. Faut-il qu’une femme soit engagée en politique parce qu’elle est femme ou parce qu’elle est compétente ? La parité était elle tout simplement nécessaire à notre organisation politique ?
Lucide sur cette question, bien que je remercie mes pairs de m’avoir soutenue, je sais pertinemment que je n’aurais sans doute pas été élue Sénatrice en septembre dernier si la loi sur la parité n’avait pas été votée. Et l’on voit bien les manœuvres de certains croyant pouvoir s’affranchir de ces règles pour en décider autrement, ou encore les amendes phénoménales payées par les partis politiques pour ne pas respecter ce nouveau principe.
 Les femmes apportent à la politique un autre regard, parfois une autre manière. Il n’y a pas davantage de douceur, ni de rondeur, ni de tranquillité. Une politique est un politique. L’idée même que la femme politique soit réduite à un homme en moins sévère, ou en plus sérieux serait une caricature grotesque.
On le voit bien, les femmes politiques de premier plan aujourd’hui ne sont ni tendres, ni potiches, ni moins carriéristes. Elles s’imposent par un charisme et une force démultipliée, car il est probablement vrai, même si cela n’est pas très scientifique, qu’une femme doit donner plus d’énergie, plus de convictions afin d’être entendue.
Mais ce qui est rassurant, c’est que souvent la femme politique marque les esprits : pragmatisme et efficacité caractérisent leurs actions. En effet, on peut être d’accord ou non avec leurs opinions, leur façon de faire, mais Ségolène Royal, Nathalie Kosciusko-Morizet, Najat Vallaud-Balkacem, Nadine Morano, Roselyne Bachelot et bien d’autres encore cristallisent l’attention, polarisent le débat, attirent les uns et sont rejetées par les autres.
Simone Veil reste incontestablement LA figure de la femme politique française. Un modèle, un exemple, une force, un caractère. Son histoire, ses combats, son parcours montrent l’épopée d’une femme politique, avec finalement une trajectoire presque universelle, mais au rayonnement en dehors de toute norme. Il y a peu d’hommes politiques dont on retient l’histoire et dont on admire dans le même temps le parcours.
Finalement, l’idée même de s’interroger sur la place des femmes en politique et sur ce qu’elles apportent à ce milieu et au débat ne devrait plus être un sujet d’actualité. Cela devrait être commun et non singulier. La vraie victoire sera le jour où ce débat ne sera plus tranché en terme de genre, mais en terme de compétence et de travail. Car s’il y a des femmes et des hommes de qualité, il y a aussi des femmes et des hommes qui peuvent être tentés par la facilité, la passivité. Cela n’est pas réservé aux unes ou aux autres. En résumé, c’est Jacques Chirac qui exprime le mieux, selon moi, ce à quoi nous devons aspirer quand il dit à propos de Bernadette : « Ma femme est un homme politique ».

• Coups de cœur


Les carrelets de Saint-Palais
Les vignes (Beauvais sur Matha)
• Isabelle Pichard-Chauché, 
conseillère générale socialiste de Saintes 

« Depuis 20 ans que je pratique en interne et que j'observe le monde politique toutes tendances confondues, j'ai pu noter ou remarquer certaines constantes, mais je ne saurais en tirer des conclusions hâtives, encore moins étiqueter quiconque. En outre, il y a toujours des exceptions à la règle ! Les femmes ont une approche et une conception du pouvoir différentes de celles des hommes, elles considèrent davantage le pouvoir et l'exercice du pouvoir comme un moyen et non comme une fin en soi.
L'affirmation ne se fait pas au travers de mandats ou fonctions occupées, mais bien davantage dans les actions qu'elles mènent et qu'en général elles mènent jusqu'au bout et sans fléchir. Sans doute sont-elles plus courageuses parce qu'elles gardent en ligne de mire l'objectif à atteindre, sa réalisation concrète sans faire de calculs. Elles prennent plus de risques pour exister et se faire une place dans cet univers qui demeure encore très masculin.
Le pragmatisme est davantage présent chez les femmes que chez leurs collègues hommes, souvent plus attachés à l'aspect stratégique et conceptuel d'un projet qu'à sa réalisation. Une élue qui défend un projet ou dossier ne le lâchera jamais et le mènera à son terme même si elle doit remuer ciel et terre !
Globalement elles sont (moi y compris) sans doute porteuses de cet inconscient collectif qui les conditionne à faire elles-mêmes les choses pour prouver qu'elles sont aussi capables et compétentes que les hommes. L'homme n'a pas besoin de cela et peut donc davantage se construire en stratège.
La vie politique nous oblige à faire de la stratégie pour avancer, mais cela n'est pas une donnée naturelle et c'est un apprentissage que nous devons faire une fois que nous avons fait nos preuves.
Les femmes ont une vision du monde différente et du coup, elles n'ont pas les mêmes priorités que les hommes et ne sont pas sensibles aux mêmes sujets.
 Ainsi ce n'est pas un hasard si c'est Simone Veil qui a défendu et fait voter la loi légalisant l'avortement : qui mieux qu'une femme pouvait savoir ce qu'est une grossesse non désirée ? Les femmes politiques sont davantage ouvertes au dialogue et plus à l'écoute.
Je ne sombrerai pas dans les clichés consistants à dire qu'une femme est plus apte à s'occuper des questions sociales et de petite enfance parce qu'elle est (potentiellement) une mère, c'est la même chose pour les pères ! Cette image est très prégnante car souvent on confie aux femmes la petite enfance, le scolaire et le social, moins l'urbanisme et l'économie !
Cette vision de douceur maternante n'a plus sa place en politique. Un homme peut être tout aussi doux et « paternant », sauf qu'en politique jamais l'argument ne sera avancé pour justifier d'une délégation ou une responsabilité confiée à un élu.
Il me semble cependant que le temps passant, les différences se gomment parce que le monde politique a des codes masculins et de plus en plus de femmes se l'approprient pour occuper toute leur place et se faire respecter.
 Pour résumer je dirai que les femmes sont davantage dans l'action que dans la représentation ou la communication, elles dialoguent davantage et apportent une autre vision et conception de la société et de son développement. Toutefois le système dans son ensemble les contraint à gommer leur spécificité et c'est bien dommage ! »

• Coups de cœur

La Côte basque
Un écureuil bien audacieux dans un parc de Montréal !
• Melissa Trouvé, conseillère municipale de Saintes 
dans l'équipe de Jean-Philippe Machon 

« Simone Veil disait « ma revendication en tant que femme c'est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m'adapter au modèle masculin ». Quel intérêt en effet aurait la politique à voir s'imposer des femmes dont les idées et la vision des choses seraient semblables à celles des hommes ? Aucun !
Citer Simone Veil, c'est reconnaître que son action publique a transcendé le modèle de l'époque. Quarante années se sont écoulées depuis la Loi Veil, mais la personne reste incontestablement un modèle de courage et de force pour bon nombre de femmes qui ont osé se lancer en politique.
Sans parler de féminisme, la femme a toute sa place dans l'action politique. Certains comprennent et d'autres non, que la femme n'est plus un objet, qu'elle dispose des mêmes droits que les hommes, qu'elle peut s'imposer, faire face et gagner.
Difficile pour moi d'avoir un regard objectif sur ce que peuvent apporter les femmes à la politique mais si elles s'engagent c'est qu'elles voient très certainement les choses différemment. Elles sentent, anticipent et vivent mieux les évolutions de la société car elles mêmes ont fait l'objet d'une évolution certaine au sein de la société. Elles sont donc plus aptes à faire avancer les choses plus rapidement, de par leur vision différente sur toutes les questions qui les touchent et les concernent tout particulièrement comme l'enfance ou encore l'éducation.
Sans critiquer la politique masculine, loin de là, les femmes apportent une culture différente du dialogue, de l'écoute, de la tolérance de la diplomatie. Certaines personnes continuent à se questionner sur l'intérêt de la parité mais finalement c'est ce concept qui fait émerger de plus en plus de femmes en politique.
On peut dire que la parité est une opportunité de donner la parole aux femmes. Cependant, je trouve bien triste que la France ait du imposer un concept alors que, dans de nombreux pays, cette émergence de la femme s'est faite naturellement. Il y a eu beaucoup de progrès et les générations à venir sont prometteuses. Nous voyons apparaître clairement des femmes en phase avec leur temps et leur société qui, de par leur expérience, leurs activités, leurs principes et leurs convictions, savent être le maillon incontournable de l'équilibre politique local et national. Les femmes savent où elles vont et ce qu’elles veulent ».

• Coups de cœur

La Une du journal La Française en 1936 informant de l'entrée historique de trois femmes au Gouvernement. Alors qu'elles n'avaient pas encore le droit de voter, ces femmes pouvaient prendre des décisions politiques.


Couverture du Nouvel Observateur en 1971 reprenant les visages des femmes ayant signé le Manifeste sur l'avortement. Acte décisif vers le droit à l'avortement en 1975.


• Fabienne Dugas-Raveneau, 
conseillère municipale socialiste à Pons

« L'exercice de la démocratie, qui suppose la représentativité du peuple dans les institutions républicaines, progresse avec la place croissante des femmes en politique, même si cela ne saurait suffire, tant d'autres "composantes" de notre société sont absentes des postes à responsabilités.
En dehors du constat de ce progrès démocratique, la question de l’apport des femmes à la politique ne devrait pas se poser, comme elle ne se pose pas pour les hommes. Hommes et femmes sont capables du meilleur, comme du pire, dans ce qui nous conditionne tous, la nature humaine. Et pourtant, il est un élément qui différencie le parcours de la femme politique de celui de son homologue masculin.
Sur la ligne de départ, l'homme a avec lui un bagage crédibilité accordé d'office, hérité de ses prédécesseurs. La femme doit, elle, toujours le gagner avec ses résultats, obtenus sur le parcours, malgré le courage, l’intelligence, les capacités démontrées par d’autres femmes politiques avant elle. Et pourtant, que de chemin parcouru depuis Louise Michel, que de combats portés par des femmes politiques pour le progrès de notre société, sous les projecteurs médiatiques pour certaines, pour le développement de nos territoires, discrètement, pour d’autres.
Quotidiennement, nous devons faire nos preuves, faire la démonstration de nos compétences, de nos capacités à gérer. Ce niveau d’exigence continu n’est pas demandé aux hommes, nous pouvons le regretter à double titre. En politique, comme dans d’autres milieux où le rôle de l’homme a toujours été prépondérant, c’est notre crédibilité que nous devons gagner tous les jours.
Loin de nous effrayer, il s’agit là d’une motivation complémentaire aux convictions que nous portons. « Ne laissez jamais vos peurs vous empêcher de faire ce que vous savez juste » Aun San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix ».

• Coups de cœur

Aun San Suu Kyi, prix Nobel de la paix
Marianne, symbole de la liberté, de l'égalité et de la fraternité
•  Et pour terminer, le point de vue de Renée Lauribe, 
Radicale de gauche : 

« Au premier abord, comme peu, j'aurais tendance à dire " rien ! " parce que sur le fonds, je défends bec et ongles l'égalité absolue des droits et des devoirs des hommes et des femmes. Donc pour moi, il n'y a pas de différence de genre et il ne doit pas y en avoir. Au deuxième abord, comme beaucoup, avec les séquelles culturelles patriarcales de notre société, je pourrais être amenée à croire que sur la forme, il pourrait y avoir une différence de style. En fait, je vois plus de différences entre un frontiste et un humaniste qu'entre un et une Radicale, sur le plan des idées bien sûr, mais aussi sur les moyens et les méthodes quant aux apports des uns et des autres. Tout dépend à mon sens de l'engagement, de la valeur et de l'intégrité de chacun ou chacune plutôt que de leurs sexes respectifs.
Au troisième abord, je rêve d'un temps où l'on ne serait plus jaugée, jugée et cataloguée, voire condamnée sur notre sexe.  Je rêve d'un lieu, d'une société où nos apports, fussent-ils petits, ne seraient pas négligeables ; fussent-ils grands ne seraient pas prétentieux, fussent-ils idéaux ne seraient pas utopiques »...

Propos recueillis par Nicole Bertin

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